Située au-delà du cercle arctique, en Norvège, la région de Narvik est devenue une destination majeure de la cascade de glace, entre l’exploration des locaux et la visite régulières de spécialistes. Entre sommets et fjords plongeant dans la mer arctique, d’innombrables cascades de glace de tous niveaux et d’une longueur à plus de 700 mètres attentent les glaciéristes, tandis que les montagnes alentour recèlent des possibilités pour skier jusqu’à la mer. Fin février, rendez-vous est pris pour une nouvelle édition de l’Arctic Ice Festival, dont on vous livre ici un aperçu de l’édition précédente.
La nuit arctique enveloppe de silence les montagnes environnantes. Il est vingt-deux heures, et de l’autre côté du fjord pointent les lumières du village de Røkenes, commune de Salangen en face de Fjellkysten, notre camp de base. Le froid n’est pas mordant. Le froid est tel que le moindre centimètre carré de peau devient rapidement insensible. Malgré deux doudounes et deux pantalons passés par-dessus, je claque des dents en contemplant les cieux. Mais le spectacle en vaut la peine. Indescriptible. Les aurores boréales. Des milliards de lueurs.
Elles ont commencé à irradier le nord-ouest du fjord, se réfletant parfois dans les eaux sombres de la mer. Puis c’est une explosion de couleurs. Le ciel danse, les lueurs vertes et roses enflamment les cieux d’un bout à l’autre de l’horizon, formant un arc stupéfiant partout au-dessus de nos têtes. Les Vikings croyaient que les dieux se manifestaient, et ils avaient raison. Les pieds gelés, mais l’esprit marqué par cette immense beauté que l’on ne peut oublier, nous rentrons au chaud dans le lodge.
A l’orée du fjord de Lavangen, le vaste et confortable lodge Fjellkysten est notre camp de base, ainsi qu’à tous les grimpeurs venus pour l’Arctic Ice Festival, le festival de cascade le plus au nord de la planète – à plus de 68 degrés au nord de latitude. Le lendemain matin, nous prenons la route pour le fjord situé quelques kilomètres plus au nord. Direction ? Øvrevatnet. Un lac gelé qui s’écoule plus loin dans la mer. Plat comme une vitre couverte d’un demi-mètre de neige poudreuse – mais il y en a encore plus sur les bords. Droit devant : les tuyaux d’orgue de Flågbekken. Une massive cascade de glace de 200 mètres de haut, large, avec des piliers verticaux et au moins deux itinéraires différents, cotation 5+ à 6 selon les conditions.
Cette année 2022, la grande draperie de gauche paraît délicate, très difficile pour ne pas dire inquiétante. Nous sommes au niveau de la mer, et parfois le redoux peut fragiliser certaines structures quand elles ne sont pas adossées au rocher. Et Flågbekken est une cathédrale de glace. Aujourd’hui un grimpeur local, Eivind Jacobsen, tire une grande longueur de 55 mètres en remontant au mieux les énormes pétales puis l’un des piliers à droite. Demain ce sera Matthias Scherer, organisateur de l’Arctic Ice Festival avec sa femme Tanja Schmitt, qui pour les photos tracera l’énorme tube de droite, d’une verticalité sans faille. Là tout de suite, une musique Soul semble étrangement provenir de l’autre côté du lac, où il n’y a personne !
Devant nous : les tuyaux d’orgue de Flagbekken.
« C’est Conrad Anker, il a mis un peu de musique pour les stagiaires », explique Matthias. L’un des invités, et encadrants de l’Arctic Ice Festival n’est autre que le grand alpiniste américain, avenant et heureux d’être là – et en plus il met de la bonne musique. « Le spot est vraiment superbe, et comme il n’y a personne d’autres que nous j’ai mis un peu de musique sur la mini-enceinte, histoire de réchauffer l’ambiance » sourit-il. La falaise fait un virage, et surgit d’un coup un secteur de cinq à huit lignes possibles, sur une bonne longueur, de quoi rassasier les vingt stagiaires malgré les moins quinze degrés. Chacun se lance soit en moulinette, soit sur une ligne déjà munie de protections, du 3+ au 4+.
Avec Ulysse, une fois rassasiés niveau photo, nous choisissons d’aller voir un deuxième secteur situé au-dessus dans la forêt, avec pas moins de trois ou quatre cascades complètement indépendantes. Malgré le gros brassage dans le mètre de neige fraîche, nous parvenons à grimper une belle cascade. Mieux : respectant l’éthique des locaux, nous utilisons une grosse branche pour tirer un rappel sans même laisser de sangle. Et rentrons heureux.
Du froid et du fun
C’est un pari d’organiser des festivals de montagne, et a fortiori de cascade de glace. Forcément, le coût d’un voyage ici et la particularité de la cascade de glace font de l’Arctic Ice Festival un événement intimiste. Mais la cascade de glace en Norvège ne s’arrête pas au sud du pays – Rjukan pour ne citer que cette région fameuse. Il y a des centaines de lignes au nord du pays. Avec très vite le sentiment de découvrir un monde encore sauvage, et une pratique très aventure de l’activité.
Dans ces fjords situés au nord de Narvik, la motivation est là, que ce soit parmi les stagiaires dont les deux français – l’un est médecin secouriste de montagne – venus en train depuis la France, ou parmi les prestigieux invités. Le premier jour, nous avons fait connaissance de Steve Swenson : à lui seul il est le topo de cascades de glace du Canada, ayant rayé à peu près toutes les cascades de l’ouest canadien. Swenson a également fait le K2 côté chinois sans oxygène comme il nous l’a raconté. Surtout il est aussi sympathique que flegmatique quant au froid auquel le français n’est plus habitué. Aucun problème pour Steve, qui distille ses conseils sans avoir l’air à ses chanceux compagnons de cordée. Également grande spécialiste des cascades – qui connaît aussi bien le secteur Icefields Parkway de Banff que la vallée d’Aoste, Heike Schmitt encadre en tant que guide de haute montagne.
Et pendant que certains s’amusent, révisent ou découvrent les ficelles du métier, d’autres jouent leur partition. Un jour, c’est Jeff Mercier, guide et secouriste de profession, qui emmène une cordée répéter l’une des voies mixtes très difficiles d’Øvrevatnet, Social Club, du M6/7 avec quelques glaçons suspendus, pimenté par la volonté farouche de Jeff de dénicher un cheminement parallèle sans les spits de l’ouverture. Oeuvre des premiers aficionados de la glace venus ici : le canadien Guy Lacelle et le norvégien Marius Olsen. Jeff Mercier se paiera le luxe de répéter également une des voies mythiques du cercle arctique, comme on le verra plus loin. D’autres préfèrent la poudreuse pour s’exprimer sur les skis. Attention au vent, au froid, et aux branches traîtresses !
Ski session. ©JC
Atelier de sécurité sur neige avec Merrick Mordal, guide américaine installée à Narvik. ©UL
Lueurs du crépuscule. ©UL
Fjord sauvage et cascades géantes
Il suffit parfois de s’arrêter au bord de la route pour voir de nouvelles lignes. Ici tout n’est pas répertorié, et encore moins grimpé. Même si la Norvège attire depuis longtemps les amoureux de la glace, norvégiens ou étrangers : les autrichiens Albert Leichfried et Benedikt Purner, des britanniques comme Ian Parnell, ou encore Matthias Scherer et Tanja Schmitt, qui reviennent chaque hiver dans cette région sauvage de Narvik. Si la ville est d’importance et son rôle historique connu pendant la Deuxième Guerre Mondiale, et si l’île de Senja a gagné en notoriété pour l’escalade, peu de grimpeurs fréquentent les grands murs de Bardu, ou Sørdalen, au nord de narvik (et au sud de Tromso).
En deux jours, se succèdent deux cordées à Sørdalen. Jeff Mercier s’encorde avec Conrad Anker pour une rare répétition de Remember Mi, chef d’oeuvre de la cordée Leichtfried-Purner coté WI 7-/M8, que Jeff enlève haut la main. La veille Matthias et un copain se font plaisir dans la plus classique Rubben, magnifique ligne faite d’énormes piliers verticaux, 5+ pour 400 mètres, oeuvre de Ørjan Jensen avec ses compagnons en 1990.
Un fermier nous offre un thé au retour, avant de changer de machine pour gérer seul son exploitation : un pied dans la ferme où est automatisée la traite des vaches, et un pied dehors avec un engin d’abattage forestier, toujours seul.
Nous poussons quelques kilomètres plus loin pour aller voir le monstre de la vallée : Skredbekken, la plus célèbre cascade de Sørdalen, 700 mètres de glace ! Elle a demandé deux jours d’ascension lors de sa première en 1995 par Børge Solbakk, et c’est l’une des préférées de Matthias Scherer. En Norvège, au fond de la vallée, dans le fjord suivant, il y a toujours de nouvelles cascades, et un grand parfum d’aventure.
Matthias Scherer dans Rubben. ©Jocelyn Chavy
Rendez-vous en Norvège du 17 au 23 février prochain pour l’Arctic Ice Festival, organisé par Matthias et Tanja avec la guide Heike Schmitt. Infos et inscriptions : Arctic Ice Festival.
Tanya et Heike Schmitt, piliers du festival avec Matthias. ©UL