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Nuorrek, au fil des côtes norvégiennes

Embarqués avec les Bourses Expé

Ambiance mer-montagne en Norvège.

Pour nous la jeune génération qui avons plus l’habitude de raconter nos histoires à travers des films, écrire est parfois le meilleur moyen de prendre du recul pour poser des mots sur ce qui a été vécu. Un exercice primordial car il permet de réfléchir et d’exprimer tous les sentiments ressentis lors de l’expédition. Grâce aux Bourses Expés, nous avons passé 55 jours à deux pour relier à la voile le Cap Nord aux Alpes Lyngen en catamaran, puis réaliser l’ascension du Store Lenangsting (1624 m), deuxième plus haut sommet des Alpes Lyngen.

Dans chaque expédition il y a une face cachée : la logistique. Pour nous, la première étape consiste à amener notre catamaran de sport à notre point de départ : Torhop ; minuscule port du Nord de la Norvège. Nous sommes donc partis d’Avignon, dans le sud de la France, pour un périple de 4101 km avec un bateau derrière la voiture pendant quasiment une semaine.
“Ça y est on est enfin sur la route !” J’entre notre destination dans le GPS, Thibault rigole, nous ne sommes qu’à 50 heures de l’arrivée, enfin du départ… Après 1 an de préparation nous sommes soulagés de partir, enfin. Cela paraît presque irréel. Il est difficile d’imaginer que dans quelques jours le mercure aura du mal à dépasser les 5 degrés.
Les premiers kilomètres passent, nous relâchons un peu la pression, le bateau ne bouge pas et tout notre chargement à l’air de bien tenir. Après une journée de route, nous avons déjà quitté la France et nous trouvons refuge pour la nuit dans une station-service Luxembourgeoise. Notre voiture fait office de camping-car, ce qui demande de l’organisation et une certaine habilité au Tétris vu le chargement. Les journées de routes s’enchaînent et notre passion pour l’autoroute ne grandit pas mais c’est un passage obligé. En Suède, la route est déjà beaucoup plus agréable et l’autoroute se transforme rapidement en nationale. Cependant, après quelques kilomètres on est intercepté par la police suédoise… Avec une remorque, la vitesse maximale sur autoroute est de 80km/h… Notre premier contact avec les suédois aurait pu être plus agréable ! Au fur et à mesure les paysages s’embellissent, de vastes forêts sauvages à perte de vue s’étalent sous nos yeux. Après 5 jours de voiture, nous passons le fameux cercle arctique. Nous sommes toujours en Suède. Nous traversons ce magnifique pays et un morceau de la Finlande avant d’arriver en Norvège. Nous atteignons finalement Torhop par une route bien cabossée après 6 long jours.

Nous entrons avec notre remorque de catamaran de sport dans Torhop, en imaginant ce que les pêcheurs se disent en voyant cette « chose ». On met le frein à main. Ça y est, là on y est. Nous nous avançons vers un pêcheur qui répare son bateau. On discute avec lui une quinzaine de minutes le temps de lui expliquer ce que deux jeunes français font avec un si petit bateau sur un port à l’extrême nord de la Norvège. Ironiquement, il nous questionne “ Will you survive to your trip with this ?”, ce qui met tout de suite à l’aise… Il nous offre un café et nous propose de stocker nos affaires dans le hangar des pêcheurs. Il nous indique où amarrer le bateau. Nous déchargeons, hissons le mat et hop on le met à l’eau. Journée fatiguante mais efficace, tout est prêt. Pour des raisons logistiques nous décidons de descendre la voiture au point d’arrivée avec la remorque puis remonter en bus jusqu’à Torhop (oui il y a un bus). Après 5 jours aller-retour nous sommes de retour à Torhop avec notre sac à dos prêts à partir.

Amarrage du bateau, une épreuve quotidienne. ©Nuorrek

Coup dur

Aujourd’hui, trop de vent. Demain, trop de vent. Après demain, trop de houle. On hésite. On doute. Torhop est situé au fond d’un fjord de 50 km de long et 10 km de large. Ensuite c’est l’océan arctique. Le mois de Juin est particulièrement froid et venté cette année. Il y a 10 jours de mauvais temps annoncé. De la houle, du vent de face, bref c’est la merde.
On sent la puissance de cette région du monde peu hospitalière. L’air est vraiment frais, l’eau est glaciale et le bateau chargé. Thibault est le plus expérimenté de nous deux, il hésite car il a déjà navigué par ce temps mais jamais avec un bateau si lourd. Comme c’est le début de l’expédition, nous sommes au poids maximal que le bateau peut supporter. Il sait le voyage possible, mais le risque de casse est trop important autant au niveau du bateau que de l’équipage. Le problème c’est que changer de point de départ fait perdre beaucoup de temps. Nous sommes frustrés mais il faut se rendre à l’évidence et adapter notre point de départ. Des discussions avec certains pêcheurs nous confortent dans notre décision. D’après eux, le courant, le vent et la houle peuvent être vraiment sous-estimés par les prévisions.
Une nouvelle aventure commence, celle de l’improvisation, de l’aléa. Ce n’est pas grave. Nous avons pris la bonne décision. Nous devons retourner récupérer la voiture et la remorque en stop (les bus ne sont pas là tous les jours) pour pouvoir déplacer le bateau. Nous commençons à connaître la route. Après quelques jours nécessaires à cet aller-retour, nous sortons le bateau de l’eau et partons direction Hammerfest, bien plus abrité dans les fjords.

Des airs de Caraïbes… ©Nuorrek

Le poisson fort bien goûteux ! ©Nuorrek

Le départ, le vrai

Nous profitons de tous ces changements pour partir à la rencontre des Samis, peuple du nord emblématique dans cette région. Nous réalisons des interviews de pêcheurs, fermiers, étudiants et même de rennes. Cela nous remonte le moral.
Nous voilà enfin aux alentours d’Hammerfest, nous avons localisé un endroit pour mettre le bateau à l’eau. C’est (re) parti. Il faut réorganiser toutes les affaires, mater de nouveau et remettre le bateau à l’eau. L’émotion est grande et on sent le vent s’engouffrer dans les voiles. L’aventure peut commencer. Thibault tient la barre. On met le cap sur Neverfjord. C’est génial. On navigue sur un minuscule catamaran dans un fjord 400 km au-dessus du cercle arctique. Aucun bateau en vue. Nous ne disons rien, nous apprécions l’instant. Le bateau avance doucement mais sûrement. Tout fonctionne. Les quelques heures de navigation s’enchaînent dans un incroyable calme : mer d’huile, une légère brise. Puis après ce calme, nous apercevons au loin une mer bien plus sombre. Est-ce le nuage qui est plus épais, ou du vent qui forme la mer ? Nous avions vu que le vent devait monter. Cette zone se rapproche rapidement. Le bateau accélère par pallier. Nous sommes maintenant à 12 noeuds. Tous les deux assis sur la « wings », petit banc qui nous sert à faire contre poids. Nous sommes concentrés. Excités par le départ, nous avons déjà épuisé la batterie de la GoPro. Il nous reste que le GH5 pour filmer mais dans de telles conditions, c’est compliqué.
Thibault toujours à la barre, la mer commence à creuser et les rafales sont de plus en plus violentes. On est dans le vif du sujet. La peur de chavirer se mêle à l’adrénaline. Notre plus grande crainte est de dessaler et de casser quelque chose à cause du chargement du bateau. Malgré cela on enchaîne les miles nautiques, toujours aussi concentrés. Ça va vite, très vite. Nous décidons de nous rapprocher de la côte pour trouver un endroit où accoster. L’adrénaline descend, la fatigue se fait sentir. Nous trouvons rapidement une berge qui fera l’affaire. Ce n’est pas le meilleur bivouac mais nous devons dormir. Nous accostons et harnachons le bateau pour éviter qu’il ne tape sur les rochers. La marée est haute et il repose sur des rochers recouverts d’algues. Nous déchargeons le bateau et installons le campement. Nous avons bien avancé. Je sens Thibault soulagé que cette première “nuit” de navigation se soit bien passé. Il est 6h du matin et nous allons enfin dormir. Nous avons décidé de nous décaler et de naviguer principalement entre 18h et 8h pour profiter du soleil de minuit et des conditions climatiques plus clémentes.

4°C, en plongée. ©Nuorrek

Tout y est : l’incroyable paysage, la chaleur du feu crépitant et un poisson fraîchement pêché.

Navigation sous les nuages

À notre réveil, assez tardif du coup, le bateau est toujours là et le vent a faibli. Nous petit déjeunons vers 14h. Il ne fait pas très chaud et le temps est pluvieux mais on est aux anges. Un chocolat chaud, des oeuf brouillés, le tout avec une vue sur le fjord. Que demander de plus ? Un sauna peut être… Allez, on se fait un petit briefing de la journée, on vérifie le vent et on lève le camp. Cela prend environ 2h le temps de démonter la tente, tout ranger dans les sacs et harnacher solidement chaque sac étanche. Les combinaisons sèches sont enfilées, la grande voile se lève, go !
On croise quelques bateaux de pêches cet après-midi. Une légère brise nous laisse l’opportunité de filmer un peu mais les batteries s’épuisent vite avec ces températures. Les panneaux solaires rechargent lentement à la vue de la grosse couche nuageuse. Il ne nous reste qu’une batterie de GH5 que nous essayons d’économiser.
Nous sommes toujours émerveillés de naviguer dans cet environnement. Grâce aux nuages, le temps est plus calme. Je barre donc quelques heures pendant que Thibault prend bien le temps de vérifier l’itinéraire et la météo. On se met à la cape pour manger quelques barres de chocolat. Naviguer dans les fjords demande une grande vigilance à cause des rafales qui peuvent être très soudaines. De plus, il faut bien « calculer » ses caps pour ne pas se retrouver mal positionnés et se faire coincer face au vent. Lorsque les fjords sont larges, le problème ne se pose pas. Cependant dès qu’il se resserre, il faut être dans le bon sens du vent… Le matériel tient bien et fait le taff. Seul inconvénient : les mains. On se caille les mains. On a des gants mais ils sont bien mouillés. Avec la tête, c’est la seule partie qui n’est pas protégée par la combinaison. Les heures passent. Les miles s’enchaînent moins vite mais nous avançons bien. Au moment de trouver un bivouac les choses se compliquent… Nous ne trouvons aucune berge pour mettre une tente. Notre standard est revu à la baisse et nous décidons d’approcher une zone qui semble plate. A 20m du bord nous nous rendons compte que ce n’est pas du tout ce que nous pensions… L’heure tourne, le vent faiblit, Thibault regarde sur le GPS mais la tâche n’est pas simple. Nous trouvons finalement après 3h un endroit qui fera l’affaire. De toute manière, on est cuit. Pour le bivouac, chacun a son rôle, on a déjà pris nos petites habitudes de vieux. On est plus efficace que la veille. Un lyophi et au lit. Il est déjà 9h du matin. Le bivouac n’est vraiment pas terrible, en pente sur des cailloux plutôt gros.
On n’a pas super bien dormi. On se donne donc pour objectif de trouver un bivouac sympa aujourd’hui pour peut-être se reposer un peu mieux et profiter. Le vent est assez variable aujourd’hui comme d’habitude. On passe de la pétole à une bonne brise plusieurs fois dans l’heure. Le bateau fonctionne toujours. Les deux jours suivants se déroulent avec le même rythme mais le soleil ne fait toujours pas son apparition. Le cinquième jour, le soleil revient enfin un peu le temps de recharger quelques batteries. C’est le moment que l’on choisit pour aller explorer un fjord très étroit.

La Norvège quand il fait beau. ©Nuorrek

La vie d’un fjord

Après quelques heures, on s’enfonce dedans. Il est étroit, le plus étroit depuis le début. Quelques centaines de mètre. On se sent tout petit. L’émerveillement est total. En plus le vent est dans le bon sens ! Cependant il faiblit un peu trop. Je commence à ramer à l’avant pendant que Thibault s’occupe de la barre. C’est calme, ça fait du bien. On a l’impression d’être des Vikings, il n’y a aucun bateau, pas de route, pas de ligne électrique. Il n’y a que le clapotis de l’eau sur le passage des safrans et le bruit de ma rame. Comme nous sommes déjà à mi-distance de la partie maritime, nous décidons de nous attarder 2 ou 3 jours dans ce fjord pour prendre le temps de profiter. L’occasion de beaucoup filmer car cela demande beaucoup de temps et d’énergie.
On vit une aventure de fou et on profite de tout, de chaque son, chaque image, chaque sensation. On ne parle pas beaucoup, je crois même que Thibault a les larmes aux yeux tellement les émotions sont intenses. On est heureux d’être là, à cette instant précis, heureux d’être petits face à une nature qui nous a bien secoué mais qui fait une trêve. On disait souvent des conneries pour passer le temps mais là on ne dit rien. Le fjord se resserre de plus en plus. Nous sommes au milieu et il est déjà 4h du matin. On décide donc de chercher un bivouac pour la nuit. C’est notre meilleur bivouac depuis le début de l’aventure, nous avons pu profiter toute la nuit d’un matelas de fleurs. C’est un peu plus confortable que des pierres…
D’après un pêcheur rencontré quelques jours avant, au fond de notre Fjord un glacier se jette dans l’eau. Nous repartons donc voir ça aux alentours de 22h. Nous avons profité de belles éclaircies pour recharger toutes nos batteries et même celles du drone. Le fjord prend un virage et nous découvrons enfin avec émerveillement, un glacier surplombant l’eau. C’est la millième fois qu’on a la même discussion :
-”C’est vraiment magnifique”
-”Grave !! C’est dingue, on a de la chance d’être là”
Ce n’est pas très poétique mais l’émotion était là. On a touché du doigt le but du projet : la mer et la montagne. Ce fjord n’est que nature, nous ne croisons personne.

 

Il est 2h du matin, la notion du temps n’a plus aucun sens pour nous. La différence de luminosité est à peine perceptible entre le jour et la nuit lorsqu’il y a des nuages.

Nous accostons et montons le camp. C’est sûr, on va rester là deux jours. On était comme des gosses arrivant à Disneyland. De l’eau douce, une vue à couper le souffle, du bois pour le feu, des oiseaux par dizaines donc très certainement du poisson. Bref, on va s’amuser ici. Il est maintenant 8h30 du matin et nous allons donc manger notre petit repas du “soir” avant de dormir. On se réveille le bateau n’a pas bougé, le paysage et les nuages non plus. Nous prenons le temps. Thibault part avec l’appareil et le trépied. Je l’entends lancer des « ça c’est du Netflix p**** » ou des « voilà, c’est beau ça m*** ». Pendant ce temps je m’occupe de l’électronique, charger toutes nos batteries, vider nos cartes SD, donner des nouvelles sur les réseaux sociaux. Mine de rien, cela prend un temps et surtout une énergie considérable.
Lors de nos différents bivouacs on essaie de faire des interviews de nous-même. Cela nous permet d’avoir un journal de bord et de nous rappeler de pleins de détails. Ce n’est jamais évident car l’ennemi numéro un de l’audiovisuel c’est l’eau… Ça tombe bien on fait de la voile sous la pluie ! La météo ne s’améliore toujours pas. Il pleut en continu mais normalement le lendemain il doit y avoir une éclaircie. On voudrait essayer de faire un feu donc on anticipe et on part à la recherche de morceaux de bois pour les cacher dans la tente afin qu’ils puissent sécher. Après une journée de “repos” nous décidons d’enfiler les combinaisons sèches pour aller pêcher au milieu du fjord. On est deux pêcheurs inexpérimentés. Notre palmarès se résume à une truite et quelques dorades dans le sud de la France. Les pêcheurs nous ont répété qu’il y avait du poisson partout alors ça devrait le faire. Nous avons un fil et un leurre, espérons que cela suffira. Il est minuit passé et nous partons à la recherche de notre repas de demain midi. Nous levons l’ancre, pour la jeter à une cinquantaine de mètre du rivage. L’atmosphère est nuageuse, très humide. Je commence à descendre notre ligne que nous avions attachée au bateau. Je n’ai pas le temps de descendre la ligne jusqu’au fond que je sens déjà quelques touches. Je le fais remarquer à Thibault. Il ne me croit pas. Là je sens que ça commence vraiment à tirer mais je ne vois rien. L’idée d’en avoir eu un en même pas dix secondes me paraissait impensable. Je remonte la ligne et je commence à apercevoir une forme assez grosse, très grosse en fait. Thibault n’en revient pas. Je peine à le sortir juste en tenant la ligne à la main. Il fait trois bons kilos au minimum. Comme nous ne sommes pas des grands connaisseurs de poisson nous n’avons pas reconnu la bête. Après quelques recherches, il semblerait que ce soit un Skrei norvégien, un type de cabillaud assez rare, surnommé le « poisson miracle ». Pour des pêcheurs du dimanche, on était fier et nous sommes presque déçus que ce soit si rapide ! Nous nous remémorons les discussions avec les pêcheurs, « fish everywhere » qu’ils disaient et ils avaient raison.

De retour sur la terre ferme, nous mettons notre poisson à l’abri. Nous décidons de le manger demain. De toute manière, tout est trempé donc faire un feu s’annonce particulièrement compliqué. Il fait 4°C et niveau conservation ça devrait aller. Thibault entrepose le poisson sous un abri de pierre pour que les oiseaux ne s’amusent pas à nous le picorer. Il est 2h du matin, la notion du temps n’a plus aucun sens pour nous. La différence de luminosité est à peine perceptible entre le jour et la nuit lorsqu’il y a des nuages. Le sommeil est complètement perturbé et nous n’allons dormir que lorsque nous sommes exténués.
Au réveil, rien n’a bougé. Le temps peine à se dégager mais il ne pleut plus ! Cela faisait longtemps. On en profite pour faire sécher nos affaires et optimiser la position de nos panneaux solaires pour ne pas perdre un watt. Thibault aimerait faire un vol de drone mais toutes nos batteries sont HS. Espérons que le soleil pointe son nez. Cette pause nous fait du bien à tous les deux. La fatigue accumulée de tout le voyage nous a fait tirer sur nos réserves. Aujourd’hui, l’un des objectifs est de faire cuire ce poisson avec un bon feu de bois. Nous avions ramassé du petit bois la veille et l’avons entreposé sous le rabat de la tente pour qu’il sèche. Thibault avait trouvé de la ciboulette sur un des bivouacs précédents. Notre petit projet est donc de manger un poisson cuit au feu de bois avec de la ciboulette norvégienne. Nous préparons le feu avec une grande minutie car le petit bois sec est rare. Je coupe de fin copeau de bois au milieu d’un bois fendu pour faire un amadou. Le feu a du mal à partir mais avec un bon souffle et un peu de temps on y arrive. Nous sourions niaisement en fermant les yeux devant la chaleur qu’il dégage. Le feu, ce symbole de vie, nous redonne de l’énergie et annonce un bon repas. Thibault part vider le poisson au bord de l’eau. Nous ne sommes pas des poissonniers en devenir, nul doute là-dessus, mais on se débrouille. C’est un peu le leitmotiv de l’expédition, la débrouille. Je taille un petit pique pour embrocher le poisson au-dessus du feu. Tout y est : l’incroyable paysage, la chaleur du feu crépitant et un poisson fraîchement pêché. Thibault sort fièrement sa ciboulette, il l’a hachée avec minutie et précision. Nous relevons le poisson avec du sel du poivre et du paprika. Enfin nous pouvons manger sans aucun doute le meilleur poisson de notre vie. Pendant ce temps, grâce aux nuages moins épais, les panneaux solaires ont permis de recharger quelques batteries dont une de drone. On finit de filmer et il est grand temps d’aller se coucher. Demain nous quittons ce fjord qui nous a généreusement accueilli pendant ces trois derniers jours.

Seuls sur le glacier. ©Nuorrek

Direction LyngenFjord

Le réveil du neuvième jour de l’expédition se passe sous un petit soleil. Il faut maintenant continuer d’avancer. La sortie du Fjord est assez longue car la première partie est déventée et après nous avons le vent de face. La fin de journée est marquée par le retour de la pluie. Après 50 miles parcourus nous cherchons un bivouac pour la nuit.
Les deux jours suivants se déroulent dans les mêmes conditions : nuages, petite pluie 60% du temps et vent à 10 noeuds en moyenne. Le bateau tient toujours et l’équipage aussi. Pendant la nuit du onzième au douzième jour, le vent s’est levé et nous avons entendu un grand bruit. La grande voile est en partie tombée dans l’eau. Le vent a forcé sur le point d’écoute et abîmé la partie métallique. Avant de partir, nous mettons une sécurité pour éviter que le point d’écoute s’arrache de la grande voile et nous repartons. Nous arrivons enfin dans LyngenFjord et nous apercevons le bas des Alpes Lyngen sous les nuages. Nous repérons un petit emplacement pour bivouaquer et prendre des forces pour notre dernier jour de navigation.

Bonne surprise : la météo prévoit quelques percées du soleil pour notre arrivée aux Alpes Lyngen. Le bateau harnaché, on peut enfin souffler. Nous venons de finir la partie maritime. Le temps ne nous a pas fait de cadeaux mais le bateau a tenu le coup. On va enfin pouvoir se dégourdir les jambes et on commençait à avoir hâte. Avant de prendre de la hauteur, il faut refaire tous les sacs et partir le plus léger possible. Nous emportons juste nos sacs de couchages, nos tapis, une partie du matériel vidéo, 6 jours de nourriture et les affaires d’alpinisme. Même en ayant tout optimisé, nos sacs pèsent 25 kilos chacun.
Après une demi-journée de préparation, nous partons direction le premier bivouac repéré sur la carte. La première partie est assez laborieuse car nous sommes au milieu d’un énorme pierrier et il n’y a aucun chemin. Avec de telles charges, le moins que l’on puisse dire c’est que nous ne sommes pas très stables. Après 4h de marche, nous arrivons à 500 mètres d’altitude près d’un petit lac d’altitude. Nous montons rapidement le bivouac, ça fait du bien de ne plus gérer la logistique du bateau. Épuisés on s’endort rapidement.

Nous nous réveillons sous un soleil de plomb aux alentours de 13h. Nous profitons de l’après-midi pour filmer et faire les derniers repérages sur la carte avant de monter au glacier. Pour se sentir propres avant de monter, le lac nous donne des idées. C’est l’eau la plus froide dans laquelle on ne s’est jamais baignés. Elle ne doit pas dépasser les 5 degrés. Le temps de faire un petit aller-retour à la nage, on reste moins d’une minute trente dans l’eau avant d’aller se réfugier dans les duvets pour se réchauffer. En fin de journée, après avoir mangé on décide de partir aux alentours de 23h pour que la neige soit bien gelée. Après une dizaine de minutes de marche, il est temps de chausser les crampons et de s’encorder. Cinq minutes plus tard, on trouve une lèvre contre les rochers et on prend 2 heures à s’entraîner à la chute en crevasse. Cela nous permet de nous rappeler les techniques de mouflages et nous remettre en tête les réflexes pour gagner en efficacité si un problème survient. Une fois l’entraînement fini, on repart sur le glacier et au bout d’une heure le brouillard est complètement tombé. Impossible de savoir où l’on va, je vois à peine Thibault devant. Heureusement, avant de partir nous avions rentré les coordonnées d’un endroit ou l’on pouvait bivouaquer dans notre GPS. En s’aidant de la boussole on parvient tant bien que mal à avancer. La montée est assez étrange, tout est blanc et on alterne avec des replats et des pentes très raides. Nous arrivons à l’emplacement voulu vers 6h du matin, nous sommes maintenant à 1000 mètres d’altitude. On sonde autour du camp pour vérifier qu’il n’y ai pas de crevasse. On aplanit le terrain et on installe la tente au milieu d’une immensité blanche. Nous n’avons aucune idée de ce qui nous entoure, on verra bien demain.
Une fois levé, nous apercevons enfin le paysage. Nous sommes au milieu d’un glacier immense de 2 kilomètres de large. L’après-midi, le soleil tente quelques visites mais le ciel reste grisonnant. Cela nous permet de découvrir brièvement le sommet du Store Lenangsting. Après avoir consulter la météo, on a un créneau disponible entre minuit et 3 heures du matin pendant lequel le sommet devrait être dégagé.

Sur le départ, ambiance montagne. ©Nuorrek

Passage de la rimaye, la mer semble loin !  ©Nuorrek

Sommet du Store lenangstind (1624 m). ©Nuorrek

À 23 heures, nous partons tenter l’ascension dans un brouillard encore bien épais. Après une heure de marche assez tranquille, le temps s’est dégagé et la dernière face se révèle. Aux alentours de 1 heure, nous attaquons la dernière montée et elle s’annonce rude. La pente est à plus de 50 degrés et une crevasse barre le chemin sur toute la largeur. Nous repérons un pont de neige suffisamment solide pour la traverser. Thibault s’engage et passe la crevasse sans problème ; mais lorsque je m’engage il cède. Je suis donc obligé de trouver un nouvel endroit ou passer, ce qui nous fait perdre un peu de temps. Le reste de la montée se passe sans incident et on atteint le col vers 2h30. La vue est tout simplement magnifique. Nous profitons des couleurs du soleil de minuit et apercevons deux fjords différents de chaque côtés du col. Nous avons une vue imprenable sur toute les Alpes Lyngen. On prend le temps de profiter et de filmer mais à 3 heures le brouillard est déjà en train de monter sur nous. Il nous reste une cinquantaine de mètres sur l’arête sommitale pour arriver au sommet mais on prend la décision de redescendre car on ne veut pas prendre le risque de faire tout le chemin du retour dans le brouillard avec les crevasses.
La tente montre le bout de son nez vers 5 heures du matin, nous sommes enchantés. Le sommet n’était pas une fin en soit, nous avons pris énormément de plaisir à grimper et nous avons pu profiter, sans aucun doute, des plus beaux paysages que l’on n’ait jamais vu.
C’est ici que s’achève notre aventure en Norvège et nous tenons à remercier tous les partenaires et les personnes qui nous ont accompagné dans ce projet.
Simplement merci de nous avoir permis de réaliser un de nos rêves.

Un col au paradis. ©Nuorrek