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Piolets d’Or 2019 : engagement, technique et inspiration pour tous les alpinistes

Cette année encore, la cérémonie des Piolets d’Or 2019 se tiendra en Pologne, dans le cadre du festival de Ladek, du 12 au 22 septembre. Cet « Oscar » de l’alpinisme sera décerné à trois ascensions de haut niveau. Qu’elles fassent rêver, frissoner ou carrément peur, toutes représentent ce qu’il s’est fait de plus engagé, de plus technique et de plus moderne en termes d’alpinisme. Retour sur trois aventures hors-norme. 

Le cru 2018 (nominé pour les Piolets d’Or 2019 donc) est riche d’ascensions variées, que ce soit par la géographie ou le style. L’événement de l’année reste l’ascension du Latok 1 depuis son versant nord, attendue depuis tant d’années. La bonne nouvelle, c’est la « mondialisation » de l’alpinisme : on trouve au palmarès de la « big liste » (visible ici) des ascensions réalisées par des alpinistes venus de pays jusqu’à présent peu représentés : Argentine, Belgique, Chili, Chine (nouvelle voie au Minya Konka, une rareté !), Finlande, Georgie, Hollande, Pérou, Roumanie… Également, la liste répertorie les réalisations marquantes des massifs « mineurs », tels les Alpes… Initiative intéressante qui permettra sans doute de déceler les nouvelles tendances. Nos montagnes sont devenues des terrains de jeu de proximité, un peu la salle d’escalade des massifs lointains, plus élevés, plus isolés. En ce sens, la liste complète des ascensions prises en compte constitue un bon reflet de l’évolution de l’alpinisme. Au-delà de leur message en direction du grand public, les Piolets d’Or jouent ici leur rôle légitime d’informateur pour les alpinistes : on y trouve une foule d’idées, une foule d’envies.

Sans Hansjörg Auer ni David Lama

L’alpinisme est ainsi fait qu’il nous apporte de grandes joies comme de grandes peines. Les Piolets d’or 2019, qui rendent compte de l’activité de l’année passée, n’échappent pas à la règle. Cette année, deux des nominés ne sont pas là pour fêter leurs ascensions : Hansjörg Auer et David Lama, ont été emportés par une avalanche au Howse Peak (Rocheuses Canadiennes), en compagnie de Jess Roskelley, fils du célèbre John, Piolet d’or Carrière en 2014. En ce 16 avril 2019, l’alpinisme mondial perdait trois de ses représentants les plus brillants, et parmi les plus attachants.

C’est ateintées de tristesse que deux des ascensions nominées seront célébrées, mais la troisième est elle aussi marquée du sceau de la tragédie : la remarquable tentative russe sur le Latok s’est soldée par le décès de Sergey Glazunov, deux semaines seulement avant un succès anglo-slovène sur la même montagne…

les Piolets d’Or jouent ici leur rôle légitime d’informateur pour les alpinistes :
on y trouve une foule d’idées, une foule d’envies.

La grande scène du festival de Ladek, en Pologne, théâtre de la remise des Piolets d’Or 2019, en septembre prochain. ©Ulysse Lefebvre

Latok 1 (7145 m), Panmah Muztagh, Pakistan. Éperon nord et face sud, 2500 m, ED+, 5-9 août 2018
Aleš Česen, Tom Livingstone, Luka Stražar.

Vu du nord, (A) le Latok I (7145m) et (B) le Latok II.
(1) La tentative russe de 2018 sur l’arête nord, atteignant l’arête sommitale à environ 7050m.
(2) Itinéraire anglo-slovène pour effectuer la deuxième ascension du Latok I, en passant par le col ouest pour finir par les pentes sud.
©Sergey Glazunov/American Alpine Journal

L’éperon nord du Latok 1 est un mythe : en 1978, Jim Donini, Michael Kennedy, George et Jeff Lowe passent 21 jours le long de cette super-structure, jusqu’à 150 mètres de la sortie… Le mauvais les rattrape, Jeff souffre de l’altitude, les quatre Américains se replient en bon ordre. Un échec qui deviendra, au fil des ans, un exploit insurpassable. Pendant 40 ans, les tentatives échouent à seulement atteindre le niveau atteint par cette cordée de légende… Du 13 au 23 juillet 2018 Alexander Gukov et Sergey Glazunov, dans le mauvais temps, atteignent vraisemblablement le haut de l’éperon. Sergey pense avoir atteint le sommet, Alexander pense qu’ils n’ont atteint que la sortie de l’éperon, ou au mieux le sommet ouest, distant de 360 mètres du sommet principal… Les deux Russes redescendent, chacun avec leur conviction. Sergey tombe vers 6340 m, Alexander descend jusque vers 6200 m, et reste coincé 6 jours à son bivouac. Il est sauvé par un hélitreuillage audacieux. L’équipe anglo-slovène arrive quelques jours plus tard, avec l’idée de contourner la partie supérieure à partir de 6400 m et rejoindre le col ouest à 6700 m, afin de gagner la face sud et atteindre le sommet.

En quelques jours, le Latok 1 a continué à forger sa légende : probable première de l’éperon nord jusqu’à sa sortie (le signal GPS des Russes indiquait 6975 m le 24 juillet, au début de leur descente), puis première du sommet par l’éperon et la face sud. La ligne mythique, celle des Américains de 1978, reste toutefois à compléter jusqu’au sommet. La saga peut continuer.

Il faut aussi saluer le courage et la dextérité des pilotes pakistanais, qui ont mené à bien un treuillage technique dans une paroi raide à haute altitude.

Un échec qui deviendra, au fil des ans,
un exploit insurpassable

Lunag Ri (6895 m), Rolwaling Himal, Népal. Arête ouest, 1500 m, 90°, 23-25 octobre 2018.
David Lama

Lunag Ri depuis le sud-ouest.
(A) Sommet principal (6895m).
(B) Sommet du sud-est
(1) Ligne des tentatives d’Anker-Lama en 2015 et 2016.
(2) Ligne des ascensions en solo de Lama.
(H1) Point culminant avec Anker en 2016.
(H2) Point culminant des tentatives de 2015 et de la tentative en solo de 2016.
©David Lama/American Alpine Journal

L’histoire a commencé en 2015, quand le vétéran Conrad Anker (né en 1962) et le prodige David Lama (né en 1990) s’encordent pour l’arête ouest de ce beau sommet situé entre Khumbu et Rolwaling. Il atteignent un point situé à 300 mètres du sommet, sur un terrain plus difficile qu’ils le pensaient. Un demi-succès qui leur donne l’envie de revenir l’année suivante… Mais Conrad est victime d’un AVC et doit être évacué d’urgence. David, resté seul, pousse une tentative en solo. Il monte 50 mètres plus haut qu’en 2015. De retour en 2018, à nouveau seul car Conrad ne peut plus participer à de telles entreprises, David doit changer d’itinéraire pour atteindre l’arête : le col qu’il a emprunté à deux reprises est battu par les chutes de pierres. Il emprunte dans la face un couloir qui rejoint l’arête ouest. Après un bivouac à 6400 m, il est freiné par les vents violents et le froid, qui l’accompagneront tout au long de son ascension. Deuxième bivouac à 6800 m, il escalade la partie finale et touche le sommet, spectaculaire, à 10 heures. Descente rapide vers son bivouac à 6400 m, qu’il atteint dans l’après-midi, et où il se repose en attendant que le soleil quitte la face et que le regel fasse son œuvre. De nuit, il redescend la partie inférieure et rejoint le camp de base à minuit.

David avait réussi l’arête du Compresseur au Cerro Torre, en libre (8a), en 2012, avec Peter Ortner, ascension primée par une mention spéciale aux Piolets d’or 2013. Sa précédente tentative, qui donnait lieu à un tournage mené avec d’importants moyens, avait été critiquée. Lors de la réussite, il avait alors opté pour une tactique « by fair means », démontrant sa faculté à reconnaitre ses erreurs et à passer au-delà, par une réussite sans ombre.

Lupghar Sar West,  (7175 m), Hispar Muztagh, Pakistan.
1000m, M4, 55°, 7 juillet 2018, Hansjörg Auer

L’extrémité ouest du Hispar Muztagh avec :
(A) Distaghil Sar (7885m),
(B) le Lupghar Sar ouest (7175m), montrant la route 2018 sur la face ouest,
(C) Momhil Sar (7414m),
(D) Trivor (7728m) et
(E) Khunyang Chhish (7852m).
Hansjörg Auer sur le glacier de Baltbar et sa ligne sur la face ouest du Lupghar Sar
West.
©Hansjörg Auer/American Alpine Journal

Hansjörg exécute son ascension
avec une incroyable maîtrise

Ce sommet est situé dans le groupe du Distaghil Par (7885 m), et du Khunyang Chhish (7852 m). Hansjörg avait ouvert avec son frère Matthias et Simon Anthamatten une voie de 2400 m sur le Khunyang Chhish West (7400m) en 2013, primée par un PO en 2014…

Parti en solo, (rappelons-nous que le grimpeur autrichien avait fait une entrée fracassante sur la scène alpine en 2007 en signant le solo intégral de la voie du Poisson à la Marmolada, dont le crux en 7b est connu pour son caractère aléatoire…), Hansjörg exécute son ascension avec une incroyable maîtrise. Parti d’un bivouac à 6200 m sur le glacier de Baltbar, il gagne très vite le pied du ressaut sommital à 6900 m, y dépose son matériel de bivouac et s’engage dans un terrain mixte rendu délicat par la qualité exécrable du rocher, qui a fait la réputation de cette montagne rarement tentée. Il rejoint l’arête sommitale, corniche et très fine, façon « lame de couteau » et fantasmagorique. Terrain où il vaut mieux, sans doute évoluer seul. Mais encore faut-il en avoir les nerfs…

L’aller-retour est mené à toute vitesse : Hansjörg rejoint son bivouac sur le glacier le soir même, après une journée intense d’engagement total.