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Laurent Ballesta : la montagne sous la mer, ou l’alpinisme à l’envers

Une bouteille à la mer…

Une montagne sous-marine, rien d’autre que le prolongement des Alpes sous la mer le long de la Côte d’Azur ! Quand le plongeur a une sorte de vision d’alpiniste ! Il faut savoir que la photo de grand paysage n’existe pas en photographie sous-marine, le manque de transparence ne le permet pas généralement, il faut des conditions très particulières pour que ce soit possible : de l’eau claire certes mais surtout être à une profondeur telle que la lumière est faible mais encore présente, c’est-à-dire où les particules, toujours présentes dans l’eau, qui généralement éblouissent et freinent la visibilité, n’ont plus ce rôle parasite. c’est le paradoxe des profondeurs : là où la luminosité est plus faible, la visibilité est plus grande ! ©Laurent Ballesta

Cette bouteille à la mer est toute particulière. Alors que le Festival international du film et du livre d’aventure vient de se muer en évènement en ligne, ce message de son Président Stéphane Frémond, rappelle combien l’aventure s’affranchit des formats et des supports, jusqu’à voyager sur les flots digitaux, ces océans contemporains. La bouteille du jour est envoyée à Laurent Ballesta, alpiniste des mers. Ou comment changer de regard pour observer la montagne à l’envers. 

La Rochelle, le 30 octobre 2020

Cher Laurent,

Jamais bouteille à la mer n’aura été aussi sûre d’arriver à destination ! Quoique… Pour moi qui affectionne avant tout les mots, que de calculs aura-t-il fallu pour mettre au point ce prototype de bouteille submersible. Il s’agissait tout de même que tu puisses la repêcher en profondeur. Je l’ai donc immergée au large de La Rochelle, où elle a entamé une longue plongée qui doit la conduire jusqu’à ta chère Méditerranée via les profondeurs du Golfe de Gascogne, les fonds agités de l’Atlantique bordant la péninsule Ibérique, puis le goulet du Détroit de Gibraltar. Par la suite c’est dans les profondeurs de la grande bleue qu’elle croisera jusqu’à ce que tu la glanes lors de sa remontée dans la zone des -30-40 mètres…

explorer une montagne sous-marine
pour un plongeur,
reviendrait à débuter une ascension par le sommet
pour un alpiniste !

Une correspondance mer – montagne avec le plongeur, explorateur et biologiste marin que tu es, cela peut paraître bien étrange, je te le concède. Mais à mesure que j’ai découvert le récit de tes expéditions et explorations sous-marines ces dernières années via films, livres et photographies, je me suis parfois questionné sur la relation du plongeur profond aux notions de reliefs, de topographie sous-marine : de bathymétrie pour employer le terme en vigueur sous le niveau 0.

L’approche de la bathymétrie était fort bien exposée dans les films relatant deux expéditions majeures du cycle Gombessa, dans la passe de l’Atoll de Fakarava en Polynésie Française. Il y était question de relief, de plateau, de canyon, faille, grotte. Certes il y a aussi les termes propres aux profondeurs : banc, fosse, tombant, patate, etc. Mais tout de même que de similitudes. Et c’est plus récemment que m’est venue l’idée de te questionner sur ces aspects, en visionnant un film à paraître prochainement, Le mystère du Mont Lapérouse. Lors de cette expédition scientifique consacrée à l’exploration d’un mont sous-marin de l’archipel des Mascareignes, tu as utilisé cette image éloquente : « Explorer une montagne sous-marine pour un plongeur, reviendrait à débuter une ascension par le sommet pour un alpiniste ! » Je reconnais bien là ton sens de la formule…

Laurent Ballesta. ©Coll. Laurent Ballesta

Ainsi, l’exploration sous-marine, serait un peu de l’alpinisme à l’envers ? Y vois-tu des similitudes ? Te sens-tu parfois un peu alpiniste lors de plongées sous-marines par des fonds « accidentés » ?
Les plongeurs s’encordent-ils à leur manière ?!
Car il me semble y voir une différence de taille : quand l’alpiniste prend pied voire s’agrippe à la paroi et tâche de ne pas lâcher prise, vous autres plongeurs vous vous détachez allègrement des tombants et des reliefs, « planant » lentement dans une sorte de chute libre maîtrisée, comme au ralenti. Cela ferait-il de vous des paralpinistes des profondeurs ?! Des paraplongeurs ?

Lorsque tu arrives à saturation des profondeurs, 
aimes-tu tourner ton regard vers les montagnes ?

Gaston Rebuffat a eu un jour cette phrase devenue depuis un classique : « L’alpiniste est celui qui conduit son corps là ou un jour, il a posé ses yeux… » Dans la même veine, quelle définition donnerais-tu du plongeur explorateur ?

Regagnons un peu la terre ferme. Lorsque que tu arrives à saturation des profondeurs (désolé, je n’ai pas pu m’en empêcher), aimes-tu tourner ton regard vers les montagnes ? Et si oui – ce que j’espère faute de quoi ce papier tombera… à l’eau – que vas-tu y chercher ? Contemplation, exploration, itinérance, ascension, repos ?

Je te laisse refaire surface (!) après toutes ces questions. Une fois ta réponse rédigée, à l’encre de seiche si tu le souhaites, tu pourras glisser la missive dans une bouteille plus classique que celle conçue pour le trajet aller ; et la mouiller sur une plage de Camargue en lui donnant le premier cap. La visibilité sous-marine est souvent faible voire nulle par chez moi dans les pertuis. Il me sera plus aisé de cueillir le flacon en surface !

Hâte de te lire,
Stéphane

Planète Méditerranée, Laurent Ballesta, Edition Andromède Océanologie / Héméria, 296p., 2020, 69€.