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Escale au Nanga Parbat : 14×8000 sinon rien

©Ulysse Lefebvre

Il y a trois semaines, le camp de base du Nanga Parbat était recouvert d’un mètre de neige fraîche. Seules deux ou trois expéditions s’y installaient dans une ambiance feutrée. Aujourd’hui, le sol verdit, les fleurs poussent et plus d’une dizaine d’expéditions, soit une soixantaine de tentes, ont pris leurs quartiers d’été au pied du géant pakistanais. Le village éphémère s’anime, les groupes électrogènes ronronnent et les discussions vont bon train entre « members » d’expédition. Babel bouillonne. Bienvenue à gare centrale de l’Himalaya.

Si les autorités ont délivré un nombre record de permis cette année, c’est que le Nanga Parbat est devenu plus que jamais un passage obligé. La saison courte (l’été uniquement contrairement aux printemps et automne népalais) concentre les prétendants aux 8000 au même endroit, au même moment. C’est donc d’autant plus facile de rencontrer tout ce petit monde en transit. 

©Ulysse Lefebvre

La tendance qui ressort des discussions ? Pour un très grand nombre de ces personnes (statistique au doigt mouillé sur ce camp de base : 75% d’entre eux), il ne s’agit plus seulement de gravir une montagne, mais bien l’ensemble des quatorze sommets de 8000m. Et vite fait s’il vous plait. Qu’ils ou qu’elles (les femmes sont plus nombreuses que jamais) viennent du Mexique, d’Iran, de Suisse, de France, du Kosovo, de Norvège, d’Ukraine, de Chine, du Japon ou du Pérou, toutes et tous se positionnent dans une succession de 8000 dont chaque nouvelle montagne est le maillon d’une plus grande chaine à boucler, Nanga Parbat compris.

Ces huimillistes pressés ont entre 18 et 40 ans, ils parviennent à lever des fonds pour financer des expés à 25 000$ pièce (a minima) et sont suivis par d’importantes communautés sur les réseaux sociaux. Enchaînant les hauts sommets, ils sont en permanence acclimatés et ne traînent pas aux camps de base, shuntant les rotations d’acclimatation pour partir directement en « summit push ».

Ces huimillistes pressés ont entre 18 et 40 ans
Et parviennent à lever des fonds pour des expés à 25 000$

L’origine de cette forte tendance ? Elle vient probablement d’un certain Nirmal Purja et ses 14×8000 gravis en 6 mois (reconsidérés depuis à l’aune des « vrais sommets » non atteints). La jeune génération a été biberonnée par les punch-lines du Népalais et le coup de fraîcheur apporté à l’alpinisme de haute altitude, film Netflix à l’appui. Les nouveaux prétendants peuvent même toucher du doigt ce nouvel idéal en s’inscrivant à l’agence très VIP de Purja : Elite Exped. Confort 5 étoiles, wifi permanent et taux de réussite au sommet proche de 100%. Mieux : Maitre Nims guide lui-même certaines expéditions.

Aujourd’hui, la Norvégienne Kristin Harila reprend le flambeau à sa manière et enchaîne actuellement une deuxième tournée des 14 s’il vous plait. La croiser rapidement au camp de base vous donne l’impression d’être dans le coup (de vent). 

Le train des 8000 express file à toute allure

Autre temps, autre moeurs : des alpinistes tels que la franco-suissesse Sophie Lavaud ou le guide turc Tunç Findik sont aujourd’hui presque décalés par rapport à la nouvelle génération. Avec leurs 13 sommets en poche – le Nanga Parbat sera(it) le dernier – gravis en plus de dix ans, ils sont les derniers des Mohicans d’une génération qui prend son temps.

À cette époque des forces tranquilles succède l’âge des jeunes gens pressés. Records obligent (la plus rapide, le plus jeune homme, la plus jeune femme, tel ou tel enchainement…), les montagnes perdent de leur singularité et sont même souvent considérées par lots, vendus en packages : K2-Broad Peak, G1-G2, Everest-Lhotse, Shishapangma-Cho Oyu. 

Dans quelques jours, Nirmal Purja et Kristin Harila débarqueront avec leurs équipes au Nanga Parbat. Si certains espèrent monter avant le rush des poids lourds du secteur, le gros du peloton sait qu’il pourra se mettre dans leur roue pour filer au sommet. C’est qu’il ne faut pas rater la correspondance pour le Karakoram et les prochaines escales tout au long du Baltoro, début juillet. Le train des 8000 express file à toute allure. Depuis le quai, mon regard reste scotché aux 4000m de paroi du Nanga Parbat, qui surplombent la vallée du Diamir. Est-ce si incongru de se contenter du Nanga ?