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Aventure sur les hauts sommets d’Ouganda

Deux baroudeuses au mont Margherita, Rwenzori

Au sommet du pic Margherita, 5 109 m, en pleine tempête ©Sophie Martin

Lauréates des Bourses Expé 2021, les Pyrénéennes Sophie Martin et Coralie Biard se sont frottées aux plus hauts sommets du parc des Rwenzoris, en Ouganda. Si elles souhaitaient gravir les 5 plus hauts sommets du parc, dont le culminant le pic Margherita à 5 109 mètres, la météo et la jungle africaines ont un peu malmené leur projet. Récit et photos d’une aventure décalée, dans ces terres de l’Afrique orientale tellement éloignées des nôtres.

Nous faisons partie de la Fédération française des clubs alpins de montagne (FFCAM) au sein de laquelle nous encadrons une équipe féminine d’alpinisme, l’EPAF (le P pour Pyrénéenne, NDLR). Cette équipe, comme de nombreuses autres équipes de la FFCAM, a pour but de proposer un cadre idéal pour progresser : les membres étoffent leur liste de courses et deviennent peu à peu autonomes sur tous types de terrains en montagne.

Le projet de la Bourse Expé n’était pas inclu dans le cycle de formation de l’EPAF, mais les filles du groupe voulaient vivre une “aventure”, découvrir des sommets dans un lieu insolite. Nous sommes excitées de vivre une expédition entièrement féminine et curieuses d’aller fouler pour la première fois le sol africain pour gravir les plus hauts sommets de l’Ouganda, le pic Margherita en tête, point culminant à 5 109 mètres (monts Rwenzori, ex-Ruwenzori). En novembre on s’équipe de capes de pluie, de moustiquaires, de bottes en caoutchouc. On demande nos visas, enchaîne les vaccins (fièvre jaune, rage, typhoïde…) et le traitement contre le paludisme… Début décembre, nous avons tout ce qu’il faut pour affronter la boue et la forêt africaines !

Nous devrons tout payer en argent liquide

1er jour du trek en forêt ougandaise. Les porteurs en action en partance pour Nyabitabe camp  ©Sophie Martin

Attentats

Mais tout bascule en un week-end. Des attaques ciblées de l’ADF, groupe affilié à Al-Qaïda, ont eu lieu en Ouganda contre le gouvernement et les forces de l’ordre. Le doute et l’angoisse s’emparent des filles, puis toutes se désistent. Avec Coralie, « Coco », nous évaluons la part de risque, les possibilités d’un repli… Nous retenons surtout la chance que nous avons de réaliser une aventure un peu folle et nous décidons de maintenir le voyage. Les discussions s’enchaînent avec l’équipe et nous tombons d’accord : je partirai avec Coralie et nous ramènerons de belles images !

J-2, dimanche 12 décembre. Il nous faut obtenir le Graal : le test PCR négatif au Covid. Suspense… Bingo, pas de Covid ! Nous pouvons partir et commencer l’empaquetage des sacs. Notre contact sur place nous informe que nous devrons tout payer en argent liquide. Nous n’avons pas le temps de braquer une banque, nous jonglons avec nos cartes bancaires et finissons par rassembler les sommes demandées… un beau tas de billets !

Le paquetage ©Sophie Martin

La monnaie… ©Sophie Martin

Près de 100 kilos de bagages

Jour J, mardi 14 décembre. À 6 heures à l’aéroport de Toulouse nous remplissons un tas de formulaires et nos quatre bagages de 23 kilos chacun partent en soute. À 23h30, après un long vol, on perçoit déjà le changement de température… Nos pieds touchent le sol africain à l’aéroport d’Entebbe. Tests Covid, formulaires, autorisations à payer, bagages à récupérer puis nous retrouvons Joseph, notre chauffeur de taxi, qui nous conduits à Kampala, la capitale de l’Ouganda.

Le mercredi 15 décembre, nous nous réveillons enthousiastes : ce soir nous serons aux portes des Rwenzoris ! Huit heures de route nous attendent, de quoi faire connaissance avec Ken notre intermédiaire sur place. Nous atteignons Fort Portal en fin de journée, découvrons le pays et la cuisine locale.

12 jours dans les montagnes et… la boue !

Avant de pénétrer dans le parc des Rwenzoris, nous faisons connaissance avec notre staff : guides, cuisiniers et porteurs… Ils sont 12 ! Nous sommes un peu effrayées par le nombre mais nous n’avons pas le choix. À l’approche de Noël, les locaux veulent travailler et il nous est difficile de refuser leurs services.

Nous débutons le 16 décembre un trek en début d’après-midi, à partir de Nyakalengija (1615 m). Il fait chaud, moite, humide, la végétation est extrêmement dense, les arbres et les plantes de toutes tailles nous barrent souvent le chemin, la mousse et les lianes nous dépaysent… La boue règne, épaisse, collante et sombre. Nous faisons néanmoins facilement 1000 m de dénivelé malgré nos gros sacs et arrivons vers 17h30 à la cabane de Nyabitabe (2651 m). Toilettes rustiques, eau froide, mais les lits ne sont pas si inconfortables et on a de la lumière !

Montée vers Nyabitabe camp ©Sophie Martin

Le deuxième jour sera le dernier jour
de soleil de toute l’expé

Le deuxième jour s’annonce plus rude : il s’agit d’atteindre John Matte Hut (3505 m) en traversant le long marais de Mubuku. On découvre plusieurs plantes et fleurs, les majestueux Lobelia. Rivières, cascades cristallines, forêt dense, falaises moussues, zones marécageuses, chaos de cailloux… Nous n’avions jamais rien vu de tel ! On arrive tôt et les guides sont surpris par notre allure. On profite d’une collation au soleil et même d’un brin de toilette à l’eau chaude… La première fois depuis notre arrivée en Ouganda. On ne le sait pas encore, mais ce sera le dernier jour de soleil de tout le séjour !

Le troisième jour le staff nous accorde un réveil à huit heures. Coco a cauchemardé toute la nuit et on réalise que c’est un effet indésirable de la malarone, le traitement contre le paludisme. On l’interrompt, d’autant plus que nous allons franchir la barre des 3500 mètres d’altitude et que les moustiques seront moins présents.

 

Les monts Stanley et le pic Margherita vus de John Matte hut ©Sophie Martin

Le camp John Matte ©Coralie Biard

La cuisine à John Matte ©Coralie Biard

Rien de difficile sur le papier, mais on se méfie

L’épaisse forêt laisse place à des paysages plus ouverts, avec de longs passages sur des ponts au-dessus des marais, de vagues traces en bordure de rivière et… toujours plus de boue ! On aperçoit furtivement des daïka, petites biches africaines. Nous rejoignons rapidement le Bujuku Lake, beau lac coincé entre le mont Baker (4 844 m), les monts Stanley – dont le pic Margherita culmine à 5 109 m – et le Speke (4 890 m). On arrive peu après au Bujuku Camp (3962 m), « the heart of the mystical challenge », si l’on en croit le panneau à l’entrée.

Acclimatation au mont Speke

Notre vedette, le chef cuisinier Moris, « Momo », vient nous demander ce que l’on veut manger ce soir : « so, for the dinner, today, you have 2 options… ». On a toujours deux options à tous les repas avec lui, c’est royal. Il nous invite le voir préparer à manger : un beau moment de partage. Nous faisons le point sur le matériel avec les guides Josphat et Justus, impressionnés et envieux… Coco leur offre un jeu de dégaines et une broche à glace, ce qui les ravit. L’objectif de demain dimanche 19 décembre est de gravir la voie normale du mont Speke, en guise d’acclimatation. Rien de très difficile sur le papier mais on se méfie, ça a l’air assez long avec environ 900 m de dénivelé.

Le début se passe dans la boue, les bottes sont obligatoires, le caillou est moussu et glissant, bien loin du granit chamoniard ou du calcaire espagnol. Nous avons le baudrier, les crampons, le casque, la corde dans le sac, mais avec les premières lueurs de soleil, pas de neige en vue, ni de pierrier, juste des palmiers et de la boue… Allons-nous vraiment voir des montagnes comme nous l’entendons chez nous ?

Petite variante grimpante pour Sophie, dans l’ascension du mont Speke ©Coralie Biard

Au sommet du mont Speke, 4 890 m ©Coralie Biard

c’est une ambiance de Ben Nevis

Nous poursuivons une heure et demie dans cette végétation d’un autre monde puis nous basculons dans celui des cailloux. On laisse tomber nos bottes pour mettre les chaussures d’alpinisme et le passage d’un mini surplomb nous réjouit. On atteint la neige vers 4500 m, on louvoie entre les cailloux poudrés de neige, l’itinéraire est parfois surprenant et nous n’aurions pas forcément choisi les mêmes options que les guides. Sommet du Speke atteint à 10h du matin, en un temps record de 4 h (classiquement donné en 6 h). Coco subit un énorme mal des montagnes : sa tête est prête à exploser et ses mains se sont transformées en ballons de baudruche.

On prend quelques photos mais on ne traîne pas, il se met à neiger fort. La tempête s’intensifie et c’est maintenant une ambiance de Ben Nevis, tout est devenu blanc et flou. La progression est lente, nos gants, pantalons et goretex sont rapidement trempés. Après environ 2 heures de descente, on quitte les cailloux pour retrouver la végétation et là… C’est le déluge ! La course d’alpinisme se transforme en rafting. Ça fait floc-floc dans les chaussures, les guides se lancent dans des parties de toboggans géants sur des dalles glissantes… Avec Coco nous rions mais on est en train de saccager nos chaussures et nous craignons pour la suite de l’expédition. Des dalles couchées pleine d’eau nous permettent une nouvelle discipline : le climbing water, ce qui convient très bien au thème de notre expé « go with the flow »…

Ambiance mixte écossais dans la montée au mont Speke, en aller-retour depuis Bujuku camp ©Sophie Martin

On rejoint le camp vers 14 h avec un sentiment mélangé d’agacement contre les choix d’itinéraires de nos guides et de joie d’avoir vécu une telle aventure. Mais une fois réchauffées, on en rit. Nous mettons ensuite au point notre stratégie de « tips » avec Coco. En général, les tips se donnent à la fin, mais ils peuvent être détournés par les managers et ce n’est pas si facile de faire en sorte que l’argent revienne à la bonne personne… Malgré les mises en garde d’Aneth, la chef des porteurs, on décide de donner les tips en main propre à chacun d’eux. Le lendemain commence en demi-teinte : toutes nos affaires sont trempées et celles qui devaient sécher près du feu ont brûlé… La pluie nous impose un rest-day, je sors la barre à tractions et m’impose des séries.

Justus, un bulldozer

L’objectif du 6ème jour est de rejoindre Elena Hut (4 541 m). Nous n’avons pas très bien dormi et nous nous réveillons avec un bon rhume : ça commence à ressembler à une vraie expé ! On doit se faire violence et lutter contre nous-mêmes pour rester mobilisées, nous avons encore de beaux sommets à gravir ! Départ vers 8h45, directement avec les bottes, capes de pluie, gore-tex et surpantalon. Justus prend la tête de la marche et à son habitude opte pour l’option bulldozer en coupant au plus court, mais pas toujours au plus évident !

Nous adoptons un rythme lent. Le slogan de la journée est “slowly but surely”, pour terminer de s’acclimater à l’altitude. Après les marécages, un passage avec des échelles donne accès à un chemin plus pierreux. Arrivées au campement au bout de 3h30, nous constatons la vétusté et la saleté des cabanes : les cuisiniers et les porteurs vont nous attendre dans de terribles conditions et on s’interroge sur le sens d’un tel voyage…

Passage de crevasses équipés d’échelle, vers Elena’s camp ©Coralie Biard

Elena’s camp, 4 541 m, accroché aux montagnes ©Sophie Martin

Vent et gel au pic Margherita

7ème jour, mercredi 22 décembre. L’objectif est de gravir à la journée les trois sommets les plus hauts de l’Ouganda : l’Albert à 5 087 m, l’Alexandra à 5091 m et le Margherita à 5109 m. À 3h30 nous partons avec nos guides Josphat et Justus. Coco a toujours un gros mal de crâne, une brume épaisse nous bouche la visibilité. Frontales sur le front, cordes et baudriers dans les sacs pour le moment, nous nous élevons progressivement dans des gradins de cailloux en face de Elena Hut. Des cordes fixes aident par endroits à la progression, les guides en sont friands mais nous préférons utiliser le caillou, nous prémunir de gros ballants potentiels sur ces cordes !

Beaucoup de vent, pas de soleil, ni de vue

Avec Josphat au sommet du pic Margherita, 5 109 m ©Sophie Martin

Sur le glacier Stanley, atteint au bout d’une heure environ, nous nous équipons des baudriers et des crampons. Le glacier ne présente aucune crevasse alors la corde reste dans le sac. Une fois ce premier glacier traversé, une désescalade avec cordes fixes et échelles dans des cailloux bien mouillés et glissants nous conduit au pied du glacier Margherita. Le terrain devient mixte, puis une pente de neige et glace plus longue qu’on ne se l’était imaginée nous challenge : le souffle se fait court et Coralie doit toujours gérer son mal des montagnes. Nous atteignons malgré tout le sommet vers 8h30, après 5 heures d’ascension, ce qui n’est pas si mal. Beaucoup de vent, pas de soleil, ni de vue : on se gèle, les conditions sont loin d’être idéales mais quand les guides nous demandent si on veut poursuivre vers le pic Albert, on n’hésite pas une seconde : bien sûr qu’on le veut !

60 mètres de rappels, désescalade en terrain mixte puis on s’encorde à 4 sur la même corde en direction du pic Albert. Pas très long, pas très dur mais sympa avec principalement de la marche grimpouillante en terrain mixte. Sommet atteint vers 9-10h : nous avons ainsi franchi la frontière grâce à ce deuxième sommet de la journée, et premier congolais.

Retour en sens inverse : arrivées au glacier Stanley, les jambes commencent à tirer et nous renonçons à l’Alexandra. Nous avons atteint notre objectif, atteindre le point culminant de l’Ouganda, nous sommes contentes et juste un peu déçues par la météo qui ne nous a pas permis de faire de belles images.

courbatures, toux, nez bouché, mal de tête

Scadoxus cyrtanthiflorus ©Sophie Martin

Un caméléon mâle ©Coralie Biard

Coeur de Lobelia ©sophie Martin

Mal des montagnes ?

8ème jour. Tout le monde a mal dormi : nous avons échangé des reniflements, des éternuements, des quintes de toux… Un véritable concert entre les cahuttes du campement. Momo trouve qu’on a de sales têtes ! Il n’a pas vraiment tort : les courbatures, la toux, le nez bouché et le mal de tête se sont installés, nous sommes bien malades, comme toute l’équipe d’ailleurs ! Les guides sont persuadés qu’il s’agit du mal des montagnes et veulent qu’on redescende. Avec Coco, nous sommes convaincues qu’il s’agit juste d’un rhume mais les guides ne nous laissent pas le choix. Vers 10h30 nous redescendons avec un petit pincement au cœur… Et si demain il faisait beau ?

9ème jour, vendredi 24 décembre. Les nuages sont toujours accrochés aux montagnes, pas trop de regrets : repos ! Nous faisons un premier état des lieux des choses qu’on a oubliées de mettre dans les sacs pour toutes nos futures expéditions : des gants, plus de gants, idem pour les chaussettes, des bières, des tongues, et du sucre sous toutes ses formes, chocolat et bonbons ! On laisse libre cours à notre imagination l’après-midi avec un peu de lecture pour Coco et la composition d’un poème de Noël : « J’en ai marre de la pluie qui mouille tout par ici… J’en ai marre de la brume qui m’enrhume… du froid qui m’empêche de claquer des doigts… Marre de la boue partout, partout, partout… C’est Noël et dans le ciel, j’veux des rayons de lumière qui transpercent les airs. Ici en Ouganda, on n’pensait pas avoir froid en marchant avec nos p’tits bras dénudés sous la moiteur de l’Equateur… »

L’équipe au complet de retour au Nyabitabe camp, avant de descendre rejoindre Kampala ©Sophie Martin

Jour 10. Direction Nyabitabe camp. Justus part en tête d’un pas sûr et décidé tel un daïka, aiguille au mieux nos pas pour franchir les champs de boue et éviter les glissades. Aujourd’hui le rythme est effréné : nos équipiers ont envie de rentrer, sont joyeux et parlent beaucoup entre eux. Nous croisons des singes trop mignons, tout noirs et pas très grands qui jouent dans les arbres : on aimerait en ramener un p’tit chacune… Puis un caméléon trop chouette : il paraît que ça porte chance, un bon présage pour 2022. L’après-midi est dédiée à échanger des adresses mails et numéros de téléphone avec toute notre équipe de guides, cuisiniers et porteurs. Nous nous sommes également transformées en docteurs l’espace d’un instant, pour constituer une trousse de secours à Moris.

COVID

La descente se poursuit le lendemain, les porteurs sont partis devant en chantant et dansant, ils sont heureux de rentrer voir leurs proches en ville et parviennent à nous attraper des caméléons ! Revenues vers 12h30 à l’entrée du parc, Ken nous saute dessus, content de nous revoir ! Nous signons les registres, obtenons nos certificats d’ascension des monts Speke, Margherita et Albert. Puis le moment émotion arrive, nous devons nous séparer, mais pas sans avoir bu une dernière bière tous ensemble !

Dans la voiture du retour c’est le drame : nos tests COVID sont POSITIFS. On relit plusieurs fois le résultat et on commence à comprendre pourquoi on est si malades depuis des jours… Il nous faut rentrer en France, trouver une solution, sinon c’est trois semaines de quarantaine à Kampala. Mais raconter en détails comment nous sommes parvenues à rentrer en France est une autre histoire, presque plus longue que le récit de nos ascensions….

À Grenoble le vendredi 30 septembre, le film de cette expédition, Rwenzoris, saga africaine, a reçu le Grand Prix Bourses Expé by Cabesto 2022.