C’est l’une des plus hautes parois d’Amérique du Nord, sur son plus haut sommet : la face sud du Denali, 6190 mètres, dépasse les 2700 mètres de la base au sommet. Le jeune américain Balin Miller est venu à bout de la Directe Slovaque en solitaire, une première pour cette voie de référence en terme de haut-niveau – et qui a été répétée moins de vingt fois depuis 1984. Miller, 23 ans, n’en est pas à son coup d’essai en matière de solos engagés.
Il est difficile d’imaginer à quoi ressemble la face sud du Denali, le plus haut sommet d’Alaska. Alors imaginez deux faces nord de l’Ailefroide l’une sur l’autre, et vous ne serez pas encore à son sommet. Deux mille sept cent mètres de haut. Sa voie la plus célèbre n’est autre que l’arête Cassin (Cassin Ridge) qui est plus un éperon qu’une arête, ouvert en 1961 par la cordée du grand Riccardo.
La Directe Slovaque, elle, est le résultat d’un astucieux tracé qui résout le problème de la face sud-sud-est. En y passant onze jours (!) les trois Slovaques Blažej Adam, Tono Križo and František Korl inauguraient la voie en 1984 en évitant de grimper à l’aplomb de l’énorme barre de séracs au centre de la paroi.
C’est en 2000 que la voie sort de l’ombre : une première répétition de Kevin Mahoney et Ben Gilmore, en six jours, avant que la cordée Scott Backes, Steve House and Mark Twight abaisse la marque en soixante heures, dont très peu d’heures de sommeil et pour cause : ils avaient volontairement choisi de ne prendre ni tente ni duvet !
Le serial climber Mark Twight est alors le parrain de l’escalade mixte, qui a poussé sa passion à l’extrême de l’Alaska à Chamonix (où il a ouvert Beyond Good and Evil aux Pèlerins, avec Andy Parkin, en 1992). Cette ascension avant-gardiste marque les esprits à l’époque, mais la voie continue de faire peur aux prétendants, jusqu’à un trio japonais en 2008.
L’approche sur le glacier, avec la face sud du Denali. L’arête Cassin est au centre, la Directe Slovaque à droite. ©Coll. Balin Miller
À partir des années 2010, la Directe Slovaque est parcourue tous les deux à trois ans – c’est un who’s who du gratin de l’alpiste avec en 2012 la cordée de Nick Bullock et Andy Houseman, et en 2013, la seule ascension française, réussie par Hélias Millerioux et Rémi Sfilio. En 2022 le trio Matt Cornell, Jackson Marvell et Alan Rousseau – celui qui ouvre au Jannu en 2023 – abaissent le temps à 21h35, avant qu’une autre cordée américaine, Rob Smith, Sam Hennessey et Michael Gardner ne réussissent en seulement 17 heures et dix minutes, un exploit.
N’oublions pas la seule ascension féminine par la remarquable cordée Chantel Astorga et Anne-Gilbert Chase, c’était en 2018. Depuis l’ascension record de 2022, Mike Gardner est mort au Jannu l’automne dernier, tandis que son compagnon Sam Hennessey était récupéré par la cordée de Benjamin Védrines. L’alpinisme de haut-niveau sur les plus grandes faces des hautes montagnes du globe reste une activité immanquablement risquée, pour ne pas dire meurtrière.
La Directe Slovaque a donc une ampleur, une réputation, et des cotations à faire pâlir
Revenons au Denali. La Directe Slovaque a donc une ampleur, une réputation, et des cotations à faire pâlir (M6, WI 6 et A2 ou M8), un défi qui semble inimaginable pour un homme seul. Mais pas pour Balin Miller, qui passe beaucoup de temps en Alaska depuis qu’il y a grandi, « ce qui l’a forcé à être un grimpeur habitué aux conditions hivernales ».
Rompu à l’escalade mixte difficile, Balin Miller a ainsi signé Moonflower Buttress en solo la saison précédente. Le jeune américain est aussi l’auteur d’un récent solo du Fitz Roy en Patagonie cet hiver. Balin Miller a fait une grosse moisson de solos en glace et mixte dans les Rocheuses, dont la fameuse Reality Bath, une cascade surplombée par un sérac, ouverte par Mark Twight et un compagnon en 1988.
Au Yosemite, Miller a aussi fait ses gammes sur El Capitan en passant six jours en solitaire dans South Seas, une voie en A4 très surplombante (près de Pacific Ocean Wall), l’automne dernier. Ce printemps il a passé 53 jours en Alaska. Juste avant le Denali, il a déjà établi un solo très osé sur le Begguya (ou mont Hunter), French Connection, qui consiste à gravir la voie française (ouverte par Benoit Grison et un compagnon) et à traverser pour sortir par la voie Bibler Klewin en M6.
Fin mai, Balin Miller a réussi cet éperon nord du Begguya en 17h30 aller-retour par le sommet. Auteur lui-même de solos d’envergure en Alaska et en Patagonie, Colin Haley a commenté : « C’est une ascension en solo très impressionnante – presque certainement l’ascension en solo la plus technique qui ait été réalisée en style alpin dans la chaîne centrale de l’Alaska. » Mais ça, c’était avant que Miller ne se lance dans la Directe Slovaque.
L’ascension en solo la plus audacieuse sur les grandes montagnes d’Alaska
« C’est sans doute la première fois que quelqu’un emmène un Grigri dans cette voie » a dit Balin Miller à nos confrères de Climbing. Le Grigri (éventuellement customisé) sert à s’aut-assurer dans ce cas de figure, et Miller s’attendait à devoir s’auto-assurer dans plusieurs longueurs, notamment celles en glace pure (la cotation WI = Winter Ice).
Finalement, il a semble-t-il préféré faire ces longueurs en solo intégral, avec tout de même un sac de bivouac sur le dos. Grosse marge ? Quand même. Il lui a fallu sortir le Grigri pour s’auto-assurer dans la longueur en A2 (libéré une ou deux fois en M8). Son temps de trois jours est canon, même pour un solitaire. Lui résume ainsi son ascension : « 56 heures dont 70% passés à dormir » dont dix-neuf heures au premier bivouac !
En effet le premier jour il n’a grimpé qu’une demi-journée pour atteindre le glacier suspendu et poser un bivouac. Avant de franchir le gros des difficultés le lendemain. Ne lui restait ensuite le 3e jour que la fin de la voie, qui rejoint l’éperon Cassin, et qui est beaucoup plus simple. À la nuance près que le sommet se trouve à 6190 mètres.
Avec la première solitaire de la Directe Slovaque sur le Denali, Balin Miller signe sans doute l’ascension en solitaire la plus audacieuse sur les grandes montagnes d’Amérique du Nord.
« Super Badass » a commenté Colin Haley.