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Bout de corde papa ! 

Il est tôt mais le soleil a déjà commencé à cuire le calcaire du Charmant Som en cette belle matinée d’été. Albâtre sculpté par le ruissellement, il déverse ses cannelures aux pieds des grimpeurs. C’est un lieu d’initiation, un point de départ pour beaucoup de montagnards en herbe. Avec ses dalles en 3+ et ses nombreuses lunules, la face est du Charmant Som permet de se lancer dans la grande voie, en plusieurs longueurs, avec facilité et en terrain d’aventure s’il vous plait.

À force d’y emmener des débutants, au fil des années, ce lieu commençait à m’évoquer le temps qui passe et les souvenirs lumineux, ceux de l’enfance aussi. Pagnol en Chartreuse. Mon Garlaban à moi. Des cigales par-dessus les sonnailles. Le moment était venu d’y emmener les enfants.

En redescendant du Charmant Som, vers l’auberge et la perspective d’une tarte aux myrtilles. ©UL

La voie est très facile et je déroule, mais pas trop vite, histoire de lui laisser le temps de donner du mou. Et surtout de donner toute l’importance qu’il se doit à son assurage. « Tu mettrais pas une petite protection là ? » me dit mon grand de 10 ans, prenant conscience par l’expérience, de ce que pourrait représenter une chute en escalade. À coté, la petite de 8 ans gère la corde et les noeuds éventuels. « Bout de corde Papa ! ». Mots mille fois entendus qui résonnent différemment cette fois. Je souris et cherche un endroit pour le relais. 

Si vous avez déjà emmené des amis débutants en montagne, alors vous pouvez imaginer le stress à emmener deux enfants. A fortiori les vôtres. Combien de fois n’ai-je pas vérifié leur noeud ? Passé leurs cordes au relais pour éviter les boucles et torons ? Sans oublier la crème solaire, les lunettes, le pipi en baudrier intégral, la gourde, la Pom’pot… Et que dire du départ matinal un peu frisquet après la nuit sur place, qui pousse la petite à partir avec son pantalon… de pyjama. (Note pour plus tard : vérifier s’il s’agit bien d’une première – approche de la face est du Charmant Som en pyjama). 

vérifier s’il s’agit bien d’une première :
approche de la face est du Charmant Som en pyjama

Avant de commencer, on se met d’accord sur les mots, dont le principal : « relais », le seul qui permet d’enlever l’assureur. Et parce qu’à cet âge là, ils peuvent être tête en l’air et capables de partir en laissant le relais en place (ils sont bien capables de partir à l’école sans chaussettes…), un nouveau mot trouve sa place dans notre jargon : « nettoyage ». Comprenez : vous pouvez retirer sangles et mousquetons, puis commencer à grimper. Ils découvrent alors la manière de retirer la corde d’un mousqueton à une main, d’attacher une sangle autour du buste, de la doubler, ils retirent leurs premiers friends, s’énervent sur le mou que je tarde à reprendre… Bref, ils grimpent comme s’ils avaient toujours grimpé. 

Tout l’enjeu n’est pas de savoir s’ils en sont capables, mais de leur faire sentir qu’ils en sont capables, pour éviter tout moment de doute menant au coup de panique, difficile à gérer à distance. 

Alors pas question de trop les taquiner. Quelques dizaines de mètres de dalle lisse suffisent pour leur donner le frisson, avant de revenir sagement dans les trous herbeux et les cannelures accueillantes. Bye bye Livanos : notre paroi peu verticale ne doit pas se raidir davantage. Le petit pas de 4b ne les émeut pas. En revanche, lorsque je défais le relais et les emmène à corde tendue, courte, pour les derniers mètres jusqu’au sommet, l’émotion est palpable. « Mais on n’est plus accrochés à la montagne alors ? »

Au sommet, 1867 m, on savoure cette ascension différente, avec les mains, verticale, distincte de celle des randonneurs alentour, pleine de frissons. Ils ont l’air heureux. Au moins autant que j’en suis fier, après cette nouvelle première. De l’initiation à l’initiatique. De ces moments qui par définition n’arrivent qu’une fois. Des cigales plein la tête. La vie comme un été qui commence.