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Kilian Jornet, l’ultra alpiniste

Il est loin le temps où Kilian Jornet affolait uniquement le coeur des traileurs, avec un premier UTMB stratosphérique et une banane – oui, ce sac qui rebondit sur les fesses – pour 160 kilomètres. C’était en 2008, la Mer de Glace méritait encore son nom.

Cette semaine la grand-messe du trail running rassemble des dizaines de milliers de fans à Chamonix, et l’UTMB Group tente toujours de faire passer ses dix mille coureurs et leurs vingt mille copains pour des amoureux des grands espaces et de la nature.

Tandis que Chamonix sera littéralement enfouie sous une épaisse couche de bruit, d’endorphines et de merchandising, un ex-coureur de l’UTMB va non pas tourner autour du massif, mais le survoler, à pied, à plus de 4000 mètres : Kilian Jornet.

Kilian Jornet dans le Valais © Nick Danielson

Comment résumer ce que Kilian a accompli jusqu’ici, avec ce projet fou baptisé Alpine Connections ? – Merci Kilian pour le nom, au passage. Enchaîner les 82 sommets de plus de 4000 mètres des Alpes est une gageure que certains passionnés mettent dix ans à accomplir. Dans tous les cas c’est un voyage alpinistique, avec son lot de grands sommets, d’arêtes délicates voire difficiles, de descentes hasardeuses et de rimayes compliquées.

En seulement 7 jours, Kilian Jornet en a gravi la moitié. La moitié des 4000 des Alpes, en une semaine ? Non seulement il les gravit, mais les relie à pied ou à vélo. Il n’a pris ni remontée mécanique ni voiture. Si son voyage n’était pas aussi documenté, et s’il ne s’agissait pas de Kilian Jornet, l’exploit serait impossible à croire.

La moitié des 4000 des Alpes, en une semaine ? Non seulement il les gravit, mais les relie à pied ou à vélo

Le Zinalrothorn ©Nick Danielson 

Depuis la fin de semaine dernière, Kilian Jornet a ajouté dix sommets à sa collection. Et pas des moindres. Lors de ce périple valaisan, il a ainsi enchaîné cinq jours d’ultra alpinisme, dont quatre journées de 19 heures. Sa huitième étape ? Départ à 7h du matin du Hörnli pour le Cervin (4478 m.) puis il enchaîne la Dent d’Hérens (4173 m) – avec Mathéo Jacquemoud – puis il finit la journée par la Dent Blanche (4357 m).

Le lendemain est encore plus incroyable : Kilian enchaîne cinq sommets : l’Ober Gabelhorn (4064m), Zinalrothorn (4221m), Bishorn (4151m) et le Weisshorn (4506m). La très longue et délicate arête du Weisshorn au coucher du soleil a été une expérience unique.

« Pour moi, le Weisshorn est l’une des plus belles montagnes des Alpes. Attraper le soleil pour gravir l’arête sud du Weisshorn était spécial car j’avais très peur d’entrer dans la face dans l’obscurité. C’est une grande escalade, très technique et très longue et j’avais besoin de parcourir toutes les arêtes au rocher délicat avant la nuit. L’ascension du Weisshorn a été l’un des meilleurs moments de ma vie ! Grimper là, avec ce rocher magnifique, et juste voir le coucher de soleil et un spectre de Brocken… c’était très spécial » a déclaré Kilian, qui, depuis, a ajouté les Combins à sa liste de 4000. Soit 51 sommets en 9 jours. 

Départ de Kilian pour le Cervin ©Nick Danielson

Le spectre de Brocken sur le Weisshorn ©Kilian Jornet

L’ascension du Weisshorn a été l’un des meilleurs moments de ma vie. kilian Jornet

Sur les réseaux certains s’interrogent : quel est le sens de tout cela ? Kilian se met-il en danger ? A-t-il encore du respect pour la montagne ? se demandent ses contempteurs. Le sens ? Traverser les Alpes par les 82 sommets de 4000 est sans doute l’une des plus belles prouesses alpines. Le faire à cette allure constitue un authentique exploit. Et oui, enchaîner des arêtes valaisannes est une activité à risques. Un exploit réalisé sans moyen motorisé !

Kilian a fait ses gammes dans le trail, explosé pas mal d’horaires dont l’arête nord de l’Everest en 2017. Il courait sur l’arête de l’Innominata, de la vallée au sommet du mont Blanc, en 6h22, il y a douze ans déjà.  Kilian a sans doute encore progressé, chez lui, en Norvège, où il a beaucoup fait d’alpinisme technique.

Avec ces Alpines Connections, Kilian Jornet réinvente l’alpinisme. C’est un ultra alpinisme, où l’endurance extrême croise un niveau alpin soutenu, ce qui implique un niveau mental adéquat avec une concentration permanente, et bien souvent, l’absence d’échappatoire.

L’ultra alpinisme existe, et Jornet, avec un certain Védrines, en est l’un des rares prophètes – mais on pense aussi à Filip Babicz et Dani Arnold qui ont poussé très loin le curseur vitesse et escalade difficile. Pour lui comme pour ceux qui se contentent d’alpinisme sans ultra, le dépassement de soi rencontre le bonheur d’être là-haut, comme sur la pointe rêvée du Weisshorn.