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Les guides au chevet de la voie normale de la Meije

Voie historique en sursis et alternatives

19 juin 2019, B. Ribeyre et O. Giroud au départ de l'une de leurs 3 journées à examiner la voie normale de la Meije. ©Refuge du Promontoire

Cette semaine, les guides de La Grave ont parcouru la Meije, 3 983 m, sa voie normale historique côté sud, le couloir Gravelotte côté nord et le secteur de l’arête ouest. Dans quel état est la voie normale suite à l’écroulement survenu au niveau du Glacier Carré le 7 août 2018 ? Est-il possible de contourner la zone d’éboulement ? L’arête ouest de la Meije est-elle exempte de risques ? Réponses urgentes, en exclusivité.

Au refuge du Promontoire, point de départ de la voie normale historique à 3 082 mètres, le téléphone sonne sans relâche depuis une semaine, de 8 heures du matin à 21 heures le soir : « c’est non-stop, les gens appellent pour connaîre les conditions de la voie normale historique », raconte le guide de La Grave Benjamin Ribeyre, sur place de mardi à jeudi dernier – hier donc. Durant ces trois jours, Ribeyre a repéré, avec son collègue de La Grave Olivier Giroud, la voie normale historique, la liaison de l’arête ouest aux vires envisagées versant nord pour contourner le Glacier Carré, ainsi que ces vires depuis la brèche séparant le Grand Doigt et le Pic du Glacier Carré. Trois verdicts et une feuille de route émanent de leurs observations suite à une exploration menée la semaine précédente.

Verdict n°1 : la variante de l’arête ouest ne passe pas

 À l’issue de cette première reconnaissance sur le terrain de la Meije, le bilan est assez clair. Ribeyre annonce au nom des guides de La Grave que des actions de « réhabilitation, de nettoyage, de rééquipement et de variantes de cheminements sur la voie normale historique sont à ce jour notre priorité ».

Que conclure à propos de la variante imaginée par l’arête ouest ? À propos du système de vires en versant nord des Doigts et du Pic du Glacier Carré, imaginées afin d’éviter celui-ci et la zone d’écroulement, toujours instable et qui menace la voie normale historique ? « Il est toujours possible d’emprunter l’arête ouest pour atteindre le Grand Pic. Mais c’est un itinéraire peu parcouru, plus difficile et engagé que la voie normale. Il traverse également le Glacier Carré et ici aussi, en cas de fonte de la neige sur le Glacier Carré et d’exhumation de la cicatrice d’écroulement, les chutes de pierres vont recommencer et la traversée du Glacier Carré va être problématique », prévient le guide. Quant à contourner le Glacier Carré depuis cette arête ouest et les vires imaginées en versant nord, Benjamin Ribeyre annonce une section très délicate au départ du versant nord : « pour rejoindre les vires depuis l’arête ouest, le passage est très austère et dans un caillou pas des plus solides. Il faut d’abord descendre en un rappel de 50 mètres un mauvais dièdre, puis remonter en face des goulottes verticales – et éphémères. » Mouliné par Giroud depuis la brèche séparant le Grand Doigt du Pic du Glacier Carré, B. Ribeyre a pu d’autre part évaluer la suite du parcours par ces vires.

les difficultés pour rejoindre par l’arête ouest et ces vires la brèche du Glacier Carré semblent être plus proches d’une voie TD que du AD+/D

La conclusion globale est radicale : « les difficultés pour rejoindre par l’arête ouest et ces vires la brèche du Glacier Carré semblent être plus proches de celles d’une voie TD que du AD+ donné pour la voie normale originale (la traversée de la Meije intégrale est cotée D, NDLR). Nous pensons donc pour le moment que cette option n’est pas une alternative viable à la voie normale historique. Une voie normale alternative doit garder des niveaux de difficulté et d’engagement les plus proches possibles de celle d’origine, et là ce n’est pas le cas ! ». La voie normale historique de la Meije est déjà une des plus difficiles voies normales des Alpes. À l’issue de ces premières observations, les guides portent leurs efforts sur la voie normale Gaspard/Castelnau, mais celle-ci aussi « a changé ».

Sur le glacier Carré, le 20 juin 2019. © Benjamin Ribeyre – Olivier Giroud.

Focus sur le versant nord de l’arête ouest de la Meije : un cheminement difficile et peu évident.
©Benjamin Ribeyre

Verdict n°2 : un autre engagement pour la voie normale historique

 L’écroulement des deux tours rocheuses en versant sud du Pic du Glacier Carré a provoqué des dégâts le 7 août 2018, notamment dans « la zone située entre le sommet de la dalle Castelnau et le Dos d’âne, très impactée, insiste Ribeyre. Nous avons parcouru la voie normale jusqu’à la zone de l’écroulement sur le Glacier Carré, et poussé un maximum de blocs instables en bas. Néanmoins, cette zone n’est plus comme avant ! Les prétendants à l’ascension de la voie normale historique doivent prendre plus de précautions, avoir plus de marge technique, et des capacités à évoluer rapidement », ajoute-t-il.

le parcours de la voie normale est possible dans des limites acceptables que par la présence de neige sur le Glacier Carré et par bon regel nocturne.

L’engagement sur la voie normale a donc nettement augmenté, mais loin de lui et de l’ensemble des guides de la Compagnie Oisans-Écrins, qui rassemble 11 bureaux de guides, l’idée d’interdire la fréquentation de cette voie normale – nous y reviendrons. Néanmoins, Ribeyre précise que « les bureaux de la Compagnie ne vont plus vendre la traversée de la Meije à deux clients par guide, mais au cas où les dangers mesurés seraient gérables, à un client par guide. » Il faut aussi comprendre ici qu’il s’agit de la vente via les bureaux de guides, et qu’un guide indépendant reste libre d’emmener des clients « qu’il connait et qu’il juge capables de suivre cette ascension avec un niveau d’engagement supérieur ». Ribeyre et Giroud, qui se sont enfoncés maintes fois à mi-cuisse lors de leurs repérages réalisés par mauvais regel, alertent concernant les jours à venir : « le parcours de la voie normale est possible dans des limites acceptables que par la présence de neige sur le Glacier Carré et par bon regel nocturne. Une canicule est annoncée pour ce week-end et la semaine prochaine, et peut faire évoluer les conditions en une demi-journée ». Comprendre déneiger le Glacier Carré et libérer des frigos de gneiss, ou comment passer de « l’acceptable » à « l’enfer » en quelques heures. Méfiance.

La Dalle des Autrichiens, le 20 juin 2019. © Benjamin Ribeyre.

Focus sur la Muraille Castelnau à la Meije.  Schéma © Benjamin Ribeyre.

Verdict n°3 : une voie normale rééquipée partiellement aux passages clés

Lors de leurs passages mardi et mercredi, Olivier Giroud et Benjamin Ribeyre ont aussi rééquipé en pitons la section en virage depuis la sortie de la dalle Castelnau au passage du Dos d’âne : « quelques bons pitons, placés pour une évolution à corde tendue et un encordement des grimpeurs à 25-30 mètres, sécurisent cette section néanmoins toujours exposée aux chutes de pierres et de glace du Glacier Carré. Ces jours-ci, des stalactites formés par la fonte exposent ce passage et chuteront aux premières chaleurs », explique Ribeyre.

Les deux guides ont également rééquipé une descente en 3 rappels en rive droite du Glacier Carré, depuis la zone d’écroulement jusqu’aux vires du Glacier Carré (où l’on retrouve les rappels de la descente classique par la muraille Castelnau, le Miroir, le couloir Duhamel et ceux récents de la voie l’Horreur du Bide, pour retrouver le refuge du Promontoire). Pourquoi ce travail dans la zone exposée ? « Cette descente s’adresse surtout aux cordées qui sortiraient du couloir en Z de la face nord à la brèche du Glacier Carré, et plus largement à celles fatiguées qui ne se sentiraient plus de continuer vers le Grand Pic et les arêtes de la Meije », précise Ribeyre.

 Cette descente, l’autre guide de La Grave Patiss Vauclair, 46 ans, et Romain Laffont, aspirant-guide, l’ont également parcouru depuis le Grand Pic, mercredi. Les deux alpinistes venaient de gravir le couloir Gravelotte en face nord, « par mi-regel depuis le refuge de l’Aigle », a témoigné Vauclair. Il ajoute que la chaleur présente en ce moment sur la Meije est loin de donner de bonnes conditions, même en face nord : « le passage du Serret du Savon devient fin et dangereux, on enfonce sur les glaciers, et dans le bas de la face les goulottes sont chargées de neige peu de consistante ».

Les rappels rééquipés en rive droite du Glacier Carré par les guides Giroud et Ribeyre. Infographie et ©Benjamin Ribeyre

Dernier rappel de l’Horreur du Bide en face SO, déjà des impacts dans la neige. ©Benjamin Ribeyre

La feuille de route pour la suite

Les guides concluent en précisant les secteurs fréquentables en Meije : « les voies situées entre la Brèche de la Meije et l’arête de la Convention, à droite du couloir Duhamel, sont accessibles comme avant (facette sud-ouest, ndlr). Également celles situées entre la brèche Zsigmondy et le Doigt de Dieu (face sud des arêtes de la Meije). En revanche nous soulignons la grande prudence à adopter concernant les voies situées entre l’arête de la Convention et la Brèche Zsigmondy : nous avons observé de nombreux impacts de l’écroulement dans le secteur du Fauteuil et parmi les voies Tout est bon dans le Nichon, Mitchka, Le dossier du Fauteuil, la Pierre-Allain, la Chevauchée des Vacheskirippes et la première partie de la voie originale Mayer-Dibona.

Enfin dès aujourd’hui, et afin d’éviter la saturation téléphonique au refuge du Promontoire, tout montagnard à la recherche d’informations sur les conditions à la Meije est prié de joindre directement le bureau des guides et accompagnateurs de La Grave ([email protected] ou +33 476 79 90 21), point info montagne officiel pour le secteur : « dans le cas d’une reprise des chutes de pierres sur la voie normale, une communication adaptée sera mise en place. En aucun cas nous interdirons l’accès à la voie normale, nous informerons des décisions des guides vis-à-vis de leurs clientèles, inciterons seulement les alpinistes à suivre notre exemple. Tout un chacun reste libre d’aller voir par lui-même et se faire son propre avis ».  La veille engagée par les guides va continuer car la Meije est une ressource, mais un sommet difficile cette année.Â