C’est une expédition de longue haleine que s’apprêtent à vivre quatre personnages aux talents aussi variés que hauts en couleurs. Hélias Millerioux, Thomas Delfino, Alexandre Marchessaux et Greg Douillard embarquent en ce moment même pour une longue traversée du Yukon. Sur plus de 600km au total, le programme est dense : pulka sur les interminables glaciers, mont Logan (5 959m, Canada) et tentative de descente à ski de l’arête Est, pulka encore puis descente en packraft d’une rivière mouvementée. Vous avez dit barrés ?
C’est jour de pluie à Chamonix et ça tombe bien. Nul besoin d’être tenté par la montagne à l’heure des derniers préparatifs pour le départ, six jours plus tard. Chez le bootfitter, Hélias et sa bande peaufinent le confort de leurs petons. C’est qu’à près de 6000m et pendant plus d’un mois, un orteil gelé n’est pas une option: « C’est la première fois qu’on fait ça. Au Pakistan, j’avais mes chaussons Scott d’origine. Là , je le remplace par un chausson plus épais spécialement conçu pour garder les pieds au chaud ». Thomas Delfino se souvient bien du froid au Pakistan, périple dont est issu le film Zabardast : « Je me suis un peu gelé le bout des orteils là -bas, quand on est resté longtemps dans la face. J’ai pas envie de revivre ça alors on met le paquet sur les chaussons ». Aux-côtés de Millerioux à skis et Delfino en snow, Alexandre glissera, lui, en split monoski (oui oui, ça existe) tandis que Greg aura des skis de rando classiques, même si son truc à lui, c’est l’eau vive et le packraft dans cette histoire. Mais c’est quoi d’ailleurs cette histoire bizarre ?Â
Une expé en plusieurs actes
Ce projet, ce sont plusieurs briques qui se sont emboitées progressivement : « Au départ tu te dis tiens, je me fais poser au mont Logan, je grimpe le mont Logan puis je repars en avion. Mais en fait, en regardant la carte, tu t’aperçois que tu peux rejoindre la montagne en marchant depuis le dernier endroit habité, de Yakutat puis en bateau sur le Malaspina Lake. Ensuite tu skies le long du glacier Seward, pour éviter la dépose en avion. Et puis encore après, j’ai remarqué qu’il était possible de continuer, après l’ascension du Logan, vers le glacier du même nom pour rejoindre une rivière, la Chitina river puis la Copper river pour enfin revenir à la civilisation. De fil en aiguille, ce sont des morceaux qui se sont ajoutés les uns aux autres ». Et pour cause, ce projet devient pluri-disciplinaire et se construit en trois ans. Si Hélias sait skier, tirer une pulka et grimper les montagnes, il a fallu trouver de l’aide côté eau vive. Une rivière de classe 3, ça ne s’improvise pas. C’est là que Greg intervient « C’est notre Monsieur Raft. Il est moniteur d’eau-vive. Avec lui, on pourra descendre à deux embarcations sur une rivière super sauvage » explique Hélias. D’ailleurs, l’organisation n’est pas forcément son fort et c’est là que Delfino montre tous ses talents « il est incroyable en organisation, c’est un mutant en logistique, très rationnel. Moi j’y comprends rien à tous ces trucs, je fonctionne plus à l’instinct, pour pas dire à l’arrache ! » Quant à Alexandre « Marchess », « C’est l’artiste de la bande. Il est caméraman de formation et guide aussi. C’est lui qui prendra des photos et filmera. » Oui bon, tous ceux qui ont une caméra en mains ne sont pas forcément des artistes. Réponse de l’intéressé : « Mon projet secret, c’est de ramener un film basé sur un poème d’Allen Ginsberg… » Pour ceux qui connaissent Ginsberg, pote de Kérouac, auteur de la beat-génération, le projet en dit long sur l’ambition artistique du bonhomme. Surtout dans un pays ou fumer la marie-jeanne est légal. On a hâte de voir ça…
Il faut aussi voir le tas de matériel qu’ils brassent pour pouvoir évoluer en autonomie durant ces 52 jours. Rassemblés autour du packraft, ce sont des skis, un monoski, un snowboard, des gilets de sauvetages, des combis neoprenes et autres gonfleurs à pied qu’il faudra trainer dans les pulkas, en plus de l’habituel barda pour l’alpinisme ou les bivouacs. « Au départ, on a chacun 80kg de matos et de nourriture par pulka pour la partie montagne soit 40 jours avant d’arriver à notre ravitaillement à la rivière, avant d’embarquer sur les raft ». Ce ravitaillement sera effectué par un avion qui viendra décharger rapidement le matériel et reprendre la matos d’alpinisme. Une coupure dans une longue plongée dans la solitude qu’Hélias va tenter d’éviter à sa manière…
Un long périple horizontal et solitaire
Difficile mais pas impossible d’éviter le ravitaillement intermédiaire. Prendre 52 jours de nourriture, c’est plus lourd dans les pulkas, mais c’est surtout impossible dans les rafts, surtout avec le matériel d’alpinisme. Dès lors, il faudrait faire une croix sur la rivière et continuer à pieds, avec encore plus de nourriture. Une fuite en avant qui prolonge d’autant le périple et diminue les chances de réussite. « On aurait pu s’en passer mais je voulais quand même assurer l’enchaînement avec le raft, pour la beauté de la ligne générale. » Voilà pour les aspects pratiques. Mais ce genre de voyage horizontal, au long cours, est aussi et surtout pensé pour vous emmener loin, longtemps, avec uniquement trois compagnons de bordée pour interlocuteurs et des kilomètres à avancer sur le plat parfaits pour l’introspection. Ce qui plait à Hélias : « J’ai besoin d’alterner les projets plus techniques et verticaux avec ce genre d’expédition plus horizontale, basée sur l’endurance et la résistance. Après trois années de tentatives au Nuptse, j’avoue que j’étais un peu fatigué et j’avais besoin d’autre chose. » Note pour plus tard : un Piolet d’Or, ça use, ça use. Alors quid de cette solitude qui sera interrompue quelques minutes par un bimoteur : « Je crois que je vais me tenir à l’écart. Je veux vraiment éprouver la solitude jusqu’au bout. Quitte à laisser mes potes se débrouiller avec le chargement/déchargement ! »
Note pour plus tard :
un piolet d’or ça use, ça use…
Quand les skis et les piolets côtoient un raft, des gilets de sauvetage et un split monoski. ©Ulysse Lefebvre
Skier le plus gros dénivelé au monde
Deux jours avant leur départ pour le Canada, impossible de joindre Hélias pour quelques photos. L’énergumène a des fourmis dans les jambes, ou dans les skis plus exactement. À l’heure où certains enchaineraient les massages et l’entretien de leur « capital forme », Millerioux profite encore et encore. Ce jour là , il descend la Nord-est des Courtes avec des 115mm au patin, en 189cm de long. « Mais je n’emmène pas ces fat au Yukon. Je prendrai mes Scott Speedguide 95, les skis que j’utilise tout l’hiver quand je bosse. C’est assez large pour la pente raide et plus stable dans les changements de neige. Ces skis ont aussi une bonne portance dans toutes les neiges, même dures. Je suis assez light dans l’ensemble et j’aime bien prendre du matos que je connais bien. Idem pour les chaussures avec mes Scott S1 Carbon. Je crois qu’ils ne les font plus mais pour moi, c’est un excellent rapport poids/rigidité ».
C’est qu’il vaut mieux partir léger pour skier cette arête Est du mont Logan. Avec un camp de base à 2400m, il faut compter plus de 3500m de dénivelé positif pour atteindre le sommet. Le Logan est considéré comme la montagne au plus gros dénivelé de sa base au sommet. Un sommet qui ressemble d’ailleurs un enchaînement de terrain de foot. Si l’arête elle-même rappelle « une grande Küffner » (NDLR : l’arête effilée du mont Maudit), au sommet, un plateau sommital de 6km de long demandera à lui seule au moins une journée de traversée. Autant dire qu’il y aura de la place pour chausser. Puis skier jusqu’en bas ? « Je ne pense pas qu’on pourra skier en intégralité. À vrai dire on s’en fout. Vu l’ampleur de l’arête, un rappel ou deux ne seront pas grand-chose au regard de la descente. »
En bleu le bateau, puis le parcours à skis et pulka, l’ascension du mont Logan puis le retour en raft par la rivière. ©Expédition Logan
Hélias Millerioux, Thomas Delfino, Alexandre Marchessaux et Greg Douillard, à la veille de leur départ au Canada.
©Ulysse Lefebvre
Surtout, c’est la météo qui pourrait jouer des tours à l’équipée. Situé proche de l’océan Pacifique, le mont Logan subit des périodes de mauvais temps parfois très longues. « Une alpiniste américaine m’a dit avoir été bloquée 5 jours au plateau sommital. » Mieux vaut donc prendre le temps de bien s’acclimater pour ne pas risquer un œdème en étant coincé là -haut. D’ailleurs, cette acclimatation sera particulière, vu l’altitude plus que modeste du camp de base : « Il va falloir faire des aller-retours pour s’acclimater. On en profitera pour faire des déposes de matériels. On prévoit 10 jours pour l’ascension et 2 jours pour la descente ». Après cet effort en altitude, il sera temps de continuer l’aventure plus bas, vers la rivière. Tout au long de cette expé, si tout va bien, nous devrions pouvoir suivre de près la progression de cette fine équipe, en échangeant régulièrement avec eux grâce aux émetteurs de sms par satellite qu’ils embarquent. Restez connectés, on vous mettra sûrement à contribution pour leur communiquer vos questions et autres impressions.
Mise en situation.. ©Ulysse Lefebvre