Patrick Edlinger, une vie au-dessus du vide

Edlinger était, et demeure, une icône avant-gardiste, pour qui l’escalade était un mode de vie, avec une bonne dose d’esthétisme et d’hédonisme, de critique implicite de la société de consommation, tout cela sans rien sacrifier à sa vision : repousser les limites du haut niveau. Patrick Edlinger a inventé l’escalade moderne, et le réalisateur Nicolas de Virieu a réussi dans son film Une vie au-dessus du vide à rassembler en 26 minutes l’essentiel de son héritage. Avec des images d’archives croustillantes, et des interviews de grimpeurs actuels – Seb Bouin, Arnaud Petit – qui témoignent de la flamme allumée par Edlinger, et jamais éteinte.

Après la première au Chamonix Film Festival ce jeudi 15 juin, sur la scène du cinéma Vox, l’émotion est à son comble quand l’ami d’enfance de Patrick Edlinger, J-P. Lemercier vient raconter ses 18-20 ans avec Patrick, qui voulaient tous les deux passer le guide, et ils accumulent les courses pour cela. Ce que fera Lemercier, tandis que Patrick, se tournant vers l’escalade pure, lui dira : « je laisse tomber le probatoire, je ne veux pas prendre la place de quelqu’un qui veut vraiment faire ça…. » Autre témoin, le photographe Maurice Rebeix qui décrit en quelques mots bien sentis la passion Edlinger. Des mots géniaux qui ont scotché l’assistance.

Rencontre au Chamonix Film Festival avec Nicolas de Virieu et le photographe Gérard Kosicki, qui a lui aussi beaucoup travaillé avec Patrick Edlinger.

Maurice Rebeix, et Cédric Gras, co-présentateur, le 15 juin au Chamonix Film festival. ©JC

Alpine Mag : Nicolas, comment t’es venue l’idée de travailler sur ce projet de film ?

Nicolas de Virieu : C’est venu lors de l’anniversaire des dix ans de sa disparition. J’ai l’habitude de travailler sur d’autres sports, comme le tennis, sur des stars ou des icônes qui représentent tel sport. Pour Edlinger, que je ne connaissais guère avant le film, j’ai voulu faire un projet mémoriel. Son histoire a une portée universelle et je me suis dit qu’il fallait faire connaître cette personnalité aux jeunes générations. Bien sûr, les images de J-P. Janssen, le réalisateur de La vie au bout des doigts ont été l’un des moteurs de cette aventure. J’ai voulu montrer les belles images que Edlinger avait faites, en film mais aussi en photo, avec la présence de Gérard Kosicki [qui intervient comme témoin dans le film], qui l’a beaucoup photographié dans la décennie 1983-1993.

Extrait d’Une vie au-dessus du vide ©Photo Gérard Kosicki / Nicolas de Virieu /Explore L’Equipe

Gérard Kosicki, raconte-nous quel était le rapport d’Edlinger avec les images ?

Gérard Kosicki : C’est simple : les photos, c’était la dernière chose qui méritait son attention ! Je pense que si j’ai pu convaincre Patrick Edlinger de travailler ensemble, c’est parce que dès le départ, j’avais un background de reportage et j’ai dit à Patrick : tu grimpes, tu ne t’occupes pas de moi, je me débrouille – je grimpais aussi. Je ne le gênais pas. Nous avons ainsi pu faire la tournée américaine de Patrick, où il a réalisé une ensemble de voies dures dans tous les styles – trad sur coinceurs, fissures, etc – y compris la fameuse Grand Illusion, le premier 8a américain. Mais aussi des voies pour l’esthétisme, dans le désert de l’ouest. Patrick était là pour grimper un maximum, et la photo était généralement le cadet de ses soucis. À titre personnel, j’ai voulu photographier l’explosion de la difficulté, mais aussi l’esthétique, les couleurs – saturées – du sud de la France, des États-Unis. je voulais servir un sujet plus vaste que Patrick, photographier une période, la deuxième moitié des années 80, qui avait une dimension nouvelle.

Nicolas, comment as-tu procédé pour ton film ? Ta recherche d’archives ?

Nicolas de Virieu : J’ai essayé de ne pas me perdre dans les archives ! Je viens de boucler un docu sur Yannick Noah, de manière générale j’aime ça et j’ai l’habitude de passer du temps pour choisir des archives qui ne sont pas forcément connues, des pépites qui racontent beaucoup de choses sur l’importance ou ce que fait mon personnage. Dans mon film, il y a cette séquence où Patrick Edlinger est invité au Grand Échiquier, de Jacques Chancel, l’émission télé la plus importante de l’époque. Il y a Bernard Tapie, et le chanteur Serge Lama, qui est estomaqué par ce que fait Patrick… Il a été aussi élu parmi les Français les plus importants de 1984 : lui le grimpeur, aux côtés de Depardieu, Sophie Marceau qui venait de faire La Boum, et Fabius qui était le plus jeune premier ministre.. Edlinger a inventé l’escalade moderne et a créé une place qu’elle n’avait jamais eu avant.

Tu as aussi voulu intégrer le témoignage de grimpeurs passés ou actuels.

Nicolas de Virieu : Oui, j’ai commencé par Jean-Paul Lemercier, le copain d’enfance de Patrick Edlinger, celui qui hisse les chaussons de Patrick en haut du Verdon quand celui-ci décide sous l’oeil de la caméra de faire un solo vêtu seulement d’un short, pieds nus. Edlinger a quand même eu la chance d’être bien entouré de gens qui aimaient l’image, la photo… Et pour les témoins acteurs de l’escalade actuelle, je fais parler Seb Bouin et Arnaud Petit. Seb Bouin qui a ces mots : « Edlinger et ces mecs, ils inventaient littéralement le sport… » Seb Bouin est un passeur dans le film, qui fait le lien entre Edlinger et aujourd’hui. Antoine Le Ménestrel aussi en parle bien, il explique le solo, pratique qu’il a eu, et dont Patrick était le maître : « côtoyer le risque nous amène à être dans l’instant présent« . Tout cela raconte l’époque, aussi.

Gérard Kosicki : Je me souviens de Patrick quand il a fait Orange Mécanique en solo (au Cimaï), 8a. C’était une performance extraordinaire, puisqu’à l’époque le niveau max était autour de 8b… Et pour Patrick ce n’était pas un acte de tête brûlée, c’était un processus de plusieurs années ! Il finissait une journée au Cimaï par faire Orange Mécanique avec un lest de quinze kilos… ensuite il m’a dit, tu vois, le matin, sans lest, la voie passe toute seule, il ne pouvait pas tomber. Mais cela reste un solo dans une voie de trente cinq mètres…

Qu’est-ce qui t’a marqué, Nicolas, dans ta découverte du personnage ?

Nicolas de Virieu : Sa force mentale est fascinante. Et ses solos en témoignent. J’ai aussi été marqué par le fait que deux méridionaux, Edlinger et son copain Berhault, aient révolutionné le monde de la montagne. Ils aimaient l’harmonie avec le rocher, le minéral, et cette connexion est devenue leur passion pour l’escalade pure.

Comment voir le film ? As-tu d’autres projets ? 

Nicolas de Virieu : Une vie au dessus du vide est disponible sur le média Explore de l’Equipe, sur abonnement. Et je pense que si j’avais le budget pour les archives, il y aurait de quoi faire une série de plusieurs épisodes sur Patrick Edlinger !