Patrick Edlinger nous a quitté il y a dix ans jour pour jour, le 16 novembre 2012. L’ange blond, comme on l’a surnommé, n’a pas inventé l’escalade libre, mais mieux : l’escalade comme mode de vie. Prophétique, il poussa son amour du rocher et de la nature jusqu’au bout, ouvrant les voies d’escalade parmi les plus dures de son époque. Sa passion pour l’escalade en solo marqua aussi les esprits. Nul doute que sans lui, l’évolution actuelle de l’escalade, plus que jamais populaire, aurait été différente. Alors que se tient à Grenoble le troisième salon dédié à l’escalade, puissent ceux qui fréquentent les salles indoor avoir une pensée pour la légende Edlinger. Merci à Robert Exertier, compagnon et photographe, qui livre ici quelques images iconiques.
Milieu des années 80. L’escalade est née d’une image, et je l’ai en tête : celle d’un ange blond qui évolue sur le rocher bleu du Verdon : Patrick Edlinger. Les gestes sont fluides, la corde parfois en option, les cheveux longs sont maintenus par un bandana. Patrick Edlinger a des chaussons d’escalade orange, des Dolomite tige haute siglés de ses initiales « P.E », et j’ai tout fait pour avoir les mêmes.
Dans la tête de tout le monde, y compris ceux qui en n’avaient jamais entendu parler, c’est une révélation : l’escalade est non seulement le sport le plus cool de la planète, mais plus qu’un sport, c’est un mode de vie. Patrick Edlinger vit pour grimper, et grimpe tout le temps. Un van pour dormir, « un sandwich et un verre d’eau » pour toute nourriture terrestre, et la liberté à plein tube : Patrick Edlinger fabriquait son mythe, avec un autre Patrick (Berhault) mais il indiquait surtout à une génération entière une autre direction, loin du clinquant des années 80. Loin du sport codifié.
Patrick Edlinger a indiqué à toute une génération une autre direction, prophétique, vers la nature. à l’opposé du clinquant des années 80.
Une direction prophétique : l’amour de la nature, le respect de celle-ci, la vie au grand air, l’outdoor, le fitness… Edlinger a tout fait avant que cela ne devienne tendance, y compris de la slackline et du Nicolas Hulot. Edlinge’ nous a quittés il y a dix ans, le 16 novembre 2012, mais cela ne change rien : l’image du Blond est toujours là, et sa philosophie a influencé des centaines de milliers de vies. Certains ont joué à l’escalade « à mains nues », en solo, pour faire comme celui qui, dans le film La vie au bout des doigts de Janssen, se pendait sur une main dans un surplomb de calcaire. D’autres ont gardé un goût immodéré pour le dépassement de soi, splitboard ou chaussures aux pieds.
Tous ont vu dans Patrick Edlinger ce que mes yeux d’adolescent ont vu : une immense liberté. Et un modèle. Sûrement à son corps défendant, Patrick Edlinger l’était devenu. Il faisait partie de ceux dont on aimerait, juste le temps d’une chute de neige, avoir le talent (mono-)skis aux pieds. Ceux dont on aimerait avoir l’équilibre pour imaginer une nouvelle voie ou le mental pour sortir une voie exposée plein gaz au Verdon. Ceux, enfin, qui deviennent des légendes sous nos yeux.
Patrick le puriste a gagné l’une des premières compétitions d’escalade à Bardonecchia en 1986. Que penserait-il de l’arrivée de l’escalade aux Jeux Olympiques ? Nul ne le sait. Mais l’avènement de l’escalade « institutionnalisée » ne l’a pas détourné de sa quête de l’escalade extrême, de son amour pour le beau rocher et l’équilibre parfait. En 1988, Patrick Edlinger grimpait Azincourt, 8c, à Buoux. En 1989, il réalisait Orange Mécanique, 8a, au Cimaï, en solo intégral – et un aboutissement. Sans corde, sans contrainte. Libre.
Patrick Edlinger au Verdon, son royaume. ©Robert Exertier.
Dix ans après sa disparition, l’escalade est plus populaire que jamais. Les salles sont bondées, mais plein de falaises risquent une fermeture avec la fin du système de conventionnement fédéral. Sans doute Edlinge aurait été époustouflé par l’exploit d’Alex Honnold en solo sur El Capitan, et par la vision d’Adam Ondra, qui a inventé le 9c en 2017. Depuis le 9b féminin existe, y compris en France, avec Julia Chanourdie.
L’escalade olympique, sans parler de vitesse, aurait-elle trouvé grâce aux yeux de Patrick ? Il est permis d’en douter. Sans doute aurait-il été amusé de voir une nouvelle génération pour qui le bloc est aussi une discipline ludique et pas seulement de force, une génération qui jumpe de volume en volume pas si loin de la danse-escalade pratiqué par son frère lui aussi disparu – Patrick Berhault.
Une nouvelle génération dont les plus éminent représentants, tel Sébastien Berthe et Nico Favresse, enfourchent leurs montures pour aller grimper tout de lycra vêtus. Un Seb Berthe qui n’hésite pas à traverser l’Atlantique sur un voilier pour gravir le Dawn Wall d’El Capitan, et El Nino presque à vue, en libre. Comme Patrick qui se rendit aux US pour grimper le premier 8a américain en 82 (Grand Illusion, qu’il rata de peu à vue). Loin des chimères olympiques et de la résine, beaucoup plus près du rocher et du verre d’eau.
Le témoignage de Catherine Destivelle
« Nous n’avons grimpé qu’une fois ensemble. Au Verdon, on se croisait peu. À Bardonecchia, lors de cette fameuse première compétition, nous avons tous les deux gagné. J’ai trouvé qu’il avait beaucoup de cran, ce jour-là, parce que tout le monde l’attendait au tournant, et voulait voir si Patrick était si bon. Et il l’a été. »
Photo : Patrick Edlinger à Bardonecchia en 1986. ©Robert Exertier
A lire et à parcourir, le portfolio de Robert Exertier