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Patrick Berhault, une étoile s’en était allée

Il y a vingt ans pile, le 28 avril 2004, Patrick Berhault disparaissait en montagne, sur un 4000 suisse, lors d’un enchaînement des 82 4000 des Alpes. Surdoué en escalade, Patrick Berhault l’était aussi en montagne. Personnalité attachante, aussi doué en solo qu’en amitié, Patrick Berhault était non seulement un grimpeur virtuose, mais avec un style tout en souplesse et élégance : le geste et la grâce* incarnés. Dans les années 80, Patrick Berhault grimpait au soleil avec Edlinger, et les faces nord (et sud !) avec Boivin. Une bande à laquelle appartenait Claude Gardien, qui rend ici hommage au copain tombé dans du facile, ironie du sort pour l’un des meilleurs alpinistes de sa génération.

C’était il y a 20 ans, c’était hier. La nouvelle est tombée, dans sa brutale réalité. Patrick Berhault avait glissé, depuis l’arête du Dom, le 66 ème «4000» qu’il était en train d’escalader, au cours d’un incroyable voyage en compagnie de Philippe Magnin.

C’était il y a 45 ans, c’était hier. Pour ceux de ma génération, du moins. Le magazine Alpinisme et Randonnée publiait la photo d’un jeune homme, âgé d’une vingtaine d’année, vêtu d’une veste d’escalade en grosse toile  bleue comme on aimait en porter. La posture, un pied haut levé, le buste cambré tout contre la paroi, le regard tendu vers le haut, suggérait le mouvement suivant, dans toute sa fluidité, dans toute son efficacité. Le titre de l’article, c’était : « Une étoile est née ». Alpirando, comme on l’appelait déjà, ne s’était pas trompé. Le nom de ce prodige photographié sur un rocher niçois a imprimé immédiatement la mémoire des lecteurs : Patrick Berhault.

La légende s’est vite forgée : au Verdon, le temple de l’escalade d’alors, il était réputé gravir les voies dures du moment, chaussé de ces « Super Guide », des grosses chaussures d’alpinisme conçues par René Desmaison… Ce Berhault était curieux : lors de ma première visite dans le canyon, en 1973, j’avais déjà choisi des chaussons d’escalade. Comme tout le monde. Et lui, il courrait dans ces voies difficiles en godasses de montagne !

La suite, ce serait des voies parmi les plus dures du temps, comme La Haine, à la Loubière, sans doute le premier 7c+ de France. Et la rencontre avec un autre Patrick, Edlinger celui-là. Un cocktail qui allait donner dans la puissance. S’ils investissent les parois du Baou de Toulon en passant les spits tous les 6 mètres sans se soucier d’autre critère avant d’enchaîner à coup sûr leurs créations, ils visitent aussi les hautes montagnes. La première hivernale de la voie des Plaques à la face nord-ouest de l’Ailefroide, en 1980, allait nous laisser pantois : les deux Patrick y trottèrent en 23 heures, en aller-retour tout compris depuis Ailefroide…

Il y aura des solos époustouflants, au couloir nord des Drus, à la Devies-Gervasutti à la même paroi NW de l’Ailefroide, et ailleurs. La légende, c’est aussi des histoires incroyables, comme lorsqu’avec Pierre Brizzi, engagés dans une goulotte au Pelvoux, une coulée les balaie. 800 mètres plus bas, ils se réveillent, meurtris mais vivants…

Patrick ne laisse pas aux magazines le temps de souffler. Tout lui paraît facile, et surtout, il fait tout dans un style inimitable. Sa grimpe est une chorégraphie, et il ose tout, les pieds en avant dans les toits. Fallait y penser. On se dit qu’il va finir par marcher au plafond, c’est ce qu’il fait dans Bernard éteint la bougie, un gros toit du Baou de St Jeannet. Et comme son délire est filmé par Laurent Chevallier, on est bien obligé de le croire…

Patrick Berhault

Patrick traverse la vie avec désinvolture. Ce qui marque chez lui, c’est l’égalité d’humeur, qui lui rend les choses possibles, en escalade comme dans la vie

Un temps retiré sur ses terres natales d’Auvergne pour y vivre le métier d’agriculteur, Patrick traverse la vie avec désinvolture. Ce qui marque chez lui, c’est l’égalité d’humeur, qui lui rend les choses possibles, en escalade comme dans la vie de tous les jours. Il sait cultiver l’amitié. Les passages de Berhault dans les locaux de Vertical où il retrouve Edlinger, alors rédac-chef du magazine Roc’n’Wall étaient empreints de rire et de gaité. Ces deux-là étaient inséparables et les années paraissaient sans effet sur leur éternelle jeunesse. Patrick Berhault prend la vie comme l’escalade, l’escalade comme la vie.

Une grande virée de plus

Les deux Patrick vont se retrouver pour une grande virée ensemble. Patrick B. s’est consacré depuis plusieurs années aux enchaînements, avec Francis Bibollet, Bruno Sourzac ou Christophe Frendo. En 2000, il part pour la traversée des Alpes, de la Slovénie à la Méditerranée… Avec le projet d’escalader au passage quelques-un des itinéraires les plus célèbres. Le premier compagnon de ce pèlerinage sera Patrick E.

Les deux Patrick vont traverser les Dolomites ensemble, reformant la cordée de leur jeunesse. Les images du film La cordée de rêve, de Gilles Chappaz, laissent transparaître leur bonheur d’arpenter la montagne, de jour en jour, à l’horizontale comme à la verticale. Patrick E. s’esclaffe à un moment : « Les mêmes conneries, vingt ans après ! ». Avant d’éclater de rire.

Patrick Berhault dans la goulotte Bodin-Afanassieff au Tacul. ©Claude Gardien

Dans la partie occidentale de cette errance, Patrick B. fera équipe avec Philippe Magnin, comme lui prof à l’ENSA. La cordée de celles qui multiplient les possibilités : ils escaladent les trois faces nord des Jorasses, de l’Eiger et du Cervin dans des conditions très dures. Ces deux-là se retrouveront.

Durant l’hiver 2003, ils établissent leur camp de base au refuge Eccles, et en deux temps, enfilent, comme des perles sur un collier, huit voies rocheuses et huit voies glaciaires sur les versants Brouillard et Frêney du mont Blanc. Ça semble les amuser. Ça nous laisse scotchés. Et envieux.

Il est clair que Patrick aime passer du temps en montagne… Son projet de 2004 doit le mener à travers les Alpes sur les 82 sommets de 4000 m que compte la chaîne. C’est là que le grimpeur étoile, qui s’était consacré un temps à la danse-escalade, fait le premier faux-pas, sans doute, de sa fabuleuse carrière.

Ce jour d’avril 2004. Je me souviens d’une émotion immense.

L’émotion… N’est-ce pas ce que Patrick nous a légué ?

Sa grimpe, son alpinisme étaient empreints d’émotion. La beauté du geste, qu’il a poursuivie jusqu’à la danse… L’amour des falaises et des montagnes, celui du paysage… L’art de trouver des idées improbables, et de les réaliser… Le rire, comme dans Bernard éteint la bougie, alors qu’il se balance, tête en bas, les pieds crochetés dans un baquet de cet immense surplomb…

Sa grimpe n’était pas seulement faite de souplesse, d’équilibre et de technique. Elle était inventive et tournait toujours vers le beau.

Sa grimpe n’était pas seulement faite de souplesse, d’équilibre et de technique. Elle était inventive et tournait toujours vers le beau. Comme le souvenir qui nous reste. Celui d’un copain toujours affable, capable de toutes les escalades, incapable de les coter : « Patrick, elle cote quoi cette voie ?

– C’est difficile…

– Oui mais?…

– Difficile, oui, c’est difficile …

Difficile pour Patrick, on traduisait. Trop difficile pour nous !

Coter une voie ? C’était pour lui ni un art, ni une émotion. Patrick nous a transmis une définition émotionnelle de l’alpinisme et de l’escalade. L’étoile est toujours là, à travers un message qu’il n’a jamais formalisé qu’à travers son art de vivre et de grimper. Les deux font la paire.

 

 

* Il Gesto e La Grazia (le Geste et la Grâce), titre du film court que lui a consacré l’italien Fulvio Mariani en 1997.