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Une joëlette au mont Rose

C’est une cordée hors-normes qui a atteint la pyramide Vincent au mont Rose (4215m) cet été. Polyhandicapé, François Gachiniard a réalisé l’ascension en joëlette, tracté par un groupe de guides savoyards d’Into the white du 15 au 17 juillet dernier. Une belle histoire de passion qui dépasse les clichés sur le handicap. Récit par le capitaine de joëlette, François lui-même.   

Cette formidable aventure a commencé par une randonnée au lac d’Allos dans le Mercantour ; ce fut une surprise qui m’a été réservée. Polyhandicapé de naissance, j’allais vivre une journée en joëlette en famille et amis.

Un an plus tard, mon cousin, David, me téléphona pour me proposer de faire un sommet dans les Alpes. Je me souviens de ma première réaction qui fut de la joie et de l’émotion. Sa bande de copains a tout de suite approuvé : vous parlez, ils ont déjà gravi plusieurs hauts sommets. Le défi était lancé ! Maintenant, il fallait gérer toute la logistique et ce n’était pas une mince affaire… J’ai créé l’association « Les porteurs de l’extrême » (un nom qui m’a apparu comme une évidence).

Un virus et deux années plus tard, je réalisais mon rêve : gravir le Mont-Rose. Ce fut une expédition hors du commun : 7 amis porteurs admirables, 3 guides exceptionnels, Jessy Pivier, Luc Mongellaz et Bertrand Brun, 2 médecins formidables, Sonia Popoff et Clémence Senger, et une caméraman hors-pair, Marlène Koubi. Staffal, en Italie, fut notre point de ralliement.

©Coll. Jessy Pivier

Chaussures, crampon, casques, baudriers et habits chauds
faisaient de nous de véritables alpinistes,
tout du moins dans nos têtes

La porte du troisième téléphérique s’ouvrait, ma joëlette descendait et je la suivais dans mon fauteuil roulant (j’avais oublié de dire que nous apportions mon fauteuil pour le refuge, encore un poids à porter sur le dos !). Nous devions nous préparer, car la neige et les difficultés apparurent. Chaussures, crampon, casques, baudriers et habits chauds faisaient de nous de véritables alpinistes, tout du moins dans nos têtes. J’étais impatient de débuter notre périple de trois jours ! Premier objectif : atteindre le refuge Gnifetti à 3600m d’altitude.

 

©Coll. Jessy Pivier

Ni une, ni deux, je devais grimper sur leur dos

Après un chemin caillouteux relativement praticable en joëlette, le manteau blanc apparu. J’étais loin d’imaginer que la neige remplacerait déjà le chemin de terre ! Ce fut un bon test pour ma joëlette ; mes amis avaient tout prévu : boîte à outils, surf, mini-ski… Pour l’instant, la roue s’avérait être la meilleure des solutions. Confortablement installé, j’encourageais mes porteurs préférés. Soudain, un passage rocheux apparu ! Impossible de le contourner, ni de le franchir avec ma belle machine. Les guides avaient tout prévu !

Ni une, ni deux, je devais grimper sur leur dos : un grand merci aux guides de m’avoir aidé à franchir ces géants de pierres. Solidement harnaché, nous escaladions cette barre durant un quart d’heure ; il y avait des endroits escarpés, étroits donnant sur des profondeurs spectaculaires. Le spectacle était magnifique, mais mes cuisses me rappelaient à l’ordre, ouille, ouille…

©Coll. Jessy Pivier

©Coll. Jessy Pivier

Un premier refuge se présentait à nous ; une halte pour pique-niquer à l’intérieur était la bienvenue : dehors, des flocons nous rappelaient l’altitude ! Nous repartions toujours aussi déterminés avec la joëlette dans les nuages gris et froids. Nous aperçûmes dans cette brume un point sur un éperon rocheux, c’était notre refuge : le Gnifetti, culminant à 3600m d’altitude. Au pied de ce pic, deux échelles successives accrochées au rocher nous attendaient : ma joëlette allait dormir dehors.

Ce fut une grande première pour moi, j’allais monter, tel un alpiniste agile, jusqu’en haut du rocher ! Mon avantage par rapport à mes amis, c’est la progression régulière vers le sommet (facile, car sur le dos d’un guide et solidement harnaché) ; une corde nous reliait au pic ! Il ne fallait pas regarder en-dessous pendant la progression, le vide donnait une autre dimension. La caméraman filmait avec dextérité cette montée. Ouf, ma séance « de kiné » s’achevait ! Une fois installé confortablement dans mon fauteuil au refuge, médecins et amis prenaient de mes nouvelles : tout allait très bien.

deux ans de préparation pendant lesquels
mes amis se sont dépensés sans compter

Après une bonne nuit, enfin presque : debout à 3h du matin pour pouvoir partir à 4H30, mais les guides voulant m’épargner le grand froid, repoussèrent le départ vers 5h30. Cette fois, tout repose sur moi, je ne veux pas d’un échec, pas après deux ans de préparation pendant lesquels mes amis se sont dépensés sans compter pour rapporter de l’argent et s’entraîner ! Habillé chaudement par mes deux coéquipiers de choc, c’est reparti pour une descente vertigineuse de nuit pour rejoindre ma joëlette toute gelée !

Première difficulté, remettre les bras et la roue de mon carrosse : dégeler les tubes ! Ouf, les garçons usent d’ingéniosité pour tout remettre en état, je me suis tracassé pour rien ! L’aventure peut continuer. Un long serpentin illuminé par nos lampes frontales perfore la nuit pour s’ébranler au travers du manteau blanc presque immaculé. Les guides donnent le tempo : pas trop vite, ni trop lentement, les porteurs de l’extrême devaient déjà trouver un rythme pour atteindre notre objectif du jour.

 je compatis en voyant mes compères forcer,
afin de me hisser

©Coll. Jessy Pivier

Les glaciers et les crevasses se dessinent tout au long du parcours sinueux ; cela rend le parcours féérique, mais risqué… Souvent, en mon for intérieur, je compatis en voyant mes compères forcer, afin de me hisser sur la poudreuse. Les deux guides devant nous ne ménagent pas leurs efforts pour tirer également la joëlette : je les félicite. La caméraman et les médecins prennent de l’avance pour filmer l’exploit. Souffle coupé, mes fidèles camarades font des pauses pour se relayer devant et derrière mon carrosse !

Le mauvais temps ne permet pas de profiter au maximum de la beauté naturelle ; mais nous découvrons de belles couleurs bleutées au pied des montages. Au bout de 5 heures d’efforts intenses et de relais de plus en plus rapprochés, nous sommes déterminés à valider les 4000m d’altitude ! Ce cap est atteint le 16 juillet 2021 vers 10h non sans émotion… Nous redescendons au refuge bien fatigués, mais avec des étoiles plein la tête. L’ambiance est à la fête et au dîner, nous sommes acclamés par tout le refuge ! Le lendemain, notre objectif est la pyramide Vincent, à 4215m.

©Coll. Jessy Pivier

Nous pouvons atteindre ce second challenge si et uniquement si le temps est de la partie ! Par une nuit claire, nous nous levons à 2h du matin ! Autant dire que j’ai passé une nuit presque blanche ; mais le spectacle est à la hauteur de mes attentes. Nous progressons plus rapidement que la veille sur le même chemin : nous sommes maintenant de vieux habitués. Les étoiles nous accompagnent et ajoutent de la magie à la magie ! Les lumières de Milan donnent un côté carte postale, le mont Blanc se dresse tel le roi des Alpes : toujours aussi majestueux. Les 4000 dépassés, nous bifurquons vers la pyramide Vincent ! Rien ne peut arrêter les porteurs de l’extrême !

Un magnifique lever de soleil nous encourage à poursuivre notre ascension et ce, malgré le vent violent de 80km/h et la pente raide. En voyant mes amis souffrir et finir à genoux pour me hisser le plus haut possible, je ressens leurs douleurs ! Nous avons franchi les 4215m non sans une immense émotion et une joie infinie : notre pari est gagné. Merci mes amis, un grand merci aux guides, aux médecins et à la caméraman, sans qui, cette belle aventure n’aurait pas pu voir le jour.