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Hypothermie : sauvée après 6h d’arrêt cardiaque

Happy end pour un secours dans les Pyrénées

Après 6h d’inactivité, le coeur d’Audrey Marsh, une britannique de 34 ans victime d’une sévère hypothermie en montagne, repart. Miracle ? Non, mais ce que le froid prend, il peut parfois le redonner. Élément omniprésent en montagne, souvent ennemi de ceux qui l’arpentent, le froid pourrait bien se faire plus amical que vous ne le pensez. Quand le fait divers rencontre la science : pourquoi l’hypothermie permet-elle la survie et comment la gérer ? 

Le 3 Novembre dernier, Audrey Marsh, britannique de 34 ans, se fait surprendre par la tempête et perd connaissance lors d’une sortie en montagne dans les Pyrénées avec son mari. Il est environ 13h lorsque son mari appelle les secours. Arrivés à 15h35, ceux-ci découvrent la jeune femme inanimée, sans aucune activité cardiaque et avec une température interne de 18°C, contre 37°C en temps normal. Après plusieurs tentatives de réanimation, ils décident de la transférer en hélicoptère vers l’hôpital Vall d’Hebron qui possède un système innovant de réanimation baptisé ECMO (oxygénation par membrane extra-corporelle). Cette machine, utilisée pour la première fois en Espagne va permettre de réchauffer le sang d’Audrey Marsh très progressivement en l’extrayant d’une veine, puis en le réinjectant chaud dans une artère.  Vers 21H45, plus de six heures après qu’elle ait été secourue, alors que le corps s’est réchauffé, les médecins ont tenté de la réanimer. Le Dr Argudo explique : « Nous avons décidé de réaliser un électrochoc pour tenter de réveiller son cœur et ça a fonctionné. L’hypothermie l’a tuée et l’a sauvée en même temps. » Et, le mieux dans l’affaire, sans aucune séquelle pour le cerveau de la victime. Paradoxal? Sur le papier oui, mais en médecine le phénomène est connu depuis longtemps. 

 

« Personne ne doit être considéré mort avant qu’il n’ait été réchauffé et déclaré mort. » 

L’hypothermie salvatrice ?

Le cas d’Audrey Marsh, pour exceptionnel qu’il soit, n’est pourtant pas le seul. Des événements similaires ont déjà surpris le corps médical et les médias dans les Alpes ou en Scandinavie. En 1999 la revue scientifique The Lancet relatait l’histoire d’une patiente en Norvège réanimée avec succès après être descendue à 13,7°C de température corporelle. Elle fut réanimée après 9h d’arrêt cardiaque. Idem pour un enfant avec un température corporelle de 14,7°C, sauvé 7h après son arrêt cardiaque. Le paradoxe de l’hypothermie est qu’elle tue mais sauve aussi ses victimes. Pour bien comprendre ce mécanisme, il faut d’abord savoir « qu’avec le froid, le métabolisme ralentit, les organes nécessitent moins de sang et d’oxygène et cela permet au cerveau de se préserver« , comme l’explique le Dr Argudo qui s’est occupée du cas d’Audrey Marsh.

La victime est donc tuée par l’action du froid, mais celui-ci la maintient également dans un état proche de celui d’hibernation chez l’animal. Sans cela, le manque d’oxygène occasionnerait forcément des séquelles au niveau du cerveau. En effet, dans ces cas bien précis, l’hypothermie n’est pas que nocive pour le corps humain. Elle permet de protéger le cerveau, car la consommation d’oxygène diminue quand la température du corps diminue. « A 15°C, le cerveau peut supporter d’être privée d’oxygène pendant une heure sans séquelles ». En revanche, le cœur est un organe sensible au sang froid qui risque d’affluer des extrémités. Ce cas de figure intervient dès le stade d’hypothermie modérée (température corporelle entre 32 et 28°C) et peut provoquer un arrêt cardiaque. Il ne faut donc absolument pas secouer une personne en potentielle hypothermie ! En d’autres termes et selon les mots de Marie-Anne Magnan, médecin à l’ENSA : « Personne ne doit être considéré mort avant qu’il n’ait été réchauffé et déclaré mort ». Une personne vivante en hypothermie sévère qu’on réchauffe trop vite peut en mourir.

En montagne, tout traumatisé est a fortiori suspecté d’hypothermie jusqu’à preuve du contraire. Même si la personne ne frissonne plus, cela ne signifie pas que l’hypothermie est passée. Le rendement des frissons est tellement médiocre en terme de production d’énergie et de chaleur, qu’à un stade avancé d’hypothermie, le corps les fait cesser pour passer en léthargie, comme un animal qui hiberne. La personne peut sembler aller mieux, mais n’est pas capable de se réchauffer par elle-même.

 

Audrey Marsh, après sa réanimation. DR

Comment réagir ?

L’hypothermie est avant tout un réflexe de de survie du corps. À terme, pour limiter la perte de chaleur, l’organisme pare au plus urgent et va sacrifier tout ce qui n’est pas indispensable à sa survie. L’hypothermie et les gelures sont donc avant tout des armes que le corps active contre le froid. Un arsenal aux conséquences forcément néfastes pour le corps sur le long terme, mais qui peut permettre des renversements de situations exceptionnels, si la victime est bien gérée.

Dans le cas d’Audrey Marsh, les secours ont réchauffés le corps de la victime de façon extrêmement progressive à l’aide du système de réanimation ECMO. C’est probablement ce dispositif très perfectionné qui a permis à la victime de s’en sortir sans séquelles. Cependant, en situation sur le terrain, les bons gestes sont essentiels pour garantir le maximum de chances de survies. Dans le cas d’une hypothermie légère tout d’abord, la victime est consciente et frissonne. Il faut l’isoler du froid, la mettre à l’abri du vent, lui faire boire des boissons chaudes et la faire bouger. Sans oublier d’alerter les secours. Si elle est en bonne santé, elle sera normalement capable de faire remonter sa température corporelle toute seule.

À partir du moment où les frissons disparaissent, il faut protéger la victime du froid et la mettre à l’abri en la réchauffant de manière passive, sans frictionner. À ce stade, la victime est extrêmement fragile et doit être manipulée comme de la porcelaine. L’alerte aux secours doit être rapide pour un transfert à l’hôpital en urgence. C’est précisément dans ce type de situation que des mouvements trop brusques pourraient entraîner l’arrêt cardiaque de la victime. Le sang refroidi des extrémités remonte alors jusqu’au coeur qui ne supporte pas le froid et s’arrête subitement.

Audrey Marsh a donc eu de la chance dans sa détresse. L’occasion aussi pour nous montagnards de tirer des leçons de ce fait divers en apprenant à anticiper et gérer ce type de situation. Perdus dans un coin des Alpes ou ailleurs dans pareilles circonstances, il est bon de pouvoir compter sur quelques connaissances en attendant l’intervention des secours et du précieux ECMO.