La voie la plus dure du monde, sur El Capitan, méritait un film, projeté en avant-première à Ladek le weekend dernier. Ambitieux, le résultat raconte le destin hors du commun de son créateur Tommy Caldwell. The Dawn Wall est à voir absolument, et est en tournée en France cet automne.
Tommy Caldwell n’a pas l’étoffe d’un héros. Le profil croisé d’un Rowan Atkinson et d’un Mike Myers plutôt qu’un Tom Cruise. Tommy est pourtant le héros de sa propre vie. Un gars connu pour ne pas être doué à l’école et qui va s’imposer sur les premières compétitions d’escalade avant de se tourner vers la Mecque : la vallée du Yosemite, où il montre une certaine prédisposition pour les arquées à se retourner les ongles, sans négliger les fissures engagées. Certains connaisseurs d’El Cap diront : ce garçon a une paire de couilles proportionnelle à ses dents de lapin. Ce qui ne dit rien du versant obsessionnel du garçon – qui sait atteindre des objectifs inatteignables. Le film débute là -dessus, le post-ado mal dans sa peau, timide à ne plus en pouvoir, qui enquille pourtant les voies en libre sur El Capitan à une époque, début 2000, où rares sont ceux, hormis les frères Huber (et Lynn, Yuji…) à se lancer sans étrier sur le monolithe. Il va rencontrer une poupée blonde presque aussi forte que lui, Beth Rodden, qui part grimper avec lui en Asie Centrale – et ça va mal finir (spoiler !)
L’histoire du Dawn Wall, c’est celle d’un type qui au moment où il va devenir ce qu’il doit être, à savoir un champion d’escalade, se fait démolir moralement (il est kidnappé au Kirghizstan) et se détruit physiquement (il se coupe l’index à la scie circulaire). Le kidnapping, un coup des rebelles locaux, le conduit à précipiter dans le vide l’un de ses ravisseurs pour que lui, sa copine Beth et ses compagnons échappent à leur funeste destin. Quant au mauvais plan bricolage, cela ne va pas l’infléchir. Pour les autres il est fini. Pour lui c’est juste une adaptation. Si vous avez mal à une poulie en grimpant, essayez la méthode Caldwell : c’est radical, mais pas sûr que vous irez grimper le Dawn Wall ensuite. Pourquoi ? Parce que la poupée blonde, déprimée, se tire. Au lieu de finir homeless, Tommy Caldwell imagine, sur ses cordes fixes, son chef d’œuvre : une ligne dans la face sud-est d’El Capitan, la plus haute et la plus compacte. Une ligne faisable en libre ? Rien n’est moins sûr.
Si vous avez mal à une poulie à un doigt, essayez la méthode Caldwell. Pas sûr que vous grimperez le Dawn Wall ensuite.
Imaginez porter trois cent mètres de cordes statiques et vingt litres d’eau au sommet d’El Cap, juste pour aller voir. Tommy monte et remonte. N’a plus d’amis mais embauche son paternel pour défricher le bas. Mais de nombreuses inconnues demeurent, des portions de granit trop lisses qu’il va, tel Champollion, décrypter jour après jour. Année après année. Une obsession qu’il partagera sept années durant avec Kevin Jorgenson, un jeune bloqueur qui n’avait jamais fait de bigwall, et que Caldwell parachute au sommet d’El Cap. Merci le dieu du Grigri. En 2015, ils vont passer 19 jours en paroi pour enchaîner le Dawn Wall en libre (9a/9a+, 32 longueurs, 900 m), tenant en haleine l’Amérique entière, faire la une des journaux, jusqu’à Barack Obama qui les félicite une fois en haut. Non, je ne spoile pas le film, le Dawn Wall a été gravi puisque le grimpeur le plus doué du monde, Adam Ondra, l’a répété ensuite en …huit jours.
Ci-dessus : Caldwell sur la scène du festival de Ladek, le 22 septembre, lors de l’avant première européenne. © Jocelyn Chavy. À droite : portrait © Bligh Gillies
Alors oui, le film a des vraies longueurs et un déséquilibre (court avant le Dawn Wall et long pendant) que le livre (Push) n’a pas (lisez le livre !). Le film a des témoins parfois un peu lourdingues, et surtout des plans interminables sur la peau des doigts de Kevin, peau qui ne repousse pas. Mais à l’écran la cordée Kevin et Tommy fonctionne, au milieu de ce gaz époustouflant d’El Cap superbement filmé qui fera chavirer les plus sensibles. Entre temps Tommy a retrouvé l’âme sœur, une autre fille blonde qui lui donne un premier enfant appelé Fitz, comme ce sommet qui l’obsède également (et qui est passé sous silence dans le film). Le Dawn Wall comme rédemption, y compris de fautes qu’il n’a pas commises : le film en montre les subtilités et les vertiges. Un film peut-être pas aussi implacable que le prochain film Free Solo avec Alex Honnold, mais qui a une histoire sans doute plus riche.
Le gamin mal à l’aise est devenu un homme probablement heureux d’être là . Malgré un kidnapping et un doigt en moins, Tommy Caldwell a pondu la grande voie la plus dure du monde, s’est fabriqué une famille. Si je gardais une image de ce film, ce serait aussi celle-ci : lors de cette soirée à Ladek, le timide récupère le Piolet d’Or de son ami Alex Honnold absent, il blague maintenant face à une salle pleine à craquer, conquise par sa volonté, qui finalement l’a amené là où il est, la mine ravie, mais pas autant que nous. Merci Tommy.
©Brett Lowell/Big Up Productions
Projeté en avant-première européenne au festival de Ladek, en Pologne, où nous l’avons visionné, The Dawn Wall fera sa première française au Grand Rex à Paris samedi 29 septembre. La tournée Reel Rock France permettra à tout le monde de trouver une date et un lieu proche en France pour voir le film de l’automne.