fbpx

L’alpinisme sans la Bérarde : comment un guide s’adapte avec ses clients, au lendemain des crues

Les Lames du Replat ©Sebastien Escande

Au lendemain des crues catastrophiques qui ont ravagé la Bérarde, chacun tente de dépasser la stupeur. S’il faut se faire à l’idée d’un été sans la Bérarde, les socio-professionnels et notamment les guides, commencent à envisager des alternatives pour pouvoir travailler dans les Écrins. La situation va encore beaucoup changer, en particulier en ce qui concerne les accès. Mais déjà, certains s’adaptent. Exemple concret avec un guide du bureau de la Bérarde, Sébastien, en montagne trois jours après la crue avec ses clients. L’un d’entre eux nous raconte.

L’accès à la vallée du Vénéon a été fortement impacté par les dernières intempéries : à la destruction d’une partie du hameau de la Bérarde, la route fortement endommagée et en partie inondée (dans l’attente d’une route de secours qui résiste) ne permet plus de se rendre dans les principaux hameaux, départ des principales randonnées et les accès aux refuges portes d’entrée vers de nombreuses courses d’alpinisme.

Parmi les professionnels du tourisme touchés par cette catastrophe, les guides travaillant au bureau des guides de la Bérarde sont en première ligne. L’un d’entre eux, Sébastien Escande, guide de haute montagne et formateur de l’Association Nationale pour l’Etude de la Neige et des Avalanches (Anena) a du s’adapter à cette nouvelle réalité, dans le cadre d’un stage d’alpinisme prévu de longue date et modifié par la force des choses. 

En montant au sommet Est du Râteau. ©Vincent Martin

Les alternatives du moment

Les guides de la Bérarde ont passé en revue les lieux encore accessibles dans la vallée du Vénéon, quitte à prévoir des accès alternatifs et à réinventer les itinéraires pour se rendre aux refuges. Voici quelques possibilités envisagées :

  • Rejoindre le refuge de la Muzelle depuis le village de Venosc (accès possible par le télécabine des 2 Alpes en cas de route fermée)
  • Rallier le refuge de la Selle depuis la Grave
  • Atteindre le village de St Christophe en Oisans depuis la station des 2 Alpes, permettant ensuite de rejoindre différents vallons de la vallée et leurs refuges : refuge de l’Alpe du Pin, refuge de la Lavey,… (sous réserve de l’ouverture des sentiers et des refuges).

Arrivée au Col de la Lauze, après la montée en téléphérique depuis La Grave. ©Vincent Martin

Au rappel de descente des « Lames du Replat ». ©Vincent Martin

Ainsi, dès le lundi 24 juin 2024, Sébastien Escande a pu organiser, comme deux autres collègues, un stage de formation alpinisme de cinq jours proposé en partenariat avec l’UCPA, initialement prévu depuis la Bérarde. Le lieu de départ de ce stage a donc dû être modifié à la dernière minute et le choix s’est porté sur un départ depuis le village de la Grave. Le matériel prêté normalement aux stagiaires étant coincé dans un bâtiment à la Bérarde.

Il a donc fallu que les guides s’organisent rapidement pour récupérer le nécessaire auprès de leurs collègues (le matériel a pu ensuite être rapatrié, une semaine après). Avec le téléphérique de la Grave, l’accès au vallon de la Selle et son refuge a été plutôt aisé, en passant par le col de la Lauze, permettant au passage un petit échauffement par une arête du Pic de la Grave.

modifié à la dernière minute
le choix s’est porté sur un départ
depuis la Grave

Bientôt au sommet du Râteau. ©Sébastien Escande

Montée pour le sommet ouest du Râteau. ©Vincent Martin

Depuis le refuge du vallon de la Selle

Une fois au refuge, le vallon de la Selle offre de nombreuses courses glaciaires et rocheuses de difficultés variées, dont le sommet est du Rateau à 3809 m. Sébastien Escande a même pu à l’occasion de ce stage emmener son groupe tester deux nouvelles courses rocheuses en terrain d’aventure :

  • une course d’arête les “Lames du Replat“ située entre le col du Replat et la Tête Nord du Replat (topo disponible au refuge)
  • un itinéraire exploratoire en grande voie dénommé “l’Éperon de la Grasse Mat” rapidement accessible depuis le refuge qui peut offrir une alternative à l’arête des “Lèves Tards”

Deux cordées avec le guide Sébastien Escande, en route pour rejoindre le col du Replat et ses lames. ©Vincent Martin

Et les conditions dans tout ça ?

Alors que le début de la saison estivale dans les Écrins est marqué par les fortes inondations, il n’en demeure pas moins qu’il offre l’opportunité de courses glaciaires et neigeuses dans des conditions plutôt favorables, telles qu’on en avait plus l’habitude ces dernières années. Sébastien Escande :  » on peut s’attendre à une belle saison. Compte tenu du fort enneigement, on peut espérer pouvoir faire des courses qu’on n’arrivait plus à faire passé la mi-juillet « . L’enneigement est en effet exceptionnel en haute altitude (près de 2 mètres encore au 1er juillet à la nivose des Ecrins à 2970 m. dans le vallon de Bonnepierre). Il faudra néanmoins probablement compter, avec la hausse des températures dans les prochaines semaines et de l’isotherme 0°C, sur des périodes de faible regel pouvant rendre la progression plus délicate.

Pour le bureau des guides de la Bérarde, une présence à la Bérarde pour y proposer leurs activités n’est plus une option pour cet été. Les guides gardent l’espoir de pouvoir s’établir cet été à Venosc et par la suite à St Christophe (sous réserve de la réouverture de la route).

Sur l’arête en direction du sommet est du Râteau. ©Vincent Martin

S’adapter aussi sur le long terme

Sébastien Escande est lucide quant aux limitations de l’activité de l’alpinisme sur le long terme dans le massif des Ecrins, avec la multiplication des phénomènes extrêmes dûs au réchauffement climatique qui bouleverse les paysages des hautes vallées et donc les conditions de terrain et de pratiques en haute montagne. La voie normale de la Meije a ainsi été impactée à de nombreuses reprises ces dernières années : éboulement sur le glacier carré, éboulement sur le refuge du Promontoire, crues torrentielles sur le refuge du Chatelleret.  » On doit s’adapter de manière permanente. Notre adaptation doit notamment passer par une saison d’été rallongée en étant opportuniste dès le début de la saison. Il ne faut pas hésiter à aller grimper en plus basse altitude et hors des zones glaciaires, en dessous de 3300 m. sur les faces sud où il n’y a plus de problème d’éboulement car le permafrost a disparu depuis déjà longtemps”.

Dans l’immédiat, c’est évidemment le très court terme qui préoccupe le plus les guides, les vacances scolaires débutant dès le week-end prochain, le 6 juillet 2024. La situation à la Bérarde focalise les attentions et l’évolution des accès sera déterminants dans les futurs choix des guides de haute montagne.

Le glacier de la Girose pour redescendre à la Grave après 4 jours au cœur du parc des Ecrins. ©Vincent Martin