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Les jours sauvages : le film magnifique d’une expé incroyable

Leur expé avait été une épopée aussi longue que rare, en mai 2023. Le film qui la raconte est une réussite à tous points de vue. Réalisé par Yohan Guignard et co-écrit avec Alexandre Marchesseau, cadreur principal du voyage, Les jours sauvages emmène le spectateur dans l’univers âpre et sublime de l’Alaska, des plaines à l’océan, en passant par le Denali (6190 m) et le Foraker (5304 m). Mais l’essentiel n’est pas aux sommets. Il est dans le temps long passé par Alexandre Marchesseau, Hélias Millerioux, Aurélien Lardy et Christophe Tricou à rallier d’abord le massif, puis les montagnes entre elles, avant de retrouver la civilisation. Cinquante jours de périple dans la nature, à ski, pulka au train, menés tambour battant par quatre personnages drôles et persévérants, parfois profonds et terriblement vintage, la teinte du film. Rencontre en salle de projection de l’avant-première, lors du Chamonix film festival 2024.

Même si aujourd’hui à Chamonix, le soleil ne tape pas aussi fort qu’en Alaska, ils ont tout de même posé quelques paillettes sur leurs joues sans crème solaire. Comme ça, pour monter sur scène et prolonger l’esprit léger d’une aventure pourtant lourde à préparer et à mener. « On est des adeptes du fat and slow » explique Alexandre Marchesseau, adepte des pionniers de l’alpinisme et de l’exploration, esprit décalé, parfois contestataire, inspiré par la beat generation et Allen Ginsberg. Alexandre a soigné sa présentation pour cette avant-première du film qu’il a co-écrit avec le réalisateur Yohan Guignard. Veston et pantalon noirs, moustache impeccable, cravate jetée autour du cou et Crocs colorées aux pieds, c’est un artiste qui entre sur scène. Le voilà prêt, l’alpiniste-auteur, à nous expliquer le film, 80 mn d’un récit qui résume probablement le mieux à ce jour sa vision de l’alpinisme : « J’ai pas la forme physique pour faire du style alpin à 8000m, alors je prends mon temps dans ce genre d’expédition longue » ironise t-il.

Hélias Milleroux, Pascal Barneville (producteur, L’Endroit Films), Yohan Guignard, Aurélien Lardy et Alexandre Marchesseau quelques minutes avant d’entrer sur scène, lors de l’avant-première au cinéma le Vox, pour le Chamonix film festival. ©Ulysse Lefebvre

L’expédition, ce sont cinquante jours à rallier le point de dépose en avion, à Kantishna, en périphérie du massif du Denali à proprement parler, jusqu’à la baie de la Susitna river, au large d’Anchorage, capitale de l’Alaska. Soit environ 450km à évoluer skis aux pieds en trainant des pulkas de 100 kg. Aucun « chemin », aucun « trace » de ce parcours n’existe. Les prétendants au Denali ou au Foraker atterrissent habituellement en avion au pied des géants. Quelques séquences du film en témoignent habilement. Personne ne prend le temps d’atteindre les montagnes à proprement parler, puis d’en ressortir, surtout dans les dédales glaciaires qui les entourent. « Je ne savais même pas que ça se faisait ! » répond une responsable du parc du Denali au bout du fil, à Hélias Millerioux qui lui demande le permis d’entrée dans un anglais très français (et très drôle). S’ils doivent être pris pour des fous, le sésame leur est en tous cas délivré. Les riffs de guitare seventies résonnent, la traversée s’annonce rock’n roll.

Christophe Tricou (au premier plan), Yohan Guignard, Alexandre Marchesseau Aurélien Lardy et Hélias Millerioux, heureux du film. ©UL

Long est le temps

Sans spoiler le film, on peut dire que les voies abordées au Denali et au Foraker sont les voies normales et qu’en atteindre le départ est déjà une fin en soi. « L’idée n’était pas d’ouvrir une nouvelle ligne. On voulait juste s’inspirer des pionniers pour ré-aborder la montagne autrement. Pour ne pas être dans la consommation, emprunter des voies des années 20 comme un hommage à la vision de l’époque, aux précurseurs » explique Alexandre Marchesseau. Tout cela implique du temps, beaucoup de temps et beaucoup des vivres pour tenir. Et un bon mental pour subir et ne pas faillir. Les éléments se déchaîneront et les péripéties surgissent de partout. 

Pour le réalisateur aussi, le défi est de taille : « Il faut réussir raconter la lenteur. Avec le monteur, Hugo Clouzeau, on a beaucoup discuté avec l’équipe. Ils nous ont raconté des choses, les rushs nous en ont raconté d’autres. On avance comme en sculpture : on met en oeuvre une trame générale et peu à peu, des choses apparaissent. Ça me tenait à coeur de raconter surtout leur expérience personnelle, ce qui les a ému, ce qui les a transformé » explique Yohan Guignard. 

Chacun cherche et trouve ses mots
Les nombreux silences en disent long

Marchesseau maquille Millerioux avec les fameuses paillettes, avant de monter sur la scène du CFF. ©Jocelyn Chavy

Glitter style. ©JC

C’est que l’épopée prend très souvent une dimension spirituelle, « transcendantale » ose même Alexandre. « On a l’impression de s’être défaits d’une couche superficielle, pour ensuite se recouvrir au fil des jours d’une couche de saleté, très agréable, une saleté propre ! ». Les quatre compères se filment beaucoup, mutuellement, et parlent tout autant. Les propos gardés à l’écran sonnent toujours juste. Pas d’humour forcé, pas de scène visiblement jouée. Chacun cherche et trouve ses mots. Les nombreux silences, heureusement conservés, en disent long. Associés à des plans fixes, à des gros plans sur leurs gueules burinées ou sur les paysages sublimes, l’histoire se raconte sans forcer. À tel point qu’il n’y pas besoin de voix off pour combler d’éventuelles lacunes de narration ou expliquer des zones d’ombres. Tout est clair.

Artistes en coulisses. ©UL

On sourit souvent
On rit parfois
On a envie d’être pote avec eux toujours

Les quatre compères avancent, discutent, fument clope sur clope dans la tente déjà saturée d’humidité, s’engueulent et débattent ouvertement. On sourit souvent. On rit parfois. On a envie d’être pote avec eux toujours. De là à les accompagner, c’est moins sûr. La performance n’est pas mise en avant ostensiblement. Pourtant, tirer 100 kg de pulka dans des pentes à 35°, par-delà les crevasses et dans une neige profonde, jour après jour, est un effort incroyable que l’on ressent sans qu’il n’y ait besoin de statistiques affichées. « On s’est demandé si ça n’aurait pas aidé à la compréhension quand même » confie Hélias, l’alpiniste attaché aux topos et qui découvrait le film lors de cette projection, comme deux de ses compagnons. Qu’il se rassure, on a tout compris sans ça. 

La bande à son arrivée à Anchorage, sourire aux lèvres, paillettes aux joues. ©Christophe Tricou

La difficulté d’en revenir

Mais qu’apporte ce temps long aux membres d’une expédition ? Une certitude : la progression, chaque jour renouvelée, abolit l’ennui. « Aller d’un bout à l’autre du massif, ce n’est pas anodin. C’est très dur et ça devient un process entre copains » explique Hélias. Alexandre ajoute : « C’est un projet qui ne s’est pas arrêté à la fin de l’expé. Ça a pris globalement un an, avec tout le temps nécessaire à s’en remettre au retour. On avait reproduit une micro-société entre nous. » De nouveaux liens se sont crée entre eux, à force de « solitude à quatre ». Émergent aussi de nouveaux rapports à la nature et à la liberté, comme le souligne Christophe Tricou avec une pointe d’amertume : « J’ai eu l’impression qu’on avait été libéré de notre cage au départ, pour nous y enfermer à nouveau à l’arrivée. » 

La reconnaissance des acteurs envers le réalisateur. ©UL

une expé réussie
n’implique pas forcément un bon film 
et vice-versa

À tel point que le retour à une autre forme de réalité pèse plus que prévu pour Aurélien Lardy. Le skieur de Chamonix confie qu’un court séjour de ski en Patagonie, juste après l’expé en Alaska, n’a pas été facile : « J’étais sur Mars. Je n’ai pas consulté de psy donc je ne sais pas si on peut appeler ça une dépression, mais j’ai eu beaucoup de mal à m’en remettre. Mais bon, les copains m’ont mis un coup de pied au cul, on s’est mis une cuite, j’ai pleuré et c’était reparti. Mais le retour, c’était quelque chose de sombre… J’avais surtout envie de me replonger dans ce monde avec mes copains, en Alaska. » 

Le film est là pour ça et c’est une grande réussite. On sait combien une expé réussie n’implique pas forcément un bon film, et vice-versa. La paire gagnante est rarement réunie. En l’occurence, Les jours sauvages aurait d’ailleurs mérité un grand prix au festival…

La tête pleine d’horizons ventés, de glaciers béants, d’ours curieux et d’une bande de copains sacrément attachants, il y a fort à parier que les spectateurs eux-mêmes auront du mal à revenir à leur quotidien. Mais ils ont désormais un solide mode d’emploi pour s’en affranchir. Le meilleur depuis très longtemps en tous cas.