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Maurice Baquet, violoncelle au sommet

Chamonix Film Festival

Maurice Baquet, extrait du livre de Hervé Bodeau ©Collection Guérin Paulsen

« De tous les violoncellistes que je connais, c’est lui le meilleur skieur » disait-on de cet énergumène extrêmement doué : Maurice Baquet. Musicien, concertiste, alpiniste, acteur et acrobate, Maurice Baquet s’est allié avec Jacques Prévert et Robert Doisneau. Il a grimpé avec Gaston Rébuffat, joué dans 80 films et dévalé les escaliers de la tour Eiffel à skis. Projeté à la 4e édition du Chamonix Film Festival, le film de Gilles Chappaz, Maurice Baquet, l’accordé, a illuminé le visage des spectateurs. Comique, poétique et émouvant comme son personnage, le film donne la parole à Cérébos, le violoncelle que « Momo » a emmené des cabarets de jazz aux aiguilles de Chamonix. Hervé Bodeau, qui a co-écrit le film, nous raconte ce destin hors du commun.

Mais qui est Cérébos ? C’est simple : violoncelle = sel = cérébos, la marque de sel de table bien connue. « Cet humour potache, le calembour, c’est celui qui animait Maurice Baquet », explique Hervé Bodeau. Auteur d’une biographie remarqué du plus célèbre des skieurs violoncellistes, Hervé a coécrit le film Maurice Baquet, l’accordé, réalisé par Gilles Chappaz. Faire parler le violoncelle est une idée de Gilles Chappaz. « Momo m’emmène au ski, il m’emmène sur les quais de Seine, à la mer de Glace ou aux Etats-Unis » dit Cérébos, le violoncelle qui se balade d’abord dans Paris, narrateur de la vie de Momo. Procédé filmique qui illustre le passé avec des scènes bien actuelles, de la Flégère en poudreuse (skis aux pieds et violoncelle dans le dos) à l’arête des Cosmiques, perché à l’Aiguille du Midi. « Cérébos revendique sa place dans le duo, donc le trio avec Gaston Rébuffat par exemple».

Hervé Bodeau au Plan B, durant le Chamonix Film Festival. ©JC

Dire de Maurice Baquet qu’il a eu plusieurs vies serait une platitude. Car il les a collectionnées, ses vies et ses passions, en s’attachant à les vivre en même temps, à faire se croiser des univers – la musique classique et l’opérette, le violoncelle et le ski, la poésie et le calembour – dont le point commun est la passion qu’il y a mis. Avec Cérébos : au cirque ou au ski, même topo avec l’encombrant instrument si adoré.

Dans le film, Marie Baquet, la veuve de Maurice, qui a fait l’honneur de sa visite au festival, raconte. « Maurice mettait son violoncelle jusque dans notre lit. Je lui ai dit, c’est le violoncelle ou moi ! » Né en 1911, Momo a traversé le siècle. « Il a commencé à skier à Chamonix en 1928. Momo a du culot, c’est lui qui aborde Frison Roche, premier guide étranger à la vallée qui s’y est établi, car il l’a entendu parler du tournage du film « Trois vies et une corde » et il se fait embaucher comme porteur. » explique Hervé Bodeau.

Maurice Baquet rencontre Jacques Prévert à Paris, Frison Roche à Chamonix

Maurice Baquet a fait le conservatoire à Paris, « il a fait le métier comme on dit, rencontré plein de gens. Toujours dans les années trente, la rencontre avec le groupe Octobre, de Jacques Prévert, lui permet de s’introduire dans le milieu du cinéma, d’obtenir ses premiers seconds rôles, tout en assurant des spectacles avec la troupe de Prévert qui se produit gratuitement dans les milieux populaires et ouvriers ». Comme le montre le film, c’est l’époque du Front Populaire, et d’artistes convaincus de devoir partager l’art avec le plus grand nombre, comme de donner de nouvelles pistes à celui-ci. Pour Hervé Bodeau, Cérébos, le violoncelle, n’est pas pour rien dans l’ascension de Momo, un instrument prisé des surréalistes dont certains font partie du groupe Octobre.

Marie Baquet et sa fille Anne au Plan B, durant le Chamonix Film Festival
©Ulysse Lefebvre

Entre Paris et Chamonix, Maurice y va au culot, fait rire les chambrées au point d’être pris dans l’équipe de France de skis avec Emile Allais, alors qu’il a raté les tests de niveau. Il est « coach de bonne humeur » et fait marrer les chambrées. La guerre frappe l’Europe et il est envoyé au front : il échappe de peu à la mort du côté du Nord où son régiment est décimé, puis, après un détour à Royans, revient à Paris, puis à Chamonix où il va tourner Premier de cordée, le film de Louis Daquin tiré du roman éponyme de Frison Roche. Dans le film il joue Boule, le copain du héros, guide comme lui qui se doit de bien grimper, ce qu’il fait à l’écran, aussi bien à l’Aiguille du Moine que dans les fissures du Dru. Le film sera un succès.

Le livre qu’a consacré Hervé Bodeau à Maurice Baquet aux éditions Guérin Paulsen, avec en couverture Momo photographié par Robert Doisneau.

Le violoncelle continue ses aventures. À Chamonix, c’est la rencontre avec Gaston Rébuffat. « Maurice Baquet était très heureux d’aller en montagne avec Rébuffat. Lui, malgré son coté austère il voulait transmettre l’amour et la beauté de la montagne, a eu l’intelligence de voir qu’avec Momo allait apporter quelque chose en plus, allait conduire encore plus de gens à s’intéresser à la montagne. » Les scènes cocasses défilent : c’est le duo Laurel et Hardy qui grimpe, avec un grand sérieux et un petit costaud comique, qui fait tout à l’envers. Commentaire de Cérébos : « Au moins avec moi les cordes ne s’emmêlent pas ».

Une fois de plus Maurice Baquet se retrouve avec la crème des alpinistes de l’époque, « Rébuffat l’emmène dans des grandes courses, Peuterey par exemple, tente même la face nord du Cervin avec lui. Chamonix est l’un des rares endroits en montagne perméable au monde de la culture, du spectacle. Tout le monde vient ici, les artistes, les politiques, les écrivains… c’est une vie mondaine à Chamonix qui met en contact des gens de milieux très différents. Avec une vraie amitié entre eux. »

Rébuffat emmène Momo dans des grandes courses. Sans Cérébos.

En résulte des films comme Entre ciel et Terre, mais aussi un chef d’oeuvre d’escalade, l’une des courses les plus prisées du massif du mont Blanc : en 1957, le duo ouvre la face sud de l’Aiguille du Midi. À Georges Tairraz qui a oublié d’enlever le bouchon de l’objectif de sa caméra lors d’une scène d’escalade, Momo prendra l’habitude de répondre : « ne bouchons plus ! »

Ensuite, Maurice rencontre Robert Doisneau : le photographe, déjà très connu, a l’idée de faire des photos commerciales avec le pitre Baquet. Puis ils se lancent dans un travail photographique étalé sur des années, avec Cérébos toujours dans le champ. « Un travail pas très loin du surréalisme » : il en résulte des photos empreintes de poésie, parfois absurdes et « pleines de tendresse amusée » où Maurice joue ou tient son violoncelle au milieu de la mer de Glace, en équilibre précaire sur une pointe rocheuse…

Florian Laforge, le violoncelliste qui joue Maurice Baquet perché à l’Aiguille du Midi dans le film.©Coll. Chappaz / Delapierre / Seven Doc

On le voit dans le film : Momo est un vrai casse-cou : il a commencé par skier la butte Montmartre par un hiver neigeux dans les années 30, mais finit par descendre les escaliers de la tour Eiffel à skis dans les années 50, « plus tout jeune ». Acrobate capable d’enchaîner sur Bach à la fin d’une figure, Baquet nous éblouit soixante ans après. « Il a amené la montagne dans le show-biz, mettait des skis aux pieds sur scène à Paris. C’est un passeur. »

Momo ? Un Buster Keaton doué dans plein de domaines, avec facéties et humour au menu. Plus près de nous, on pense à Anicet, le clown-surfeur-BASE-jumpeur des Flying Frenchies, avec la tête d’un Jean Dujardin. Très talentueux, Momo travaillait beaucoup, son instrument comme ses acrobaties. Il était exigeant avec ses élèves en musique comme avec ses compagnons musiciens professionnels. Hervé conclut : « il fallait être très bon pour faire ses blagues, sur le granite ou skis aux pieds, et, souvent, un violoncelle dans les bras ou sur le dos… »