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Paciencia, le chef d’oeuvre d’Ueli Steck à l’Eiger répété par Symon Welfringer et Nils Favre

Symon Welfringer, Paciencia, Eiger. ©Damien Largeron

Il y a des voies de légende. Que celle-ci soit due à la personnalité des ouvreurs – ici Ueli Steck et Stephan Siegrist – ou à l’aura des rares répétiteurs, elles suscitent probablement autant l’envie que la crainte aux éventuels prétendants. Paciencia fait partie de ces voies de légende : en voici un bref historique, et le récit de la répétition franco-suisse de Symon Welfringer et Nils Favre en août 2020.

Un instant de patience est déjà une victoire, dit le proverbe. L’Eiger a souvent été la face nord de la patience, justement : quand il s’agissait de trouver les bonnes conditions pour répéter la mythique voie de 1938 dans les années soixante, ou quand il s’agit, aujourd’hui, de savoir deviner celles permettant une escalade libre hyper exigeante en chaussons hyper pointus. Réchauffement climatique oblige, l’Eiger à la mode estivale n’est plus une histoire de chutes de pierre dans les névés de l’Araignée ou de mixte dans les sinistres cheminées terminales. Aujourd’hui l’histoire de l’Eiger s’écrit dans les voies plus récentes, avec des chaussons et des doigt (très affûtés) : disons depuis les années 80 avec la mythique Directissime Ghilini-Piola (1983, 1400m, libérée par R. Jasper et R. Schaëli en 7c) – dans la moitié droite de la face, jusqu’aux « mini-piliers » tout à droite avec des voies modernes « classiques » comme Spit Verdonesque édenté (7a/A2 ou 8a, 300 m).

En 2003, c’est un fin connaisseur de l’Eiger, Ueli Steck (auteur de records en solo de la voie de 1938) qui achève un chantier d’ampleur avec Stephan Siegrist : le tracé de Paciencia, 900 m, est né, la voie n’a pas encore de nom car les auteurs ne l’ont pas libérée. Après cinq jours de travail dans la voie, c’est chose faite cinq ans plus tard, en 2008, Steck et Siegrist nomment leur voie Paciencia, 8a max. À l’époque, Steck dit que « l’escalade se déroule sur des murs raides avec des sections légèrement surplombantes et principalement sur petites prises », sur le calcaire soit lisse soit fragile de l’Eiger.

Symon Welfringer, Paciencia, Eiger. ©Damien Largeron

 Après l’illustre cordée des ouvreurs, c’est le regretté David Lama qui se risque à une première répétition en 2011. Le jeune prodige autrichien en revient avec la voie dans la poche, mais impressionnée. Il dira que « c’est l’une des voies les plus dures des Alpes » et qu’il était « absolument fatigué » en sortant de la voie. Or, Lama est très, très fort en libre, encore plus que les ouvreurs de la voie. Probablement l’indice que les cotations sont (hyper) sèches.

En 2013, la deuxième cordée à se risquer dans Paciencia est britannique, et pas des moindres : si Dave McLeod n’est pas un pur alpiniste, c’est un grimpeur de « trad » auteur de voies parmi les plus dures de Grande-Bretagne, du 8ème degré où il est très déconseillé de tomber, tandis que Calum Muskett est un grimpeur alpiniste polyvalent. Comme il le raconte, Dave MacLeod précise que « les longueurs en 7b ou 7c sont très dures à vue ». Ils viennent à bout des 23 ou 24 longueurs en trois jours.

Nils Favre dans Paciencia ©Damien Largeron

Août 2020. Symon Welfringer est affûté comme un Laguiole après un été à alterner les voies difficiles du Mont-Blanc et les grandes voies dures – le tout après deux mois à Céüse à s’user les doigts dans les mouvements d’un projet en 9a, comme il nous l’a raconté récemment. Il fait équipe avec Nils Favre : suisse de son état, Favre n’est pas alpiniste mais fin et très fort grimpeur, champion de bloc.

Désireux tout deux se frotter au mythe d’une des voies les plus dures de l’Eiger (avec Odyssée, encore un cran au-dessus et qui vient d’être répétée par Jacopo Larcher et Babsi Zangerl), le duo franco-suisse se lance sur l’Eiger (avec le photographe Damien Largeron) sans passer par la case approche de la voie Heckmair, en arrivant par le tunnel du train, dont une ouverture débouche au-dessus du socle.

Laissons la parole à Symon.

La cordée Symon-Nils, heureuse ! ©Damien Largeron

Symon Welfringer : «Après avoir attendu les bonnes conditions pendant tout l’été, nous avons finalement réussi à nous lancer dans ce chef-d’œuvre ouvert par Stephan Siegrist et le regretté Ueli Steck. Parmi les voies rocheuses les plus exigeantes des Alpes disait David Lama. Cette voie semblait aussi belle qu’engagée. Entre excitation et peur, avec Nils Favre et Damien Largeron nous nous dirigeons vers le pied de la face avec des sacs de 20/30 kg remplis de nourriture et d’eau.

Nous avons découvert la voie complètement sèche, ce fût une agréable surprise après avoir su que personne n’y avait grimpé à cause des conditions humides de ces derniers mois. Avec une belle motivation et un excellent travail d’équipe avec Nils, nous réussissons à enchainer toutes les longueurs.

les 7a/b sont particulièrement engagés avec de mauvaises protections

Toutes les 24 longueurs demandent une certaine concentration, en particulier les 7a/b particulièrement engagés avec de mauvaises protections. D’autre part, les longueurs clés en terme de cotation n’étaient pas si complexes à comparer à d’autres longueurs de niveau inférieur (un des 7b+ vaut bien 8a). Mais toute la voie, de la cheminée en 6a au 8a sur règlettes, offre une des plus belles escalades sur calcaire que j’ai pu parcourir.

Bien sûr, le rocher est mauvais dans certaines sections faciles mais dans les plus dures, je pense que c’est l’un des plus beaux calcaires d’Europe que nous avons ici. Je suis ravi d’avoir partagé cette expérience avec Damien Largeron qui a super bien géré ces deux jours et a réalisé des clichés incroyables. »