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Chartreuse : réserve de guides marrons ?

Aup du Seuil ©Loic Perrin CC by SA

Imaginez. Vous êtes à Chamonix, en février. La neige est là, les skis de rando fartés, les crampons affûtés, et la corde lovée dans le sac, pour le rappel éventuel à la descente. Vous payez une petite fortune pour bénéficier de l’expérience d’un professionnel de la montagne et des ses conseils avisés, de sa sécurité. Vous bénéficiez de l’expertise, dûment certifiée par l’État, d’un guide de haute montagne, qui a passé entre quatre et dix ans de sa vie à se former à son métier, à apprendre les manips de secours, à évoluer dans cette montagne hivernale.

Et puis finalement, non. Vous avez un fusil, et l’envie d’accrocher le « Alpine Chamois » ou le « Chartreuse Chamois » à votre palmarès. Des commerçants oeuvrent en Chartreuse, dans la Réserve Naturelle, pour proposer le trophée. La note est salée, chez le propriétaire du domaine de Marcieu. C’est du haut de gamme, n’est-ce-pas. Les gardes-chasse privés vont chercher le chamois sur les vires, à 1800 mètres d’altitude, en plein hiver. La méthode la plus simple est celle des défenseurs des châteaux du Moyen-âge : grimper, se planquer en hauteur, et dézinguer la cible quand elle se montre plus bas, vulnérable. Ensuite, il ne reste plus qu’à aller chercher le trophée. Crampons, manoeuvres de corde, rappel : c’est l’heure du guide marron, qui montre l’étendue de son savoir faire, sans avoir le diplôme d’État, celui de guide de haute montagne.

Personne, en France, n’a le droit d’encadrer en montagne hivernale ou dans l’environnement spécifique de la montagne technique contre rémunération, à moins de détenir le diplôme de guide de haute montagne.

Certains parmi les gardes chasse oeuvrant dans le parc naturel, dans la Réserve et, dans le cas du domaine de Marcieu, avec l’aval du gestionnaire, ne semblent pas titulaire de ce diplôme. C’est pourquoi l’un des deux syndicats de guides, le SIM-CFDT, a porté plainte pour les motifs d’exercice illégal, au sein du Parc Naturel de Chartreuse, d’une activité réglementée, et pour mise en danger de la vie d’autrui. En l’occurence, c’est une infraction à l’article L212-1 du code du Sport qui oblige à la détention d’un diplôme de guide de haute montagne pour encadrer contre rémunération sur les terrains escarpés de ces chasses commerciales en Chartreuse.

Parce que dans le territoire de la République, on ne peut pas faire n’importe quoi, en guise de commerce, fut-ce dans une propriété privée.

Le SIM CFDT a porté plainte pour exercice illégal du métier de guide de haute montagne

Cette chasse privée, de luxe est l’une des raisons pour lesquelles un pan entier du massif de la Chartreuse se trouve menacé d’interdiction par son propriétaire. Lui préfère, on le comprend, la fréquentation de quelques dizaines de chasseurs payants contre un flot de randonneurs qui ne payent point. Mais comme nous venons de le montrer – et les vidéos Youtube en témoignent- le commerce des chasses (hivernales au moins) comprend des prérogatives et des privilèges qui ne sont en rien détenus par ceux qui les exercent actuellement : ils ne sont pas guides de haute-montagne.

Alors que fait-on ? Dans une République, la nôtre, on s’assoit autour de la table.

D’un côté, ces écarts ne sont pas acceptables, et, semble-t-il, illégaux. Le procureur de la République va s’y pencher. On ne peut apposer des pancartes partout (et surtout ici, dans une Réserve naturelle) pour une loi dont le décret n’est pas appliqué, pour condamner des sentiers dont l’usage est millénaire (inscriptions romaines), et des passages d’usage immémorial comme aux Lances de Malissard.

De l’autre ? Comprendre que pour chacun, un vivre-ensemble doit être imaginé. Personne, et a fortiori la conservatrice de la Réserve, n’ignore les problématiques de la fréquentation. Attention, il ne s’agit pas de celle des Calanques, ni même du lac Achard. Mais tout le monde doit-il, peut-il aller tous les jours à la Tour Percée? Ne faut-il pas proposer des modalités de fréquentation, qui pourraient passer par des parkings restreints, pour que le propriétaire ne connaisse pas de nuisances ? Ne faut-il pas partager le temps, en plus de l’espace ? Il faut le dire haut et fort, et faire infléchir la loi du 2 février 2023 qui permet aux propriétaires d’éjecter tous les pratiquants de sports de nature de leur terrain.

On ne peut abandonner des montagnes entières pour le privilège de quelques uns, a fortiori quand il s’agit de guides marrons attirés par l’appât du gain.