Sur les montagnes, on marche, on court, on vole, on grimpe, mais est ce qu’on a dĂ©jĂ vraiment roulĂ© dessus ? Cela semblerait la suite logique pour nous autres arpenteurs des cimes. Pourtant, quand on regarde Alexis Righetti s’Ă©lancer sur son vĂ©lo dans les pentes enneigĂ©es de La Pique Rouge de Bassiès (2676 m), après l’avoir portĂ© deux jours, on reste interloquĂ© quoiqu’admiratif. Serait-il le pionnier d’une discipline nouvelle, le vĂ©lo-alpinisme ?
Il s’agit d’une première complètement inĂ©dite : la descente Ă vĂ©lo de la Pique Rouge de Bassiès (2676m), un des grands sommets d’Ariège, et surtout l’un des plus inaccessibles pour les deux roues ! On a dĂ©jĂ vu des hordes casquĂ©s dĂ©valer les pentes enneigĂ©es des Deux Alpes ou de l’Alpe d’Huez lors des grands messes des vĂ©tĂ©tistes, Ă toute allure et avec force et fracas parfois. Le style d’Alexis Righetti est tout l’inverse pourtant. Une montĂ©e lente, chargĂ© du poids du destrier Ă roues, plus le matĂ©riel de montagne. Une recherche d’itinĂ©raire permanente jusqu’Ă venir buter sur des difficultĂ©s carrĂ©ment alpines oĂ¹ les crampons, voire le piolet, sont de rigueur ! (Il nous avait expliquĂ© sa dĂ©marche sur Alpine Mag et sa vision du vĂ©lo en montagne, et nous avait parlĂ© de belles rĂ©alisations comme cette ascension puis descente du Taillefer.
Ă€ chaque fois, depuis le sommet, les images pourraient presque appartenir Ă la culture montagne du moment si le vĂ©lo n’apparaissait pas de façon aussi incongrue dans le cadre de la camĂ©ra. Changez le vĂ©lo pour une paire de skis et vous avez Paul Bonhomme qui s’Ă©lance Ă l’assaut d’une pente vierge. D’ailleurs, quand on demande Ă Alexis Righetti d’oĂ¹ lui vient cette idĂ©e d’associer vĂ©lo et alpinisme, le lien avec le ski de pente raide est on peut plus clair : « Je suis avant tout un alpiniste et un skieur de pente raide. Petit Ă petit, je me suis simplement mis Ă emmener mon vĂ©lo avec moi. »Â
VĂ©lo et alpinisme : mĂªme combat
La grande particularitĂ© de cette descente de la Pique Rouge de Bassiès n’est pas d’Ăªtre uniquement une première en VTT, mais bien un premier pas remarquĂ© entre deux disciplines qui n’ont a priori pas grand chose Ă voir, et qui s’opposeraient de prime abord : l’alpinisme, Ă©quipĂ© de piolets et crampons, et le VTT, sport de roue qu’on pourrait penser incompatible avec une ascension technique. En plus de requĂ©rir du matĂ©riel qui ne s’utilise pour ainsi dire jamais ensemble (et qui rajoute un poids consĂ©quent au portage), le vĂ©lo-alpinisme façon Alexis Righetti demande un autre effort improbable : concilier conditions hivernales avec une pratique du VTT. Le rĂ©chauffement climatique est lĂ , qui permet de sillonner la face d’un sommet normalement complètement inroulable l’Ă©tĂ©. La Pique Rouge de Bassiès est en effet un gigantesque chaos de bloc dans sa partie haute. Mais, une fois recouvert de neige, la pente devient skiable … ou roulante, au choix. Cependant, il faut encore que la partie basse (extrĂªmement raide) soit sans neige. Cette combinaison de conditions s’est produite fin fĂ©vrier, alors que beaucoup se plaignent du manque de neige qui raye la semelle de leurs skis.
Toutefois, et mĂªme si les conditions se sont toutes trouvĂ©es rĂ©unies trois ans après un premier essai infructueux sur un autre versant, la descente Ă vĂ©lo est restĂ©e, de son propre aveu, extrĂªme. « On est Ă la limite du vĂ©lo pour ce qui est de la partie en neige. Et mĂªme dans la partie infĂ©rieure qui Ă©tait sèche, l’itinĂ©raire reste très exposĂ©. » La cotation VTT s’en ressent avec un bon T5, soit la plus dure de l’Ă©chelle de valeur (l’explication des cotations VTT par Alexis sur Alpine Mag ici), et une exposition maximale (E4, la mĂªme que pour le ski). Chute interdite, donc. En cela, le VTT est bien semblable Ă l’alpinisme. « Sur la neige, le vĂ©lo est instable et il faut paradoxalement le laisser bouger Ă son rythme, mĂªme si le rĂ©sultat est follement imprĂ©cis. La plupart des vĂ©tĂ©tistes n’aiment pas la neige d’ailleurs, et ça se comprend ! Sans carres, impossible de tenir vraiment debout. » Une des raisons principales pour avoir effectuĂ© l’ascension en deux jours : observer l’Ă©volution de la neige au fil de la journĂ©e. Trop tĂ´t, et la pente est trop glissante, dure et glacĂ©e. Trop tard, et les ornières creusĂ©es par les roues empĂªchent toutes manoeuvres du guidon. Une fine nuance qu’Alexis a dĂ» prĂ©voir, comme un skieur avant de dropper dans une pente.
La vidĂ©o de l’ascension et de la descente, avec les explications en live d’Alexis Righetti. ©Alexis Righetti
Ni trop dure, ni trop molle : la neige se mérite toujours. ©Alexis Righetti
Le bivouac, immersion et observation des conditions. ©Alexis Righetti
Le vĂ©lo combinĂ© Ă l’alpinisme permet de garder un esprit pionnier. Tous les sommets ou presque sont vierges Ă vĂ©lo !
L’Ă©ternel pionnier
La multiplication des genres : « C’est vraiment l’aspect de cette pratique qui m’attire le plus« , renchĂ©rit Alexis. « C’est la conjonction de plusieurs sports, avec chacun ses codes et ses pratiques, mais mĂ©langĂ©s pour une expĂ©rience unique en son genre. Quand je prĂ©pare l’ascension et la descente comme Ă La Pique Rouge de Bassiès, je dois chercher mon itinĂ©raire comment en montagne, trouver ma ligne comme un rider, cramponner comme un alpiniste, porter comme un sherpa, et descendre comme un vĂ©tĂ©tiste. » La descente s’apparente mĂªme presque Ă un sport de glisse quand on regarde la vidĂ©o d’ailleurs. Pourtant, Alexis Righetti se voit dĂ©finitivement comme montagnard avant tout, mĂªme avec un vĂ©lo sur le dos ou sous les fesses. « Dans ma tĂªte, je fais un sommet, je ne fais pas du vĂ©lo. » Un Ă©tat d’esprit qui offre des perspectives affolantes et allĂ©chantes puisqu’Ă partir de lĂ , tout reste encore Ă faire ! « Le vĂ©lo combinĂ© Ă l’alpinisme permet de garder un esprit pionnier. Tous les sommets ou presque sont vierges Ă vĂ©lo ! Il n’existe aucun topo et j’en viens Ă me poser les mĂªmes questions qu’un type qui voulait ouvrir une voie il y a des dĂ©cennies de lĂ . » RĂ©inventer la montagne, ou se rĂ©inventer dedans grĂ¢ce au vĂ©lo, c’est sĂ»rement le gĂ©nie derrière cette première descente Ă vĂ©lo de La Pique. Peut-Ăªtre est-ce aussi un premier pas pour se rĂ©approprier la montagne en nous adaptant Ă des conditions qui, d’inhabituelles, deviendront peut-Ăªtre rĂ©gulières ? En tout cas, c’est la preuve que l’imagination humaine ne connaĂ®t pas de limite. En cela, nous pouvons nous faire confiance, ainsi qu’Ă Alexis Righetti pour ouvrir d’autres itinĂ©raires improbables.