Face aux bouleversements climatiques, la montagne devient un terrain d’expérimentation collective. Avec le soutien du Syndicat national des guides de haute montagne (SNGM), la fresque de l’alpinisme invite pratiquantes et pratiquants, professionnelles et professionnels à repenser leurs pratiques. Sans renier l’attrait du sommet, mais en composant un récit alpinistique souhaitable pour aujourd’hui et pour demain. Afin d’initier – peut-être – une vision plus poétique de nos pratiques, entre sensibilité, habitabilité et collectif.
Soutenu par le SNGM, l’atelier « la fresque de l’alpinisme » aborde les impacts du changement climatique sur l’alpinisme et les participantes et participants co-imaginent un nouveau récit. Il est inspiré de diverses fresques telles que celles du climat ou de la biodiversité, mais avec une spécificité propre à la pratique de l’alpinisme. La fresque se veut non culpabilisante, facilement déployable, scientifique et ludique. Elle peut être animée partout, pour toutes et tous, même sur le coin d’une table en refuge.
L’atelier a déjà été animé plusieurs dizaines de fois, par des guides auprès de leurs clientes et clients, pour des membres du Club Alpin Français et avec d’autres montagnardes et montagnards. Le tout pour répondre à une grand question : « Comment faire interagir les pratiquantes et pratiquants des activités de haute montagne sur les enjeux du dérèglement climatique ? Et ce, sans porter atteinte à la pratique de l’alpinisme ni à sa désirabilité ? »
les joueuses et joueurs doivent reconstituer les relations de causes à effets entre les différentes cartes puis les relier
Concrètement, c’est quoi une fresque de l’alpinisme ?
Les participantes, participants et animateur ou animatrice sont réunis autour d’une table, en refuge ou en vallée, pour une durée d’environ une heure. Les échanges sur l’alpinisme et la montagne vont être les sujets principaux. Après une courte présentation de chacun, ils expriment expriment leurs manières de pratiquer et d’être en montagne. La première partie de l’atelier est consacrée à la description des effets du changement climatique sur le milieu et la pratique de l’alpinisme. Pour ce faire, les joueuses et joueurs doivent reconstituer les relations de causes à effets entre les différentes cartes puis les relier.
Par exemple, « la dégradation du permafrost » peut provoquer « un écroulement rocheux » qui, à son tour, peut avoir « un impact sur un village, une infrastructure, un itinéraire, ou même un alpiniste… ». Cette première partie vise à ce que l’ensemble des participantes et participants puissent avoir un socle de connaissances communes sur lesquelles se baser pour continuer et co-imaginer la suite de l’atelier – et une prochaine sortie en montagne.
Suite à cet état des lieux permettant une compréhension plus approfondie des différents processus impactant la montagne, les participantes et participants sont invités à imaginer des alternatives d’adaptation face aux évolutions de la haute montagne et de réduction des impacts. Cela permet de repenser les rapports de force sur l’environnement et la montagne.
Ainsi, plusieurs thèmes sont généralement abordés comme celui du transport, de l’alimentation et du matériel comme facteur de réduction. Prendre le train, partir moins loin et plus longtemps, à vélo, acheter d’occasion sont autant de pratiques qui naissent collectivement de cette seconde phase. Des propositions d’adaptation émanent également : un changement de saisonnalité, de pratique, faire preuve d’opportunisme et de polyvalence ou réduire la taille de sa cordée.
comment imaginer des alternatives d’adaptation
face aux évolutions de la haute montagne ?
Le tout dans l’objectif d’être plus modulable face aux conditions évolutives en haute montagne. Dans ce sens, à l’heure où l’on observe une certaine polarisation des alpinistes sur certains itinéraires devenant très (trop ?) fréquentés, l’exploration d’alternatives, défricher et improviser deviennent alors une forme d’adaptation.
Pour des groupes constitués, ces réflexions contribuent à conscientiser ces processus, imaginer une prochaine sortie et ainsi développer une souplesse collective et adaptative.
Partir skier à vélo, une solution d’adaptation face au changement climatique que propose l’Escarpade. © Flavian Aquadro
À travers la dernière étape, les pratiquantes et pratiquants sont invités à imaginer leur prochaine sortie en montagne en élargissant les notions d‘adaptation et de réduction. Chacune et chacun imagine une représentation de l‘alpinisme de demain en composant un récit souhaitable et désirable. Cet exercice laisse place à des discussions stimulantes et enrichissantes qui ont fait émerger plusieurs pistes de réflexions au fil des fresques animées. Difficile cependant de toutes les exprimer tant ces idées sont nombreuses et diversifiées.
Dans l’ensemble, la manière dont nous consommons la montagne est interrogée. À commencer par des idées autour de l’immersion lente, où le sommet devient un point de passage et non un objectif en soi, au même titre que les villages en vallée. Cela est souvent associé à une démarche plus sobre avec des alternatives d’écomobilité, de vélo, de train et de covoiturage.
D’autres propositions suggèrent d’associer une sortie en montagne à une thématique, de lier alpinisme et sciences, botanique ou même de laisser la place à des démarches plus artistiques. Les participantes et participants évoquent souvent le souhait de s’intéresser davantage à la montagne, à l’ensemble du vivant, humain et non humain qui l’habite. Pour d’autres, c’est l’occasion de mettre en avant une expérience sensible, vectrice d’émotions et d’émancipation.
S’intéresser davantage à la montagne et l’ensemble du vivant,
humain ou non humain, qui l’habite
Le tout, sans toutefois renier la dimension plus sportive que certaines et certains pratiquants viennent chercher. En effet, l’idée n’est pas de cliver ou polariser les différentes pratiques, qu’elles soient axées sur une performance ou une immersion plus sensible – l’un n’empêchant pas l’autre – mais davantage de proposer collectivement une version plus viable des pratiques de montagne.
Tel peut être l’intérêt de cet atelier collaboratif : initier – avec humilité – des réflexions communes pour une meilleure cohabitation entre les pratiquantes, pratiquants, habitants et habitantes des lieux, humains et non humains, dans un espace complexe et interdépendant. De près ou de loin, c’est tout un écosystème qui se retrouve impacté par les effets du changement climatique mis en exergue en première partie de la fresque. Ainsi, de ce constat de l’altération des milieux de montagne naît une sensibilité qui nous pousse à avoir des pratiques en adéquation avec le vivant.
Au terme de cet atelier et à travers leurs réflexions, les participantes et participants auront donc tenté d’imaginer un présent et surtout un futur viable, désirable et habitable pour toutes et tous. Habitants, paysans, artisans, gardiens de refuges, socioprofessionnels, acteurs de la montagne, rivières, glaciers, forêts, toutes et tous autant concernés par ces ces enjeux.
La fresque permet de repenser et d’interroger notre modèle économique. En contribuant par exemple, à des propositions commerciales différentes, à l’image du slow-tourisme. L’alpinisme peut alors passer d’une activité de consommation à une pratique plus politique. Territoire d’initiatives, et parfois même de luttes, la montagne devient ainsi un lieu et un prétexte pour repenser les pratiques et imaginer, peut être, un nouveau tracé de société.
quand les versants brûlent, cessons de regarder ailleurs
Conclusion ?
La fresque de l’alpinisme, vaste atelier et surtout vastes réflexions. Alors au-delà d’un état des lieux incontournable sur les effets du changement climatique en montagne et d’une adaptation nécessaire des pratiquantes et pratiquants, ces dernier·ères font surtout émerger une viabilité intrinsèquement liée aux territoires de montagne et à la survie de ce milieu sensible et changeant. Quand ses versants brûlent, cessons de regarder ailleurs.
Alors, peut-être serait-il plus pertinent de valoriser l’habitabilité plus que l’attractivité, l’émotion plus que la performance, l’adaptation plus que l’aseptisation et le collectif plus que l’individualisme. En ce sens, la montagne pourrait-elle devenir une zone d’expérimentation ? Un laboratoire de réflexion pour demain, et tout simplement ce lieu où chacun vient chercher sa propre flamme. « Si nous ne brûlons pas, comment éclairer la nuit ? », Nazim Ekmeck
Pour toute demande d’informations supplémentaires, d’animations ou de formations, vous pouvez contacter Mathis Arnaud – guide de haute montagne – et Jimy Berçon – consultant sur les enjeux climatiques et sportifs – aux adresses suivantes : [email protected] / [email protected]
Merci aux co-auteurs de ce texte : Mélia Caruso, Jimy Berçon et Paul Messager
Liste non exhaustive de quelques sources d’inspiration (parmi tant d’autres)
- Cailhol, X. (2025, 19 février). Peut-on parler d’alpinisme autrement qu’à travers des exploits ?
- Grobel, P. (2023, 16 mai). Le topo de la traversée du Dôme de la Lauze, en mode CSV et géomorphologie.
- Dentant, C. (s.d.). Flora Verticalis.
- Bourdeau, P. (2023, 16 novembre). L’enjeu actuel est de désinventer le tourisme.
- Alpine Mag. (2024, décembre). Regard d’altitude, pour partager l’info sur les risques naturels en montagne.
- Gaes Alpi Sensible. (s.d.). Blog Gaes Alpi Sensible.
- Girls to the Top. (s.d.). Site officiel.
- 82-4000 Solidaires. (s.d.). Site officiel.
- Refuges Sentinelles. (s.d.). Site officiel.
- Réseau Educ’Alpes. (2024). Fresque de la Montagne.
Publications scientifiques
- Arnaud, M., Mourey, J., Bourdeau, P., Bonet, R., & Ravanel, L. (2024). Impacts du changement climatique sur les itinéraires d’alpinisme du massif des Écrins (Alpes occidentales, France). Journal of Alpine Research | Revue de géographie alpine, 112(4).
- Duvillard, P.-A., Ravanel, L., & Deline, P. (2015). Évaluation du risque de déstabilisation des infrastructures de haute montagne engendré par le réchauffement climatique dans les Alpes françaises. Journal of Alpine Research | Revue de géographie alpine, 103(2).
- Mourey, J., Ravanel, L., Lambiel, C., Strecker, J., & Piccardi, M. (2019). Access routes to high mountain huts facing climate-induced environmental changes and adaptive strategies in the Western Alps since the 1990s. Norwegian Journal of Geography, 73(4), 215–228.
- Salim, E., Mourey, J., Crépeau, A.-S., & Ravanel, L. (2023). Climbing the Alps in a warming world: Perspective of climate change impacts on high mountain areas influences alpinists’ behaviour adaptations. Journal of Outdoor Recreation and Tourism, 44.
- GIEC. (2021). Sixième rapport d’évaluation – Groupe de travail I : Les bases scientifiques du changement climatique. Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC).