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Le Népal, l’Everest et le « Prince des tortures »

Quand l'émir de Barheïn force les frontières

Alors que le Népal est encore globalement fermé aux étrangers et que seuls quelques avions atterrissent sur son sol depuis le 1er septembre, essentiellement pour ramener au pays des ressortissants népalais, un vol privé devrait arriver le 15 septembre en provenance du royaume de Bahreïn. A son bord ? Une équipe de 18 personnes menée par l’émir Nasser bin Hamad al-Khalifa de Bahrein, cinquième fils du roi Hamed ben Issa Al Khalifa et chef de la garde royale.

On s’étonne que le Népal ouvre ses frontières exclusivement à cette éminente personnalité, les poches remplies de pétro-dollars et l’ego gonflé par la perspective d’un Everest à ajouter sur sa to-do list. Le Lobuche et le Manaslu au programme de ce premier voyage ne sont que des étapes ouvertement annoncées par le prince vers le toit du monde. On pense évidemment aux dizaines d’agences toujours dans l’expectative, ne sachant pas encore si elles pourront sauver un tant soit peu la saison touristique en Himalaya en accueillant leurs clients. Pour sa part, l’agence Seven Summit Treks démarre bien la saison avec cette expédition particulière.

Plus que tous les autres riches prétendants déboursant en moyenne 100 000$ pour se payer un Everest, CEO et autres explorateurs des places boursières, ce prince symbolise au plus haut point toute l’arrogance du pouvoir de l’argent face à la nature. La nature mais aussi tout un pays.

La place Darbar à Katmandou, Népal. ©Ulysse Lefebvre

monnayer des vacances au petit dernier
n’est sans doute que
la partie émergée de l’iceberg persique

Il faut se souvenir que le Népal compte 40 000 de ses ressortissants dans le minuscule Etat de Bahreïn. On sait aussi que souvent, ces ouvriers se voient confisquer leur passeport et se retrouvent coincés sur l’île, esclaves de la pétromonarchie. Cette immigration massive de travailleurs faiblement qualifiés est un atout pour le royaume, atout qui pèse dans ses relations avec le Népal. En avril dernier, l’émir distribuait au peuple Sherpa des denrées alimentaires et du matériel pour les aider en pleine période de lockdown, avec l’aide déjà de Seven Summit Treks. Charité bien ordonnée commence par soi-même… et ses projets himalayens. Et le fait de monnayer des vacances au petit dernier n’est sans doute que la partie émergée de l’iceberg persique.

Surtout, le-dit émir a été largement surnommé le « prince des tortures » par les médias occidentaux. Lors des Printemps arabes de 2011, les révoltes à Bahreïn ont en effet été matées dans le sang. Nasser bin Hamad al-Khalifa de Bahrein était alors à la tête des services de l’ordre. Pire : plusieurs témoignages de victimes émigrées en Europe affirment qu’il aurait lui-même participé à des séances de torture, jouant du gourdin et de la perçeuse sur le corps de ses sujets.

Ou comment illustrer l’impunité
au service d’un émir sportif,
adepte de lui-même et de selfies sur Instagram

On aurait tort de jeter la pierre au Népal, ou de lui faire la leçon. En 2013, le prince tortionnaire participait aux courses Iron Man de Berlin en Allemagne et Miami aux Etats-Unis. Et en 2014, ce sont les autorités françaises qui restaient muettes lorsque le prince participait au Jeux équestres mondiaux de Normandie. La même année, il galopait au Windsor Horse Show en Angleterre. Ou comment illustrer l’impunité au service d’un émir sportif, adepte de lui-même et de selfies sur Instagram.

En bout de chaîne, le Népal, l’Himalaya, le Manaslu puis l’Everest s’inscrivent dans cette logique d’impunité. Comme souvent, le toit du monde n’est qu’un trophée pour décorer les murs ou le CV d’un gros bonnet.

Triste monde que celui où les plus hauts sommets n’échappent plus aux jeux de pouvoir. Ils sont eux-aussi une monnaie d’échange dans les relations internationales. Les 8000 ne sont plus ces îlots hors du temps. Et les « jours d’après » tant attendus n’ont pas encore remis les pendules à l’heure.