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Groenland : un bigwall inachevé pour Nico Favresse et Sean Villanueva

©Nico Favresse

C’est une histoire dont les belges Nico Favresse et Sean Villanueva sont coutumiers : ouvrir un big wall perdu sur l’une des côtes sauvages du Groenland. Accompagnés cette fois de Ben Ditto, Sean Beecher et Franco Cookson, ils n’ont pas réussi. Trop haut, trop lisse pour grimper en libre, ils n’ont pas voulu changer d’éthique pour une paroi impressionnante qui ne s’est pas laissé faire. Immersion dans le Scoresby Sund, un récit de Nico Favresse.

«C‘est fini. » Tels sont les mots prononcés par Sean [Villanueva, ndlr] lors de notre onzième jour d’ascension du Mirror Wall, au Groenland. Vous vous souvenez peut-être que lors de ma toute première journée de randonnée vers notre objectif d’escalade, j’ai trébuché sur un rocher pointu, je suis tombé dans une flaque et je me suis retrouvé avec une grosse coupure au tibia. 

Scoresby. ©Nico Favresse

Comme je suis resté en retrait à essayer de guérir ma blessure pendant que Sean, Ben et Franco transportaient des charges sur les 30 km d’approche, je n’ai découvert l’ampleur de la ligne qu’ils avaient choisie qu’en rejoignant la paroi avec ma lourde charge, dix jours plus tard. Ma blessure n’était pas complètement guérie mais je ne pouvais pas laisser les gars continuer dans le mur sans moi et j’ai eu la chance de rencontrer une équipe de trois marins français heureux de m’aider à porter mon matériel.

Il m’a suffi d’un rapide coup d’œil pour comprendre que nous étions sur le point de réaliser la ligne la plus ambitieuse que nous ayons jamais tentée. C’est un bouclier de granite raide, sans fissure, avec seulement des paillettes et des arêtes occasionnelles pour progresser. Seul le dernier tiers de la paroi semble avoir un système de fissures continu. Quoi qu’il en soit, j’ai toujours dit que pour trouver un bon défi, il faut essayer ce qui semble impossible. Alors ici, c’est sûr que nous avions l’impression de relever un grand défi.

L’ambiance incroyable de la paroi. ©Nico Favresse

Sean et Nico. ©Nico Favresse

Il nous a fallu deux jours pour monter à 300 m avec tout notre matériel, notre eau et notre nourriture en passant par un pilier plus facile sur le côté droit de la paroi et en établissant un camp au début de la section difficile. J’ai essayé de me motiver avec optimisme, mais il était difficile d’ignorer le poids des difficultés qui nous attendaient. Lors de ma toute première longueur de grimpe, dix mètres au-dessus d’une vire et de mauvaises protections, j’ai décidé de planter un spit.

Épuisé par le fait d’avoir dû taper sur le tamponnoir pendant une heure et demi, je pouvais enfin me reposer sur le point et j’ai décidé de laisser Sean continuer la longueur. Huit heures plus tard, quatre spits supplémentaires ont été posés et nous nous sommes rapprochés de 30 mètres du sommet. En regardant depuis notre point le plus haut je ne pouvais qu’imaginer la quantité d’efforts requis pour placer tous les spits nécessaires pour pouvoir remonter cette face en me sentant suffisamment en sécurité.

Ce soir-là, lorsque nous avons atteint notre camp après quatre jours d’efforts intenses, j’ai remarqué que ma blessure était infectée et j’ai dû commencer un traitement antibiotique et m’en tenir à jouer de la musique pour que l’infection guérisse.

dilemme : percer une échelle de spits pour continuer à progresser
ou abandonner

La ligne envisagée, et le point maximum atteint. ©Nico Favresse

Pendant les huit jours qui ont suivi, avec une quinzaine spits, Sean a tout grimpé en tête, en passant au moins huit heures par jour pour progresser d’environ 40 m par jour. L’escalade était un mélange extrêmement intense d’escalade artificielle et d’escalade libre.

Finalement, à environ 30 m de ce qui semblait être un terrain plus facile, Sean a fait quelques grosses chutes dans un dièdre dont le rocher se désintégrait, ne lui laissant pas la possibilité de s’arrêter et de placer des protections. Il avait fait un effort incroyable pour nous amener à 700 m du sol en plaçant seulement 18 spits, mais nous nous retrouvions face à un dilemme : percer une échelle de spits pour continuer à progresser – ce que nous avons toujours considéré comme inacceptable selon les règles de notre propre jeu d’escalade – ou abandonner.

©Nico Favresse

Je suppose que vous devinez ce que nous avons décidé de faire ! Sean a eu du mal à abandonner parce qu’il a mis beaucoup d’énergie dans cette ascension, mais nous avons tous pensé que c’était le bon choix de s’en tenir aux règles que nous avons choisies. D’une certaine manière, c’est ce qui fait toute la valeur de l’escalade. On ne peut pas grimper toutes les parois, certaines font rêver en restant impossibles.

Avec un peu de temps supplémentaire avant que nous ne soyons à court de nourriture, Franco et Sean ont enfin pu profiter de l’escalade libre de certaines sections du mur. Par un effort impressionnant, après avoir utilisé des cordes fixes pendant des jours, Franco a réussi à libérer une courte section, l’une des plus dépourvues de prises.

À ce moment-là, l’infection avait enfin disparu et ma blessure commençait à être guérie. Il nous a fallu quatre jours de plus pour redescendre et transporter notre matériel jusqu’à la mer, et quatre jours de plus pour atteindre l’Islande. Bien que nous soyons rentrés à la maison cette fois-ci sans aucun sommet dans nos poches, je peux vous assurer que l’aventure n’a pas été moins forte !