C’est l’histoire d’une voie pas comme les autres, une voie rare et répétée en libre et à vue par Symon Welfringer avec Antonin Cecchini et Aurélien Vaissière. 1200 mètres, 7c max et protection sur de rares pitons et coinceurs : on peut dire sans doute aucun que la Colonne d’Ercole est l’une des très grandes voies majeures des Dolomites dans le plus pur style traditionnel (zéro spit). Voici les impressions de Symon Welfringer, qui a enchaîné toutes les longueurs.
En montagne et ailleurs, il faut aller voir au pied pour voir si ça peut passer. Mais au pied des mille deux cent mètres de la Civetta, au coeur des Dolomites, Antonin Cecchini, Aurélien Vaissière et Symon Welfringer ne faisaient pas les malins. Et pour cause. Malgré la grosse expérience du trio, qui va d’une expédition récente et réussie au Pakistan à la répétition d’une voie en falaise en 8c+ pour Symon, les frenchies se sont lancé un sacré défi. La Colonne d’Ercole – ou les piliers d’Hercule, selon l’expression d’un des ouvreurs – est l’une des plus fantastiques lignes des Dolomites. Par son ampleur, bien sûr : vingt-huit longueurs soutenues, dont une série de longueurs cote jusqu’à IX (UIAA) soit 7c, et selon les ouvreurs, VIII+ obligé soit 7a+/7b… Mais aussi, et surtout, par son style. Zéro spit, pitons et relais parcellaires, pour ne pas dire hasardeux, tout concourt à faire de la Colonne d’Ercole un défi que personne n’avait réussi à répéter à vue et en libre (malgré une ascension en 2014 mais pas d’enchaînement de cette façon) depuis son ouverture qui a pris… trois ans.
Trois jours à la Civetta
Ceci explique sans doute cela : les ouvreurs, Alessandro Baù, Alessandro Beber et Nicola Tondini auront mis plusieurs étés à venir à bout du projet, entre 2009 et 2012, sans jamais dévier de leur éthique stricte : gravir une nouvelle ligne en libre extrême sur le calcaire tantôt fissuré mais souvent compact de la Punta Tissi, sur la Civetta. Si à l’époque ils admettent chez nos confrères de Planet Mountain avoir emmené en fond de sac un tamponnoir au cours de l’une de leurs journées, c’est parce qu’ils pensaient que les longueurs compactes et grises du milieu de la paroi seraient peut être sans autre protection. Il s’est avéré qu’ils sont passé uniquement sur coincer et en pitonnant, suspendus à un crochet goutte d’eau, laissant en place quelques pitons et beaucoup d’air entre eux.
Le vide se creuse dans la Civetta. © Cecchini-Vaissière-Welfringer
Le 16 août, le trio français est parti dans la paroi avec l’idée de faire deux bivouacs. « Cela s’est avéré une très bonne stratégie puisque les bivouacs à R10 et R23 étaient confortables », raconte Symon. « Ce qui a été assez incroyable, c’est que j’ai pu faire toutes les 29 longueurs à vue, concentré jusqu’à la dernière avec une escalade si exigeante sur des protections pas toujours rassurantes et souvent éloignées. c’est donc la première répétition en libre à vue ». Symon Welfringer poursuit : « globalement cette voie offre des longueurs vraiment exceptionnelles autant par rapport à la qualité du rocher que par le cheminement de la voie permettant de se protéger uniquement sur friends. Quelques runouts (des sections non protéggeables), sont bien présents comme souvent en calcaire mais on trouve toujours de quoi se protéger au bon moment. » Ce qui est de la part de Symon un bel aveu quant à l’engagement mental que nécessite ce genre de voie – lui qui en guise de premier mont Blanc s’est offert Divine Providence l’hiver dernier. « Le crux du 7c reste quand même un beau combat mental avec des mouvements bien complexes sur règles au dessus de deux mauvais pitons. » Symon Welfringer a ainsi enchaîné en libre toutes les longueurs. Mais il y a plus. Par exemple le fait que sur un relais, l’équipe n’a pas osé hisser le sac, vu la piètre qualité du relais – les seconds se chargeant du sac de bivouac. Autant dire qu’il valait mieux éviter une chute en début de longueur suivante… : « à plusieurs reprises les relais étaient de solidité douteuse, nous n’avons pas oser hisser tout le matériel à chaque fois, en effet trois jours de vivres à hisser sur des mauvais pitons, ça ne se finit pas toujours bien. » (sic).
La face nord-ouest de la Civetta a donc été une voie très marquante, et le signe que ce trio-là s’entend décidément très bien pour faire de grandes et belles ascensions. Symon : « Nous avons bien trouvé ce que nous cherchions en venant dans les Dolomites. Un bon engagement dans chaque longueur qui nécessite une concentration totale à tout moment. Quelques pitons avaient disparus depuis l’ouverture rendant certains endroits un peu paumatoires. En résumé, ce fut une sacrée découverte que cette face Nord de la Civetta, tellement impressionnante avec ses 1200m de développé et son calcaire complètement dingue. Un pur voyage. » Et une réalisation marquante de l’été.
Aurélien et Antonin savourent le bivouac. © Cecchini-Vaissière-Welfringer
Vous avez de bons yeux si vous voyez les protections de ce genre de longueur.© Cecchini-Vaissière-Welfringer