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Sois bête mais tais-toi

Ce samedi j’ai fait du vtt et de l’escalade en couenne. Confort à l’ordre du jour, du moins sérénité. A part me défoncer les tibias sur la piste de descente des Hurtières ou raper les genoux en volant sur le dernier spit d’une voie bien équipée à Epierre, je n’avais rien à craindre.

Sauf perdre encore quelques compagnons de cordée plus haut en montagne. Parce que ça puait particulièrement ce week-end. Parce que la semaine dernière avait déjà été assez éprouvante et de mauvais augure. Parce que le tribut payé à la montagne n’avait été que trop cher. Et parce qu’à un lundi noir dans les Ecrins pouvait succéder un samedi noir en Savoie.

Ce fut le cas. Sept morts dans deux avalanches. La dernière longueur à grimper avait un goût amer. Presqu’un dégout.

©Ulysse Lefebvre

Comment considérer les accidents en montagne ? Comment ne pas s’habituer ? Comment ne pas être trop affecté ? Autant de questions récurrentes lorsqu’on évolue dans un milieu avec des pratiques à risque, où l’accident n’est finalement que l’un des corollaires malheureux (pour combien de dénouements heureux ?).

Ce sont, il me semble, de saines questions, pour ne céder ni à la panique, ni au détachement.
Mais il y a une autre question autrement plus importante, voire essentielle : Quel regard porter sur ceux qui laissent leur peau là-haut ?
J’aurais tendance à dire de l’empathie, pour ceux qui partent et surtout pour l’entourage qui reste. J’aurais tendance à prôner l’humilité, tant les conditions d’un accident sont complexes, multiples et pour l’essentiel inconnues de ceux restés en bas.
J’aurais surtout tendance à exclure le jugement. Et, j’avoue, à vomir les commentateurs de canapé et autres spécialistes du « c’était sûr » ou du « j’l’avais bien dit ».

les avalanches ne font pas dans la statistique

Ce qu’avait bien dit Météo France, relayé par l’ANENA puis relayé sur notre mur Facebook vendredi, c’est que les conditions de neige étaient dangereuses. Une incitation à la prudence certes, mais pas un ordre de rester devant la télé. Pas un couvre-feu.
Personnellement, ça m’allait bien de ne plus penser à la neige et de parcourir la montagne plus bas, différemment, sans grands risques objectifs. Mais tout le monde n’avait pas forcément cette envie. D’autres avaient certainement préparé leur sortie, estimé les risques, calculé leur degré d’engagement et choisi d’y aller. Point.
Je ne crois pas aux skieurs détachés de tout risque qui se jetteraient dans des pentes à 40° sans réfléchir. Cette vision réductrice suffit seulement aux bas du front des réseaux sociaux.

Ceux qui sont partis dernièrement étaient des guides, des clients, des moniteurs, des skieurs confirmés, des amateurs éclairés, des jeunes, des vieux, des hommes, des femmes, d’ici et d’ailleurs. Tous les profils. La sociologie n’explique rien, les avalanches ne font pas dans la statistique.

Au bout du compte, je me dis que samedi j’ai choisi la facilité pendant que d’autres n’ont pas eu peur de côtoyer la complexité, libres qu’ils étaient. Comment pourrait-on les blâmer ? Comment se permettre de les juger ?
Il n’y a rien à dire, rien à ajouter, aucun avis à donner. Parce que silence rime avec décence.