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À quoi servent les aventuriers ?

L’autre jour, après une cure de films d’aventure au Festival international du film d’aventure de la Rochelle, je me suis posé la question qui tue : mais à quoi servent donc les aventuriers ? Surtout, ces héros ont-ils un rôle à jouer au-delà de l’écran ? Au fond, pouvons-nous compter sur l’aventurier de 2019 pour de meilleurs lendemains ? Éléments de réponse illustrés par quelques films. 

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’il y a bien un lieu à ne pas négliger en festivals, après les salles obscures bien sûr, c’est le bar. Après les discours et réponses préparées sur la scène, les propos du zinc apportent un complément d’âme à des aventuriers détendus, voire houblonnés, parfois sans filtre. C’était à la fin du Festival international du film d’aventure de La Rochelle, un festival devenu incontournable dans le paysage depuis quinze ans. Pendant cinq jours, l’espace Encan, d’anciens hangars maritimes réhabilités, a grouillé d’une foule d’aventuriers de tous poils, apprentis explorateurs, vieux loups de mer et autres scientifiques du bout du monde et de renom. C’est après avoir quitté la fourmilière pour un dernier verre de conclusion du festival, dans un bar de la vieille ville, que la question de fond est tombée : « Je me pose des questions. Cela fait des années que je me bats pour sauver un minuscule bout de planète, que je mets tous mes moyens financiers, que je passe mes nuits sur le projet de préservation d’une partie des forêts malgaches. Mais je ne sais pas si c’est suffisant. Cela peut-il seulement être suffisant ? ». Ce coup de blues d’après festival, lorsque l’émotion du festival laisse place au recul, c’est Evrard Wandenbaum qui l’exprime. Evrard, c’est le gars aussi à l’aise pendu sur une corde dans les montagnes chinoises avec Sean Villanueva et Nicolas Favresse que dans les glaces de Scoresby au Groenland ou dans les forêts de Madagascar. Evrard c’est surtout un type engagé, au sens profond du terme, un fervent défenseur de l’environnement avec son association NaturEvolution. Pour lui, cet engagement ne se limite pas aux mots. La nature, les arbres, les montagnes, ils les connaît et les a filmés dans différents contextes, que ce soit dans le cadre d’expédition de loisir ou scientifiques. C’est d’ailleurs avec l’antenne malgache de Naturevolution qu’il est parvenu à classer les 4000km2 du massif du Makay en aire protégée en 2015. Voilà du concrêt. Alors quid de ce coup de blues ? Un verre de trop Evrard ? « Je pense qu’il faut que je réfléchisse à une autre manière de travailler. Pour mieux concilier le cinéma et l’action, être plus efficace dans la protection des espaces naturels ». La question de l’efficacité était posée. Et il n’en fallait pas plus pour élargir le débat aux aventuriers en général et regarder au-delà du festival.

Dans les forêts du Makay. © Evrard Wandenbaum / Naturevolution

Viens surtout rêver et trouver des envies de voyager !

Inspirer

La première réponse, la plus facile à apporter, à la question de l’intérêt de l’aventurier, c’est celle de l’inspiration qu’il procure. « Tu te poses trop de questions » me confie le compagnon de ciné. « Viens surtout rêver et trouver des envies de voyager ! » insiste-t-il alors que des questions commençaient à me tarauder. Ok, mais avant ça, il me fallait en discuter avec les principaux intéressés. Les dernier échos d’aventuriers tels que Sylvain Tesson (que nous avions rencontré sur un toit, au dernier festival du film d’aventure de Val d’Isère) sont plutôt pessimistes. L’écrivain voyageur n’hésitait pas à parler il y a peu, sur France Inter, de «  l’embrasement du ciel, la disparition des bêtes, le flétrissement du vivant, le recul des formes de la vie, bref, l’usure du monde. » L’u-sure-du-mon-de ! Ambiance. Pour allez au-delà de ces propos rapportés d’un voyageur quelque peu blasé, il me fallait en capter d’autres, en direct, à chaud, au saut du zinc. Alors certes, il faut parfois insister pour que les vidéastes estampillés aventuriers daignent prendre une mousse matinale et se livrer « Une bière maintenant ? Tu rigoles Ulysse ? » m’a répondu Stéven Le Hyaric, vers 11h du matin (allez, moins le quart…). C’est que le gaillard pédale sec, et ne peut pas se permettre le régime du journaliste. Faire rêver implique quelques sacrifices. Au bar des Quais de l’aventure, que surplombe dangereusement un requin en métal, comme pour nous rappeler que nous sommes bien en cité portuaire, se retrouvent les festivaliers mais aussi les aventuriers de tous poils, venus présenter leur film, leur livre ou tenir une conférence. C’est le lieu d’un joyeux mélange des réalisateurs ou photographes avec leur public, avant ou après représentation. C’est là qu’on y apprend les projets à venir, les regrets concernant le précédant ou les difficultés à finaliser le prochain. 

Les gaillards de Solidream ont décidé de traverser les Pyrénées en parapente, sans avoir jamais volé de leur vie. Inspirant non ?  © Solidream / L’école du ciel

Si Le Hyaric décline la boisson houblonnée de bonne heure, c’est justement que 666, son futur projet, l’accapare corps et âme. Après avoir parcours la Great Himalayan Trail au Népal sur son vtt (lire cette histoire sur Alpine Mag) et bouclé un tour du Mont-Blanc (en suivant le tracé d’une célèbre course de trail) toujours sur son destrier à pédales, Stéven travaille maintenant à concrétiser sa prochaine aventure : traverser 6 déserts différents sur 6 continents et en 6 mois. 666. Diabolique. Autant dire que la forme physique s’impose. Stéven fait partie de ces aventuriers communiquant. N’y voyez rien de péjoratif. C’est juste que le gaillard excelle dans la mise en valeur de ses aventures. C’était d’ailleurs son métier lorsqu’il était chargé de la communication de la fédération française de triathlon. Tout droit issu de la génération des instagrameurs-aventuriers, son maitre-mot est l’inspiration. « Ce que je veux par-dessus tout, c’est inspirer les gens et leur donner envie de se lancer dans des projets plus grands qu’eux, de se dépasser ». « Inspiring ! » disent les ricains. Cette ambition est peut-être la plus largement répandue chez les aventuriers, explorateurs et autres défricheurs. D’ailleurs, quel que soit le nom qu’on leur donne, le premier mot qui leur vient à la bouche reste le même : étonner ; que ce soit par l’éloignement des lieux explorés (voyez où les népalais de Last honey hunter vont chercher leur miel) ou la performance pure (deux Everest pour un catalan ou un Dawn Wall pour deux américains). Au terme d’une carrière incroyable, le biopic a également le vent en poupe, comme dans Dirtbag où l’on explore la vie improbable d’un véritable dirtbag : Fred Beckey. Le but est bien de faire rêver. Il fallait voir aussi les yeux écarquillés du public lors de la rencontre littéraire avec Isabelle Autissier (les livres, indispensables aux côtés des films). Les conquérants de l’inutile sont partout. Et ce n’est pas nouveau. Mais d’autres ont trouvé une forme d’utilité à leurs projets.

Stéven Le Hyaric, souriant, alors qu’il est attaqué par le requin du bar des Quais de l’aventure. ©Ulysse Lefebvre

Il faut écouter Isabelle Autissier pour comprendre ce qu’une vie d’aventures peut susciter comme inspiration. Le public était conquis lors de la rencontre littéraire avec la navigatrice, animée par Alpine Mag (parce qu’on aime aussi la mer !)  ©Ulysse Lefebvre

L’esprit dirtbag originel, option mauvaises odeurs et bonnes galères, et sans le van aménagé à 60 000€ : c’est la vie de Fred Beckey dans Dirtbag. ©Fred Beckey / Dirt Bag

Science et social

Depuis les premiers explorateurs, science et exploration sont intimement liés. L’aventure qui en découle est ensuite mise en forme pour témoigner. Il en résulte d’incroyables films qui sensibilisent le public, notamment à la préservation de l’environnement depuis Cousteau ou Tazieff. Aujourd’hui, il faut voir 700 requins, de Luc Marescot, pour comprendre les enjeux d’un rendez-vous de squalls dans une passe d’un atoll polynésien. Il faut voir aussi Sur les îles du ciel d’Olivier Alexandre pour comprendre les capacités d’adaptation et d’évolution des espèces à l’aune de petites fleurs trouvées en paroi de haute montagne. Il faut voir enfin Everest Green de Jean-Michel Jorda pour se rendre compte des dégâts de la sur-fréquentation de l’Everest et de son camp de base en particulier.

700 requins, pas un de moins ©Laurent Ballesta

Quand les petites fleurs de parois en disent long sur les grands problèmes environnementaux. © Abdou Martin / Sur les îles du ciel

Elle a bon dos la science, me direz-vous, pour permettre à des « hommes qui ne tiennent pas en place » de se rendre au bout du monde (pour reprendre la formule de Jacques Gamblin dans sa correspondance avec le marin Thomas Coville). Tout ça à grands coups de kérosène et d’empreinte carbone. Certes. Peut-être. Mais pas plus que les 1,3 milliards de touristes internationaux de 2017, dont le seul objectif était leur bien être personnel et éphémère. Vaste débat. S’il en est un qui ne brûle pas de kérosène, c’est Erwan Le Lann. Depuis près de quatre ans, le guide de haute montagne et marin parcourt les mers du monde sur son bateau, Maewan, devenu camp de base pour toutes les explorations possibles. À son bord, il accueille successivement des skieurs, alpinistes, kiteux, plongeurs ou highliners pour mettre en valeur un territoire, un bout de planète et sensibiliser le public à la protection de l’environnement. C’est même devenu l’objectif principal du projet « Avec Maewan, nous avons choisi d’aller à la rencontre de notre planète grâce aux sports outdoor » explique Erwan. 

Ailleurs, certains n’hésitent jouent à fond la vocation sociale. Ainsi, le projet Ocean Peak mené par le trio Christophe Dumarest, Benoit Lacroix, Marta Güemes allie exploration entre marins et grimpeurs avec des séjours de rupture pour jeunes en difficulté, emmenés sur le bateau pour prendre part aux périples. Le trio est assez malin et honnête pour revendiquer la dualité du projet et assumer qu’une fois sur deux, le Trifon largue les amarres pour de la pure exploration entre soi, sans ambition sociale, juste pour le plaisir de grimper des big walls, avant de revenir, plus tard, à quelques moulinettes avec les ados. On en reparlera sur Alpine Mag…

Marta Güemes prépare les gâteaux sur le Trifon : « L’un des vrais intérêts de l’aventure, c’est le dessert » (propos à peine inventés…). ©Ulysse Lefebvre

Maewan lors de sa traversée du passage du Nord-Ouest. © Maewan Adventure Base

Pourquoi pas moi ?

Mais ce qui touche le plus le public aujourd’hui, comme en témoigne d’ailleurs les différents prix du public ou réactions dans les salles et (toujours) au bar, ce sont les récits d’expérience personnelles, de vécu dans sa plus simple expression. De ces récits qui, loin de magnifier la performance ou le sensationnel, en reviennent à une certaine forme de normalité, même si les histoires demeurent incroyables. Ici, on peut s’identifier à un héros, héros malgré lui ou héros du quotidien, du moins aux problématiques partagées par le grand public. Il faut voir l’enthousiasme des spectateurs pour le film d’Aurélia Tazi et Charlène Gravel « Maman, c’est encore loin le désert » pour comprendre combien le rôle de mère, même aventurière, rapproche l’héroïne du public et la rend « abordable » pour le commun des mortels. Partir avec ses trois enfants dans les montagnes de l’Atlas est certes extraordinaire. Mais la relation mères-filles qui est développée dans le film parle au plus grand nombre. Dans le même ordre d’idée, le film « Kids for Sea » de Nicolas Fabbri entre dans cette catégorie des films à thématique universelle. Si l’exploration en bateau n’est pas à la portée de tout le monde, l’expérience vécue en famille (maman, papa et les quatre enfants) touche et inspire. Sous une autre forme d’engagement et de combat, Mélusine Mallender emmène le spectateur sur sa moto au gré de 14 pays traversés, entre Indonésie et Iran, sur Les voies de la Liberté. En chemin, elle demande aux femmes qu’elle rencontre ce que le mot liberté signifie pour elles, quand il signifie quelque chose. Cet universel humaniste a fait mouche. Au festival, le film reçoit le « prix du public Quai de l’aventure » et son auteure, le « prix de l’aventurière ».

Trois des quatre Kids for Sea, soigneusement rangés dans la voile. © Nicolas Fabbri / Kids for Sea

Aurélia Tazi et ses enfants, dans le désert. © Tarek Sadi

Il y a enfin des films qui réunissent, à peu de choses près, toutes ces facettes, toutes ces qualités, dont résulte une réussite cinématographie ET aventureuse. C’est le cas du film Dug out, qui a reçu de très nombreux prix dans les festivals cette année et qui confirme son succès encore une fois à La Rochelle, en recevant le Grand prix du festival, en présence de l’un des protagonistes du film, James Trundle, toujours étonné « de recevoir quoi que ce soit ». Le réalisateur, Benjamin Sadd, a su condenser en 53 mn une aventure en un lieu fantasmé (l’Amazone équatorien) dans le cadre d’un projet mi- scientifique mi-artistique (apprendre les techniques de construction de pyrogue des communautés Huaorani) le tout vécu de manière aussi légère (de l’humour !) que bien ficelée (un vrai scénario, écrit !), le tout réalisé de main de maitre pour un film à l’image léchée. What else ?

Alors en sortant de la parenthèse d’un tel festival, on peut se dire que tout cela ne sert finalement à rien, que le monde va mal et que l’on n’y peut rien. Pas même nos fringuants aventuriers, parfois eux-mêmes usés par le monde. Qu’entre un gilet jaune, un poing levé, une cotisation à une association ou les rushs d’une caméra, on ne peut pas grand-chose face aux malheurs de la Terre entière.
Mais on peut aussi essayer de distinguer quelques éclats du monde, quelques avancées scientifiques, quelques bribes de malice et d’optimisme, quelques plans tout simplement beaux qui, mis bout à bout, corde à corde, concordent en un éblouissant faisceau, propre à éclairer les esprits les plus pessimistes.
Tous les marins n’ont-ils pas débuté sur de petits voiliers au doux nom d’Optimist ?

 

Suivez bien cet anglais : après les pirogues de Dug Out, Benjamin Sadd devrait prochainement s’embarquer sur une drôle d’embarcation sphérique. Aventure à suivre… © Dug Out