Faute avouée à moitié pardonnée ? Le vieil adage bien français sied parfaitement à la crème des marques américaines qu’est Patagonia. En 2011, « Pata » se payait une pleine page dans le New York Times avec la photo de l’une de ses vestes, affublée de la phrase « Don’t Buy this jacket », « N’achetez pas cette veste » en français. Provocateur, le slogan était révélateur d’une méthode que la marque allait désormais user jusqu’à la moelle.
Le film Shitthropocene qu’elle vient de mettre en ligne en est le dernier avatar. Sous ce titre bien trouvé et faussement provocateur (« l’ère de la merde », oh my God ! ), la marque californienne pousse à l’extrême la mise en abîme. Et Patagonia est tellement associée à la crème des marques responsables et soucieuses de l’environnement, que l’évènement mérite qu’on s’y attarde.
Durant les 46 minutes du film, Patagonia nous raconte une histoire de la surconsommation, des stratégies du marketing et de la communication. Son histoire à elle en somme ! Le tout légitimé par les interventions de scientifiques, historiens et autres blagues montrant combien les gens de chez Pata sont cools, prennent du recul et sont conscients de leur responsabilité. C’est drôlement bien fait et ça passe tout seul. On peut même rire parfois d’un sujet pourtant grave. Oui mais.
Oui mais que nous raconte à nouveau cette dernière production ? Pas grand chose. Même si elle s’en défend, Patagonia prouve à nouveau qu’elle excelle dans le marketing et fait figure de grand maitre Jedi du green-washing. Haut de gamme bien sûr, à la hauteur de ses produits. Après avoir annoncé à la planète qu’elle lui léguait ses dividendes (mais toujours gérés par la famille Chouinard, via son Patagonia Purpose Trust), la marque nous fait croire qu’elle ouvre grand la porte de son service RSE (Responsabilité sociétale des entreprises). Le tout mouliné par ses experts en communication et mis en scène par un beau travail de réalisation et de montage. Mais au bout du compte, difficile de croire une entreprise à la pointe du capitalisme (1 milliard de dollars de chiffre d’affaire annuel, ndlr) lorsqu’elle se défend d’en faire partie.
difficile de croire une entreprise
à la pointe du capitalisme
lorsqu’elle se défend d’en faire partie
Scier publiquement la branche sur laquelle on est assis prouverait combien on s’oppose aux logiques dominantes. Quitte, pour preuve, à se mettre en péril. Mais chassez la rentabilité, elle revient au galop. Comme la plupart des marques textiles, Patagonia continue de produire en Asie du Sud-est ou les salaires et les droits des travailleurs sont moins développés qu’aux États-Unis, sans parler des porte-conteneurs à charger…
Alors quelle solutions ? Rien ni personne n’est parfait certes. Et mieux vaut Patagonia que d’autres marques moins regardantes, voire complaisantes, y compris avec des régimes totalitaires. Pour sa défense, Patatonia marque un point lorsqu’elle dénigre la fast-fashion. Forcément, il y a un monde entre les deux univers… et les prix pratiqués.
Au-delà des outils de communication, même extrêmement bien faits, et au risque d’être rabat-joie, de vraies questions se posent. Pour les consommateurs dans leurs choix et leur capacité à peser dans le débat. Pour les médias aussi, comme Alpine Mag, dans la manière dont ils présentent les derniers produits de l’industrie outdoor.
De son côté, la filière textile sait qu’elle doit opérer des changements autrement plus drastiques sur l’ensemble de sa chaine de production si elle espère, vraiment, changer la donne à l’avenir. Avec notamment un concept presque révolutionnaire de nos jours : relocaliser. C’est pourtant la solution qui résout pas mal de problématiques écologiques et sociales. « Made in USA » sur les étiquettes marquerait un véritable changement d’ère. On imagine déjà le film et la débauche de créativité pour en parler. Et pourquoi pas un slogan : « Not made in Asia « .