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Divine providence en hiver ou ma première fois au mont Blanc

(et par la voie la plus difficile)

Certains réalisent leur première ascension du Mont-Blanc par la voie normale du Goûter, ou par les 3 Monts. D’autres, comme Symon Welfringer, préfèrent choisir la voie la plus dure du massif, et en hiver, pour leur première expérience sur la grande bosse. C’est aussi une répétition rare qu’il signe avec Xavier Cailhol avec cette ascension hivernale de Divine Providence, voie ouverte par Patrick Gabarrou et François Marsigny en 1984. Récit par Symon.

Résumer la montagne au travers d’une seule voie serait bien réducteur mais le topo qui a toujours traîné au fond de mon portefeuille c’est celui là.  Du rêve de gosse voyant scintiller cette ligne au loin à la concrétisation avec Xavier Cailhol, tout n’a pas été simple pendant ces journées mêlées de doutes et de froid. Mais notre motivation a su prendre le dessus, et quel plaisir de pouvoir fouler seuls au monde cette cime du Mont-Blanc que je découvrais.

Chasse aux conditions

L’aventure commence derrière mon bureau à Météo France Grenoble, un vaste anticyclone s’installe sur les Alpes pour les deux semaines à venir avec nulle ombre d’un nuage. Après notre expédition au Népal cet automne, j’avais découvert une nouvelle facette de l’artif qui pouvait permettre de passer à priori n’importe où, en particulier par temps froid. En rentrant de ce voyage, j’ai remis le nez dans la liste des projets et ai commencé à m’intéresser à « Divine » en mode actif et hiver. Quelle stratégie adopter ? Avec l’ami Aurélien Vaissière on a commencé a piocher des infos par-ci par-là, mais rien de vraiment concluant. Ce qui est sûr, c’est qu’il va faire froid et que ce sera long, voire très long. Le temps passe, et j’ai la chance de pouvoir aller au Corno Stella fin décembre, pour grimper la mythique voie du dièdre rouge; En plus d’une hivernale, nous arrivons à grimper toutes les longueurs en libre. Cette petite perf’ sur une voie mythique nous donne l’envie d’aller plus loin, tenter quelque chose de plus technique et de plus haut en utilisant les mêmes techniques. Xavier est sur la même longueur d’onde que moi, nos yeux sont rivés sur la météo des prochaines semaines de ce mois de février, un réel anticyclone a l’air de se profiler. L’isotherme 0 degré et aux alentours de 3000 m, le vent paraît faible. C’est sûr, nous allons tenter le voyage dans le Grand pilier d’angle en hivernale.

 je ne me suis jamais senti aussi petit au milieu des montagnes qui m’entourent

Dans la 2e longueur en 7a. © Welfringer / Cailhol

Le samedi 16 février à midi, nous sommes au tunnel du Mont-blanc en train de finaliser nos sacs. Tout est prêt, à un détail prêt : j’ai oublié mon casque. Grace à l’aide du brave Lucien qui se charge de nous déposer à Courmayeur, nous remédions à ce léger problème. A 15h, nous enfilons ces bouts de métal oranges appelés Snowplaks, sorte de raquettes ultralégères qui se clippent sur les crampons. Cet outil nous permet en principe de ne pas brasser pendant les nombreuses traversées neigeuses qui nous attendent. Une petite nuit à la Fourche avec vue sur l’objectif des prochains jours et le lendemain nous repartons à 4 h. Deux rappels, puis nous commençons à marcher en direction du col Moore. L’approche de cette voie est clairement l’une des plus exposée du massif, pour accéder au pied du grand pilier d’angle, les énormes séracs de la Poire nous surplombent. Les récits suffisent à décourager plus d’une personne à partir dans cette voie. Pour ma part, c’est le récit de Max Bonniot qui résonne dans ma tête, écrivain et alpiniste aguerri il décrit ce passage ainsi : « Un sprint à 3500 mètres d’altitude pour conjurer le sort et invoquer la Providence, les cuisses et les poumons brulants. Ici la chute de séracs arrive plusieurs fois par jours, c’est un fait… et c’est l’unique accès possible à la voie mythique que nous convoitons. » Et c’est dire le cran du bonhomme, à notre tour donc, de nous aligner sur la ligne de départ de cette course contre la montagne tel Usain Bolt dans son couloir. Dans la nuit noire, tout paraît sans danger, nous ne voyons pas ces séracs, à quoi bon courir dans le noir ? Le lendemain, nous aurons l’occasion de voir s’écrouler ces immeubles de glace, je pense que je ne me suis jamais senti aussi petit au milieu des montagnes qui m’entourent, un bloc de glace de la taille de mon van gît à quelques mètres de nos traces de pas …

La parole de Xavier

Xavier raconte ses sensations pendant les deux jours qui suivent : « Il est 6 heures, et nous attaquons l’escalade du socle de Divine. Nous tirons des grandes longueurs de 60 m en mixte. Cette grande rampe qui doit nous mener au bivouac, nous offre des longueurs en mixte très agréables, jusqu’à l’avant dernière longueur sous le bivouac prévu qui s’avèrera être un tas de caillou vertical. Une belle lutte pour sortir de cette longueur désagréable en 6b à prises amovibles, puis nous arrivons au pied du bouclier.  Motivé à fond, Symon ira même fixer la première longueur du headwall en prévision pour le lendemain matin. Après une bonne nuit de sommeil, nous voilà partis à l’attaque du bouclier, il est 6 heure et demi et nous sommes au pieds du premier 7a. Le froid est plutôt vif, j’attaque donc cette longueur moitié en libre moitié en artif. Nous fixons la corde. Je hisse les deux sacs et Symon remonte au Jumar. Ca y est, on est dedans, nous grimpons les longueurs du bouclier en alternant libre et artif. Le leader fixe la corde au relais, et le second remonte à la jumar avec les deux sacs accrochés à lui. Malgré le soleil, le fond de l’air est froid. On ne quittera pas la doudoune de la journée. Les longueurs sont compactes et nous remontons assez vite les deux premiers 7a et le 7b. Une fois ces longueurs passées il nous reste deux 6b et un 7a. Il est 13 heures, le soleil commence à partir, le froid déjà vigoureux se renforce encore. Le passage du pendule nous offre un petit moment de réflexion afin d’éviter de faire plus de Jumar que nécessaire pour le second. S’en suit le deuxième 7a et son relais suspendu. Puis un dernier 6B+. Ca y est nous sommes sortis du bouclier. Il est 15 h. Sauf que Divine Providence, ce n’est pas qu’une grande voie de 12 longueurs. Il faut, une fois tout ceci fini, rejoindre l’arête de Peuterey. Le froid, la neige et surtout la glace noire nous auront bien retardé dans cette sortie plus longue que ce à quoi nous nous attendions. A 20 heures nous rejoignons le bivouac quatre étoiles que Patrice nous avait conseillé. Nos réserves de gaz étant limites nous irons dormir sans manger. »

Réveil dans le gaz pour Xavier. ©Welfringer / Cailhol

La 4e longueur en 7a au petit jour. ©Welfringer / Cailhol

Derniers efforts, dernières frayeurs

Le réveil du quatrième est dernier jour est rude. On s’autorise une petite grasse matinée avec une sortie des duvets à 6h30. Selon nous, le plus dur est fait et la montée au Mont-Blanc de Courmayeur devrait dérouler par rapport à ce que nous venons de faire les jours précédents. Bien naïfs que nous sommes, l’arête n’a rien de commun avec l’arête en neige que nous connaissons. C’est une cascade de glace noire à 60 degrés. Cette dernière montée en glace me pousse dans mes retranchements physiques, après ces trois jours d’escalade, je commence à avoir du mal à voir la fin. Je laisse Xavier gérer ces longueurs en tête, je ne pense plus avoir la lucidité pour passer devant. À l’approche de la corniche sommitale, mon corps revit, l’effervescence que m’apporte la vue du sommet est indescriptible mais me donne la force de repasser devant. Il est 15h30, nous sommes sur l’arête sommitale qui mène au Mont-Blanc bien plus tard que prévu, le vent nous maltraite mais rend notre arrivée au sommet encore plus mythique. Nous y sommes, nous venons de réaliser notre rêve. Il est 16h et le chemin est encore long jusqu’à retrouver le plancher des vaches. Nous choisissons de descendre par les Grands Mulets, itinéraire le plus direct et que Xavier connait bien.

Arrivés à Vallot, nous nous allongeons totalement pour la première fois depuis quatre jours, les jambes sont lourdes, les sacs sont lourds, les paupières sont lourdes mais nous n’avons plus ni gaz ni nourriture, la seule issue possible se situe vers le bas où la pénombre commence à se faire sentir. Il est 18h et nous enfilons à nouveau nos raquettes, surtout pour ne pas passer au travers des ponts de neige. Nous avançons à bonne allure, jusqu’au niveau des grands plateaux où Xavier décide de me faire une petite blague. Dans la nuit obscure, j’essaie au mieux de garder la corde tendue pour amortir une éventuelle chute dans une crevasse mais à cet instant la corde ne bouge plus, la boucle de mou à mes pieds est immobile. Après quelques minutes d’attente je commence à trouver cela étrange. En m’avançant, quelle ne fut pas ma surprise de retrouver Xavier en mode danseuse étoile les quatre membres écartés contre les parois d’une crevasse. Une fois la corde tendue, il sort facilement de cette embuche. Quelques petis trous nous obligeront à rester sur nos gardes jusqu’à la fin de la descente. Sortis du glacier mais pas sortis d’affaire, c’est ma raquette qui décide de rendre l’âme. Les lumières chamoniardes nous tendent les bras, c’est en un semblant de cloche-pied que je finirai la descente. Il est 23h, nous retrouvons l’ambiance chaleureuse au milieu des poids-lourds du tunnel du Mont-Blanc.

L’arête de Peuterey, fin des difficultés mais le chemin est encore long jusqu’au sommet. ©Welfringer / Cailhol

Le Mont-Blanc, témoin d’une double première. ©Welfringer / Cailhol

Bravo aux visionnaires Francois Marsigny et Patrick Gabarrou pour cette ligne de fou au milieu d’un tel massif.
Merci Patrice Glairon-Rappaz pour les conseils et l’inspiration !
Merci à toi Xav’, pour la concrétisation de ce rêve de gosse !