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Le mont Aiguille sans voiture mais avec auto (dérision)

Solo sans CO2

Il y a un an, j’épiloguais en edito sur la solitude en montagne, après une ascension au mont Aiguille. Aujourd’hui, j’ai envie de vous dévoiler les détails de cet exploit. Alors je sais ce que vous allez dire : il a pris le train et son vélo une fois dans l’année et il va nous le raconter en long en large et en travers. Avant de reprendre sa bagnole pour aller grimper au fin fond de l’Oisans ou du Mont-Blanc. Et vous aurez raison. Pourtant, vous devez comprendre que parfois, nous devons accomplir des choses plus grandes que nous (et le faire savoir). 

Samedi 24 avril 2021. Les envies de grimpe en montagne sont là depuis un bon mois, mais la neige persiste sur les sommets. Des conditions semblables à celles de ce début d’avril 2022. Surtout, les copains ne sont pas dispo alors il faut trouver quelque chose de pas trop dur et pas trop long.
Dans un élan de zèle écolo (je traîne trop à Grenoble), pointe alors l’envie de prendre le vélo et les baskets pour compléter une approche ferroviaire. Montmélian / Clelles-Mens c’est parti. Et au bout, le mont Aiguille et sa voie normale, accessible au grimpeur solo expérimenté et prudent.

Ca y’est, cela s’impose maintenant à moi, comme une évidence (et à cause de la hausse du prix du gazoil aussi).
C’est parti, aujourd’hui je suis un alpiniste conscient et décarbonné (j’ai même laissé les clopes à la maison).

Une photo en roulant. L’engagement est total. ©Ulysse Lefebvre

Pour une escalade décarbonnée : votez Alpine. ©UL

Les premières sensations sont bonnes niveau approche. La SNCF n’a pas encore changé son application mobile de réservation des billets et j’arrive assez rapidement à retrouver mon chemin. Petit moment de doute avec le nom de la gare d’arrivée : Clelles-Mens puisque je vais bien à Clelles mais pas à Mens (situé à 13km de Clelles). Vous me suivez ? Ils sont taquins à la SNCF.

 j’avance triomphal avec mon vélo
au milieu de toutes ces saloperies
de bagnoles polluantes

Mais je ne me laisse pas déconcentrer. Je reste focalisé sur cette approche toute nouvelle pour moi. Au parking de la gare de Montmélian, j’avance triomphal avec mon vélo au milieu de toutes ces saloperies de bagnoles polluantes. Ils ne savent pas ce qu’ils perdent tous, à cracher ainsi leur carbone aux narines de la planète. Aujourd’hui, je suis un fier grimpeur vert. Place le Trièves, j’arrive ! 

Malheureusement pour mon aura (celui qui m’entoure, pas la région), le TER est désert. Personne devant qui parader avec mon VTT et mon casque d’escalade. Je suis un militant solitaire. Je me dis qu’au fond, je le fais pour moi, pas pour les autres, enfin, pour la planète surtout. Heureusement, il me reste le contrôleur pour montrer fièrement mon engagement, sac de speed climber ostensible à côté de moi. Ah oui, et puis Instagram aussi. Vous likez ?

Clelles-Mens, terminus du train. ©UL

Je vous passe les détails du premier crux : prendre une photo à une main sur le VTT, pleine bourre, sans me casser le figure. Photo nécessaire pour prouver le premier maillon de cette ascension by fair means. Ouf, c’est dans la boite. Pas terrible mais bon, reprochait-on à Ueli Steck ses photos floues à l’Annapurna ? (On me dit dans l’oreillette qu’il n’a ramené aucune photo de l’Annapurna, ce qui ne fait que confirmer ce que je raconte.)

Las, je retombe au niveau randonneur
Honte sur moi

Vient ensuite le moment de laisser le vélo dans un buisson pour monter au col de l’Aupet (1627m), au pied du mont Aiguille (2071m).  Là, je passe en mode traileur. Avec mes chaussures légères, je fends le sentier raide de ma foulée rapide et déterminée… pendant 3 épingles. La pente est trop forte pour que je maintienne un rythme de coureur, malgré le sac léger. Las, je retombe au niveau randonneur. Honte sur moi. Même si je marche vite, c’est un coup dur pour ma performance. Je perds au moins 4mn36 dans la montée. Pas sûr de réussir une FKT aujourd’hui (ndlr : FKT : Fast know ascent, soit plus rapide ascension connue).  Je me dis que je fais ça pour moi, pas pour le record, que l’important c’est de prendre son temps, d’être en communion avec cette nature que je n’ai pas pollué aujourd’hui. J’accélère quand même le pas. Faut pas déconner. 

Le comité d’accueil, camouflé. ©UL

©UL

ce solo sans CO2
(répétez 3 fois rapidement)

Les bouquetins encore vêtus de leur poil d’hiver m’accueillent, avec le flegme d’un grimpeur anglais devant un spit de 12mm. Je les contourne pour attaquer la voie normale, assez sèche dans le bas. 11h22 déjà. J’hésite à prévenir la rédaction d’Alpine Mag pour que ses journalistes ne soient pas inquiets. Je les ai prévenus que je faisais un gros truc aujourd’hui. Mais il est déjà tard. Ca va être difficile de ne pas passer à côté de l’exploit tant attendu de ce solo sans CO2 (répétez 3 fois rapidement). Je dois tout faire pour ne pas les décevoir.

Le début de l’escalade est facile, souvent câblé, de la fast via ferrata. Je fais fumer l’acier. En cette période précoce, personne n’a eu l’idée de venir vérifier si la neige était encore trop abondante sur ce sommet. La voie normale du mont Aiguille pour moi tout seul. Voilà le vrai pied de la journée ! Ceux qui y ont poireauté un jour d’été derrière 8 cordées comprendront.  

Le début de la voie normale est bien équipé, mais croyez-moi, je n’y ai pas touché. ©UL

Dubouloz et Honnold
n’ont qu’à bien se tenir

Personne ? Non, une cordée d’irréductibles a osé s’aventurer. Je retrouve ce trio au niveau du premier couloir de 40m. Là, toute mon expérience de soloiste de l’extrême me permet de les doubler par la droite, en remontant droit dans la pente de neige. Je prends tous les risques. Non mais. Dubouloz et Honnold n’ont qu’à bien se tenir.

J’adresse quand même un bonjour à la cordée, au risque d’être déconcentré et de perdre encore de précieuses secondes. Mais j’avoue, ma courtoisie est intéressée : s’ils ont une corde à double pour descendre par les rappels, je descendrais bien avec eux plutôt que de me retaper la voie normale à l’envers, n’ayant pas emmené de corde suffisamment longue. Pas besoin de demander, ils me le proposent d’eux mêmes.

C’est beau la solidarité montagnarde. Bon, mais c’est pas tout ça, suis pas venu pour acheter du terrain. Je laisse derrière moi mes futurs compagnons de descente et continue ma montée éclair.

Rencontre dans le premier couloir et premiers pas dans la neige. ©UL

Le couloir final est dans un état de décomposition avancé. Un mélange subtil de neige, glace et terre permet d’accéder au plateau sommital. Avec des crampons ce serait mieux, avec des baskets ça prend juste un peu plus de temps. Mais ne suis-je pas un sportif de l’extrême ? Et comme on dit : il n’y a pas de mauvais matériel, il n’y a que des mauvais grimpeurs.

Au sommet justement, je contemple mes pieds. Bein oui, ça fait une super photo pour les réseaux sociaux.
Ah oui, je regarde aussi le paysage derrière, le Trièves en contrebas, le Vercors de l’autre côté et au loin, le Devoluy avec le Grand-Ferrand que nous avons skié avec Joc il y a quelques semaines. Du beau team building !

Le superbe couloir de sortie, en fantastiques (!) conditions fin avril 2021. ©UL

Mont Aiguille ou Ben Nevis ? N’ayons pas peur des mots. ©UL

le contrôleur me remarque à peine 
Le pauvre, s’il savait ce que je viens de réaliser

Il est temps de redescendre. J’ai un train à prendre. La neige, pénible à la montée, bouche bien le couloir et permet de marcher/glisser très bas sans rappel. Un seul suffit d’ailleurs, le dernier en fil d’araignée. Je laisse mes compagnons de rappel finir seuls, je dois courir récupérer mon vélo et mon TER. La protection de la planète le requiert. Engagez-vous qu’ils disaient.

Je cours, je roule, je suis ferroviaire, je suis un grimpeur vert, pas peu fier.

Dans le train, le contrôleur me remarque à peine. Le pauvre, s’il savait ce que je viens de réaliser, humblement, discrètement…
En repartant, je jette un dernier coup d’oeil par la fenêtre sur cette montagne que je viens de gravir sans lui faire de mal, sans nuire à l’environnement. J’en ai la larme à l’oeil. J’ai envie de faire un câlin à un arbre.
Retour à la maison un peu fatigué. Je file me coucher car demain je pars tôt pour un reportage en Oisans. Et je dois encore faire le plein de la bagnole.

Summiter, alpine style, by fair means, no ox, pas d’assistance, à vue, relax et détendu du flanc. ©UL

Massif du Vercors, mont Aiguille, 2071 m, face nord-ouest.
Voie normale, PD, 3c, 250 m.

Qui n’a jamais rêvé de gravir cette dent caractéristique visible depuis la route des vacances, en direction du col de Lus la Croix Haute ? Incisive singulière, échappée du Vercors, ce mont Aiguille présente une voie normale relativement accessible. Il faudra cependant rester attentif à la descente, dont les deux rappels obligatoires se trouvent après du terrain peu agréable à descendre. Et comme il y a souvent du monde, gaffe aux pierres qui tombent. 

Le récit ci-dessus, au second degré vous l’aurez compris, raconte une ascension réalisée en avril 2021. C’est un peu tôt en saison et la neige reste bien présente. Prévoyez éventuellement des petits crampons légers et une paire de gants pour grimper dans la neige par endroits. 

Plus tard en saison, la neige fond et les foules déboulent

Accès 
En train, TER jusque la gare de Clelles-Mens puis marche/vélo jusq’au hameau de la Richardière, au-dessus de Chichilianne. 
Laisser le vélo au niveau de la Richardière ou juste au-dessus. 

Topos

Escalades en Chartreuse, Vercors et Dévoluy, Dominique Duhaut, Philippe Peyre.
6a max Dauphiné, Philippe Brass

Matériel

Corde : 2 rappels de 45m pour les rappels de descente. Quincaillerie : selon aisance à grimper à corde tendue ou en tirant des longueurs.
Crampons légers éventuellement si tôt en saison. 

A noter 

Bivouac au sommet du mont Aiguille interdit depuis novembre 2021.