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Lutte de classe au sommet

La semaine dernière a été marquée par un débat étonnant. Certains se demandaient si le sommet d’une montagne était-ce le point le plus haut ou alors le petit replat plus confortable juste dessous.
Que nous dit ce curieux épisode ? Un chipotage poussiéreux de spécialistes autour de quelques mètres de neige ? Non. C’est bien plus que ça et comme souvent, de gros sous sont en jeu.

Au regard de la vive réaction, pour ne pas dire la crispation, de certains protagonistes occidentaux du tourisme de haute altitude (une agence française en l’occurence), il révèle surtout un profond changement de paradigme. Avec le Népalais Mingma G au point culminant du Manaslu, un nouveau standard de l’himalayisme a été établit. Les Népalais ne sont plus suiveurs mais prescripteurs. Les futures expéditions n’auront plus d’autre choix que de prolonger l’ascension jusqu’au « vrai » sommet. Et leurs clients auront raison de l’exiger.

Par ce coup de maitre, appuyé par la photo éloquente de Jackson Roves qui montre la cordée de Mingma G gravir un incontestable sommet tandis que d’autres célèbrent (et ils ont le droit) leur ascension sur une antécime, les Népalais prennent en main le business des 8000. Et ça ne plait pas à tout le monde.

Il est fort probable que ce 27 septembre 2021 marque le début d’une ère nouvelle sur un marché plus que juteux. Un premier coup de semonce était donné le 16 janvier 2021 lorsque l’ascension du K2 en hiver était réussie par la large équipe népalaise. Cela annonçait au monde des himalayistes que les alpinistes népalais étaient désormais dans le jeu technique et sportif et de manière indépendante.

L’épisode du Manaslu enfonce le clou côté business. Un très gros gâteau vient d’être croqué à pleines dents par un local de l’étape. Envolée l’image du bon Sherpa toujours souriant. On découvre enfin que ce dernier est tout aussi bon business-man et communiquant que les occidentaux. Mingma G avait soigneusement préparé son coup.

La concurrence des expéditions a lieu aussi
parmi les nouveaux acteurs népalais

Car ne soyons pas dupes non plus. La concurrence des expéditions a lieu aussi parmi les nouveaux acteurs népalais, souvent formés à bonne école dans de prestigieuses écoles de commerce internationale, au Royaume-Uni (Nirmal Purja) ou au Canada (Mingma G). Seven Summits Trek existe depuis 2010 et fonctionne très bien. Après l’avoir quittée, Nims a crée Elite Exped en capitalisant sur ses 14×8000 express.
De son côté, Mingma G créé Imagine Nepal. C’est son drapeau qui flotte au sommet du Manaslu. Et lorsque Mingma G l’atteint, il emmène aussi un client de Nims. Affront ? Non, petit signe appuyé d’une concurrence à tous les niveaux. Il serait malvenu de porter un jugement quand on sait combien la guerre des agences fait rage parmi les opérateurs européens ou américains.

à qui les futurs candidats aux 8000
confieront-ils leurs 50 ou 60 000€
la saison prochaine ?

Sans verser dans la vision marxiste des choses, il y a tout de même un petit goût de revanche de classe trop longtemps oubliée, parfois exploitée, souvent caricaturée (le « bon » Sherpa).
Que les Népalais passent désormais dans le wagon de tête du grand business des 8000 est un épisode à la fois symbolique mais aussi capital pour l’économie du pays.

On comprend mieux la crispation des acteurs « historiques » qui voient débouler tambour battant une concurrence nouvelle. Ils doivent se demander à qui les futurs candidats aux 8000 confieront leurs 50 ou 60 000€ la saison prochaine. Mais qu’ils se rassurent : Mingma G nous a déjà confié sa stratégie pour fixer les cordes depuis le vrai sommet du Manaslu. Il n’y aura plus qu’à le suivre.