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Carnet de bord : Kilian Jornet raconte ses 82 4000

Autoportrait dans le Valais. ©Kilian Jornet

« Les sommets de 4000 mètres n’étaient qu’un cadre. Le véritable voyage était intérieur ». Kilian Jornet vient de partager le journal qu’il a tenu en reliant les 82 sommets de 4000 m dans les Alpes. C’est un journal intime, qui raconte ses motivations, ses doutes, les moments qui sont restés gravés dans sa mémoire. L’ultra alpiniste Kilian Jornet ne parle pas de chiffres, de dénivelé, mais nous immerge comme jamais dans son odyssée. Nous avons choisi d’en présenter les grandes lignes puis d’en livrer trois extraits, écrits par Kilian. Des instantanés bruts où l’on mesure les joies immenses et les dangers aussi grands auxquels il a été confronté.

Ce n’est pas vous qui faites le voyage, c’est le voyage qui vous fait, ou vous défait. Cette citation de Nicolas Bouvier pourrait s’appliquer à Kilian Jornet, être même le but de son voyage alpin, pour celui qui a gravi les 82 sommets de 4000 mètres des Alpes en dix-neuf jours. Un enchaînement élevé au rang de voyage subsonique alpin, Kilian a relié – le mot est important – les sommets les uns aux autres à une vitesse jamais vue auparavant, en faisant une tresse de sommets par massif même quand cela l’a obligé à des journées gargantuesques, avec une dizaine de sommets et un dénivelé énorme. Kilian Jornet nous prévient : cette aventure fut d’abord un « voyage intérieur, une quête pour découvrir qui je suis, mes motivations, mes peurs et mes limites ». Les 82 sommets, pour Kilian, sont « l’excuse », écrit-il, « le cadre dans lequel cette quête a pu être menée ».

parler de records serait déprécier l’expérience que j’ai vécue

S’il est naturel, évident, de revenir transformé d’un tel voyage, d’un tel engagement, souvent en solitaire mais moins que l’on pourrait croire – Kilian révèle avoir été seul sur 48 sommets, et accompagné sur 34 – il est important d’écouter ce qu’il nous dit en préambule : « parler de records serait déprécier l’expérience que j’ai vécue. J’ai été profondément inspiré par la vision de Patrick Berhault, par le premier enchaînement de 4000 de Martin Moran et Simon Jenkins, par les exploits de Franz, Diego et Ueli. Mais bien que nous ayons suivi des principes similaires, nous n’essayions pas de battre des records. Au contraire, nous voulions explorer les Alpes en reliant ces sommets par nos propres moyens, sans nous concentrer sur la performance extérieure

Berhault s’est tué au Täschhorn en tentant ces 82 4000, tandis qu’en 1994 les britanniques Moran et Jenkins furent les premiers à enchaîner les 82 d’une traite et sans moyen motorisé. Tandis que les italiens Diego Giovannini et Franco Nicolini établissaient un record de 60 jours en 2008, et Steck 62 jours en 2015.

Avec Mathéo Jacquemoud, sur les arêtes du Valais. ©Kilian Jornet

On ne peut pas s’abstenir de voir dans ce voyage des 82 4000 une suite et une conclusion de sa traversée des 3000 des Pyrénées : Éternel perfectionniste, examinateur implacable de son corps, Kilian Jornet a sans doute voulu améliorer, transformer dans les Alpes ce qu’il n’avait qu’imparfaitement ébauché dans les Pyrénées. Il insiste à plusieurs reprises sur le fait d’avoir le même poids au départ et à l’arrivée – 54 kilos – alors qu’à l’issue des Pyrénées il avait perdu dix kilos.

Autre préambule important : les connections. Derrière ce terme usé d’abord pour un groupe WhatsApp où il a rassemblé des infos, les Alpines Connections sont devenues une philosophie.

« Les connexions sont physiques, enracinées dans l’esthétique des itinéraires, dans l’idée qu’une fois que j’aurais atteint une chaîne de montagnes, je resterais là-haut à relier les sommets et ne descendrais pas, me déplaçant continuellement ou me reposant dans des refuges ou des bivouacs jusqu’à ce que tous les sommets soient reliés avant de passer à une autre chaîne de montagnes. »

ne pas redescendre en vallée, ce qui pour Kilian a été la clé de sa rapidité, mais surtout sa motivation profonde : rester là-haut, ne pas redescendre

Principe qu’il a appliqué tout au long sauf une fois en Valais où la tempête l’a conduit à redescendre en vallée après la Nadelgrat (effectuée en aller-retour depuis le Nadelhorn !) avant de remonter.

Ce principe – ne pas redescendre en vallée, est ce qui pour Kilian a été la clé de sa rapidité, mais surtout sa motivation profonde : rester là-haut, ne pas redescendre. Il livre ainsi le nombre de levers et de couchers de soleil admirés. Il n’a jamais caché avoir cette assistance, des relais, amis, sa mère, qui amènent victuailles et vêtements de rechange en refuge, ou sur les points hauts, les cols. Mais sur les arêtes, chemin naturel privilégié pour enchaîner les sommets, il était seul, souvent. Avec le plus difficile : prendre des décisions.

« J’ai pris des décisions dont je ne suis pas fier et que je dois revoir. Cela m’a amené à réfléchir à la raison pour laquelle j’ai parfois poussé trop loin, acceptant certains risques que je trouve consciemment déraisonnables » écrit Kilian, comme il nous l’avait déjà confié peu après.

D’autres jours ont été tout simplement fluides, sans tension. Kilian a trouvé ce qu’il est venu chercher : « j’ai ressenti une profonde connexion avec la montagne. L’effort n’existait plus, le temps s’arrêtait, mon corps faisait corps avec l’environnement. C’est pour ces moments-là que je vis. »

Descente de la Dent d’Hérens avec Mathéo. ©Kilian Jornet

Le tableau alpin n’est pas idyllique au mois d’août. Loin s’en faut, comme on va le voir plus loin. En préambule, Kilian explique avoir quitté les Alpes (et la vallée de Chamonix) il y a 8 ans. « J’ai été ébranlé par les changements survenus sur ces sommets et ces glaciers. Les effets du changement climatique sur la disparition des glaciers et la fonte du permafrost sont énormes. Les itinéraires ont changé, les conditions sont devenues plus dangereuses, les montagnes s’effondrent littéralement. » Kilian Jornet renvoie vers sa fondation où participent les meilleurs spécialistes (JB Bosson, Heïdi Sevestre) pour informer, et relayer.

Mais comment a-t-il tenu pendant dix-neuf jours un tel rythme ? Comment tenir une telle concentration ? Au chapitre équipement, il n’était chaussé que de chaussures de trail, de sa propre marque Nnormal, des Tomir 2, dont il a usé « trois paires ». 

Kilian Jornet précise, non sans humour, que « ce sont des chaussures souples qui conviennent bien à la course, à la marche et à l’escalade en adhérence, mais qui nécessitent une bonne cheville et une technique de 10 pointes pour l’escalade de glace avec crampons. » Les crampons sur ces baskets ? Un beau bricolage avec un corps de Petzl Lynx, avec un étrier avant Grivel et une fixation arrière Edelrid…

« Pour continuer à avancer, quelles que soient les conditions, le temps ou l’équipement que j’avais avec moi, j’ai dû me pousser jusqu’à la limite absolue de mes connaissances et au-delà pour réussir à passer. » Qu’il concède avoir dû aller au-delà donne une idée de l’énormité du défi relevé.

« L’effort était physique, technique, mais surtout mental, dans la gestion du stress et des émotions. La partie la plus difficile d’un tel voyage était de rester pleinement concentré pendant tant d’heures par jour et de réduire le stress dans des situations compliquées, de rester lucide et de prendre de bonnes décisions ».

Voici nos morceaux choisis.

Extrait du journal de Kilian : Cervin, Dent d’Hérens, Weisshorn. Valais. 

Le matin, Kilian Jornet gravit l’arête du Hörnli au Cervin, descend par l’arête du Lion. Puis il gravit la très longue arête qui mène à la Dent d’Hérens, puis descend au refuge Aosta. Après coup il s’apercevra qu’il n’est que la troisième personne de la saison à l’emprunter après un guide et son client. Il est rejoint en fin de journée par deux compagnons avec lesquels il traverse Tête Blanche et sa zone crevassée et atteignent la cabane de la Dent Blanche pour le dîner, où Mathéo Jacquemoud l’a rejoint. La soirée (!) est consacrée à l’ascension en aller-retour de la Dent Blanche avec Mathéo. Dans la nuit il rejoint la cabane Schonbiel, dort une heure, avant de repartir pour l’Arbengrat et l’Obergabelhorn avec Mathéo. Après la traversée de ce sommet, Kilian poursuit en solo en traversant le Zinalrothorn, puis atteint le pied du Weisshorn dans l’après midi de cette deuxième énorme journée. Un enchaînement de 40 heures quasiment non-stop.

Kilian Jornet : « L’arête du Weisshorn est très longue et n’est pas facile. En 2015, je l’ai faite dans la direction opposée et je me souviens de plusieurs rappels, de quelques descentes techniques et d’un gendarme complet qui s’est effondré quelques minutes après que nous l’ayons descendu. J’ai vu qu’il me restait environ 5 heures avant le coucher du soleil et je voulais avoir passé les parties difficiles de l’arête sud du Weisshorn à la tombée de la nuit. (…) Je me sentais bien, peut-être à cause de l’adrénaline, mais j’ai rapidement atteint le bivouac et je me suis senti soulagé d’avoir quelques heures pour escalader l’arête sud avant la tombée de la nuit. Au bivouac, il y avait une équipe allemande qui cuisinait et se préparait à grimper le lendemain. Nous avons échangé quelques mots, mais je n’ai pas perdu de temps avant de commencer l’ascension de cette magnifique arête.

Le Weisshorn est l’une de mes montagnes alpines préférées. Il n’y a pas de voie facile pour atteindre le sommet, même s’il est éclipsé par son voisin le Cervin. (…) Ce que j’ai vécu là restera gravé dans ma mémoire toute ma vie. Je me sentais sans effort, comme si je flottais dans un nuage pendant que je grimpais sur l’arête. Le soleil se couchant à l’ouest et les nuages à l’est m’ont offert le cadeau d’un spectre de Brocken qui m’a suivi tout au long de l’ascension, reproduisant tous mes mouvements dans le ciel. À un moment donné, je ne pouvais plus dire si j’étais vraiment là ou si c’était un rêve.

J’ai atteint le sommet avant le coucher du soleil et, après avoir profité d’un des couchers de soleil les plus fous que j’aie jamais vus, j’ai commencé à descendre l’arête nord. Cette arête n’est pas une plaisanterie. Bien qu’elle soit beaucoup plus courte que l’arête sud, elle implique plusieurs gendarmes, quelques arêtes de glace étroites et de l’escalade raide. Comme je commençais à me sentir fatigué – j’avais grimpé pendant plus de 40 heures avec très peu de sommeil – j’ai décidé de descendre en rappel le gendarme le plus raide au lieu de descendre l’arête. Dans le passé, j’avais toujours descendu et suivi l’arête, mais je savais qu’il était possible de descendre en rappel plus bas et de traverser sur des corniches sous l’arête. Ce fut une mauvaise décision. Soit l’obscurité de la nuit m’a empêché de trouver le meilleur chemin, soit ces corniches se trouvaient sur du très, très mauvais rocher. Quoi qu’il en soit, je devais concentrer toute mon attention sur le fait de ne pas faire tomber toute la montagne avec moi. Après quelques heures d’attention, j’ai enfin pu me détendre et remonter le Bishorn jusqu’à la Cabane Tracuit, où les gardiens m’avaient préparé de bons petits plats chauds. »

Coup d’oeil dans le rétro, avec le Zinalrothorn gravi peu avant dans la journée, la Dent Blanche à droite et le Cervin gravis la veille.
©Kilian Jornet

Le Weisshorn en plat de résistance. 
©Kilian Jornet

Extrait du journal de Kilian Jornet : Aiguille Verte, Droites, massif du Mont-Blanc.

En guise de première journée dans le Mont-Blanc, Kilian Jornet s’est encordé avec Michel Lanne, Bastien et Mathéo pour gravir la voie normale des Grandes Jorasses d’une traite, traverser les Jorasses, les arêtes de Rochefort puis la Dent du Géant, avant de descendre le même jour la Vallée blanche  via le refuge du Requin puis de remonter passer une courte nuit au refuge du Couvercle.

Kilian Jornet : « Je me suis réveillé à quatre heures et, après un petit déjeuner, je suis parti du refuge pour contourner l’Aiguille du Moine. Physiquement, je me sentais bien, mais mon corps était fatigué. Je savais que les risques que je prendrais ce jour-là seraient élevés. J’avais un peu l’impression d’aller à l’abattoir. J’ai traversé la rimaye aux premières lueurs du jour et j’ai commencé à grimper l’arête du Moine en direction de l’Aiguille Verte. L’arête dont je me souvenais n’existait plus. Les multiples chutes de pierres et effondrements avaient changé sa forme et elle était devenue une voie assez instable. J’ai rencontré Simon Elias à mi-chemin, où il avait quelques outils et du matériel [de cristallier, ndlr]. Il semblait que la voie pouvait s’effondrer d’un jour à l’autre. J’ai continué jusqu’au sommet de l’Aiguille Verte. (…)

Depuis le sommet, une étroite arête de neige m’a conduit au sommet de la Grande Rocheuse. De là, la descente et la montée à l’Aiguille du Jardin ont commencé à me donner une idée de la journée qui allait suivre. (…) L’Aiguille du Jardin est une très belle tour et les vues sont assez incroyables, mais mon esprit était tourné vers ce qui allait arriver. C’était probablement le dernier endroit où je pouvais décider de faire demi-tour et de redescendre en toute sécurité. J’ai décidé de continuer. La descente à partir de là n’a pas été très agréable. J’ai fait quelques rappels dans de mauvais bequets et de vieilles sangles. Une grande partie de la paroi dans laquelle j’ai fait un rappel s’était effondrée peu de temps auparavant. Je pouvais voir le permafrost exposé au soleil, avec de gros blocs de la taille d’une voiture qui restaient, que j’ai descendus en rappel. J’ai essayé d’aller le plus vite possible, en descendant en rappel, pour éviter le plus possible d’être exposé à cela. Un peu plus à ma droite, de temps en temps, de gros blocs de roche s’effondraient, entraînant avec eux de grosses avalanches de pierres.

Je ne suis pas quelqu’un de très stressé en général. Je pense que cela me donne un avantage dans la plupart des cas, lorsque je participe à des courses ou à des projets comme celui-ci, où la concentration et le fait de rester calme en permanence sont essentiels. Mais c’est l’une des rares fois où j’ai eu l’estomac noué pendant des heures. Je ne savais vraiment pas si j’allais y arriver.

Lorsque j’ai atteint le sommet des Droites, je n’ai pas vraiment apprécié et j’ai commencé à chercher le meilleur moyen de redescendre. Le col des Droites semblait être couvert de neige mais en fait le couloir était une piste de bowling [avec des chutes de pierres, ndlr] . J’ai décidé de descendre l’éperon et d’essayer de traverser les champs de neige depuis le Col des Droites quand j’en aurais l’occasion. La descente s’est déroulée sans problème lorsque je suis resté sur le fil puis j’ai atteint la neige. Je me suis senti en sécurité pour la première fois depuis des heures. Je me suis dit qu’aujourd’hui, je n’allais pas mourir. (…)

C’était un sentiment étrange, de ne pas être bien avec moi-même et avec la décision que j’avais prise de continuer ce jour-là. Je veux dire que les petites décisions – où descendre en rappel, où passer, comment descendre ou comment se protéger – ont été bonnes et c’est ce qui m’a permis de rester en vie, mais la décision de continuer au premier sommet n’était pas quelque chose de satisfaisant pour moi. »

La traversée cauchemardesque du chaînon Verte – Droites
©Kilian Jornet

L’arête de Bionnassay (en aller-retour), dégarnie par le réchauffement climatique.
©Kilian Jornet

La gueule du Grand Pilier d’Angle au petit matin, vue du col Eccles. 
©Kilian Jornet

Extrait du journal de Kilian, mont Blanc, Brouillard et Grand Pilier d’Angle

Après sa dure journée sur le chaînon Verte-Droites, Kilian Jornet remonte la Vallée blanche pour atteindre Torino en début de soirée. Le lendemain, c’est la dernière étape du massif, l’avant-dernière journée dans le massif, épique, incroyable, qui débute tôt le matin par la traversée des Aiguilles du Diable avec Mathéo Jacquemoud et Noa Barrau, le Maudit puis le mont Blanc. De là Kilian fait un aller-retour au Dôme du Goûter puis à l’Aiguille de Bionnassay, où il est surpris de voir des portions rocheuses sur une arête habituellement en neige. Il remonte au mont Blanc dans l’après-midi, et descend (!) l’arête du Brouillard, avec certains passages en 4ème degré qu’il désescalade avec un seul petit rappel.

Kilian Jornet : « La nuit est tombée au col Rey, j’ai pris ma lampe frontale et laissé mon sac à dos. J’ai suivi la crête assez rapidement jusqu’à la Pointe Baretti et retour. Parfois, il y avait beaucoup de brouillard et la nuit, j’ai utilisé la fonction trackback [GPS] pour ne pas perdre mon chemin jusqu’au col. Là, j’ai descendu le couloir de neige jusqu’au Glacier du Brouillard. Jusqu’à ce point, tout m’a semblé étonnamment facile et fluide.

En traversant le glacier, j’ai remarqué quelques chutes de pierres provenant de la face du Brouillard et de la branche droite du Col Emile Rey. Quand j’ai commencé à monter vers le col Eccles, j’ai trouvé une énorme crevasse sur toute la longueur du glacier. J’ai regardé autour de moi mais je n’ai pas trouvé de moyen facile de la traverser. Merde ! Après avoir réfléchi un peu, je suis retourné voir s’il était possible de descendre/aborder le Glacier du Brouillard pour contourner les rochers et monter au bivouac d’Eccles par la voie normale, mais le glacier était assez pourri et je n’ai pas trouvé de chemin raisonnable.

Un peu déçu, je me suis dit que la seule solution raisonnable serait de remonter au Col Emile Rey et de descendre l’arête intégrale du Brouillard jusqu’au Val Veny et le lendemain de remonter par la voie normale jusqu’à Eccles et jusqu’au Frêney…

Lorsque j’ai traversé le glacier en direction du couloir Emile Rey, une grosse chute de pierres s’est produite depuis le sommet. Je ne voyais pas grand chose mais j’entendais les rochers frapper la paroi et le bruit énorme d’une montagne qui s’écroulait au-dessus de moi. J’ai couru pour me couvrir le mieux possible sur le glacier ouvert et quelques secondes plus tard, dans le faisceau de ma lampe frontale, j’ai vu des rochers de la taille d’un ballon de basket voler dans les airs. Après quelques secondes de chaos, le bruit s’est calmé et un épais nuage de sable et de poussière m’a recouvert pendant les dix minutes suivantes. Je l’ai échappé belle ! Il n’était pas question de remonter là-haut, il fallait donc trouver une solution dans cette crevasse.

Je suis revenu sur mes pas et j’ai trouvé un pont de neige dans la crevasse qui pouvait me mener à l’autre paroi. J’ai ensuite grimpé les quelque cinq mètres avec le piolet dans une main et une vis à glace dans l’autre pour progresser. C’était lent mais sûr. Après quelques recherches, j’ai trouvé un chemin sur le rocher pour grimper jusqu’au bivouac Eccles et je suis entré dans l’abri assez ému.»

Le lendemain, Kilian Jornet trouve le courage, et le moyen de gravir en aller retour le Grand Pilier d’Angle, constamment balayé par les chutes de pierre, puis l’Aiguille Blanche de Peuterey, avant de descendre dans le Val Veni. Il ne lui reste plus qu’à gravir le Grand Paradis et les deux 4000 des Écrins, une formalité, pour mettre un point final à cette fantastique chevauchée alpine. Sans doute son chef d’oeuvre, une épopée extraordinaire.