
Ne me dites pas que ça ne vous est jamais arrivé ! Marche d’approche, tout va bien. Le sentier qui démarre par un GR est mieux balisé que les abords d’un vaccinodrome. Impossible de sortir du rang. Walk the line et randonne. Puis un cairn, vigie minérale et porte d’entrée vers un autre monde, avec par ordre décroissant de visibilité : des « bons sentiers », des « vagues sentes », et autres « « au mieux dans le pierrier ». On avance moins vite d’un coup.
Evidemment, le topo commence à en prendre pour son grade. Mal indiqué ce départ de voie !
Un soupçon de doute vous cueille dans ce jardin de rhododendrons et de certitudes. Appli IGN Rando plein écran, topo Piola, page web C2C, croquis du copain, tout est dans la poche ou le smartphone et tout est vain pour vous guider vers le départ de l’itinéraire. Pire : vous n’êtes pas sûr de reconnaître la montagne elle-même avec ce brouillard matinal persistant.

C’est sûr que de l’autre côté, c’est un peu plus évident. ©Ulysse Lefebvre
Se produit alors un phénomène étonnant, une véritable transition cognitive (concept inventé à l’instant), une brèche dans votre lucidité. Vous repérez un départ engageant, un socle rocheux où, c’est sûr, ça passe ! Dès lors, votre regard ne parvient plus à s’en décrocher. C’est sûr c’est là ! Le caractère débonnaire des premiers pas vous rassure, le rocher fracturé et penché au-dessus semble correspondre à la cotation générale de la voie, accessible. Et parce qu’aujourd’hui vous avez décidé de grimper seul (c’est comme ça et c’est un autre débat), nul ne peut venir vous contredire. Manquerait plus que ça !
C’est que se perdre prend du temps
A ce moment là, tout devient évident, selon vous. Un œil sur le topo, un autre sur la paroi qui émerge timidement du brouillard. Votre impatience à grimper expédie l’analyse : les deux immenses vires du topo deviennent de vagues sentes ; le dièdre évident est sûrement ce mur (plutôt péteux) ; l’arête sud doit être celle qui démarre à vos pieds (même si elle est plutôt orientée à l’ouest, c’est pareil, ça doit rejoindre), et les deux pitons par longueur que vous n’avez pas vus, c’est que vous avez dû grimper trop vite (quel athlète !). Le cœur s’emballe mais, heureusement, la raison le rattrappe après quelques dizaines de mètres d’escalade.

Alors que là… ©Ulysse Lefebvre
Et si ce n’était vraiment pas là ? Le doute m’assaille, il faut que j’me taille. Désescalade, rappel, réchappe. Et le brouillard qui se lève pour révèler le bout de rocher sans nom, quelque-part sous l’Encrenaz, la Remuaz, ou la Cépalaz. Et l’aiguille visée, la bien nommée Persévérence, quelques 300m plus haut, à un bon quart d’heure de marche encore. Mais il est maintenant trop tard pour s’y engager.
C’est que se perdre prend du temps. Ne reste plus qu’à se remonter le moral avec une crêpe au lac Blanc. Et, penaud, garder cette histoire pour soi. Promettez-moi que vous ne la répeterez pas.