Entre art et expédition, Camille Dedenise propose une « plongée écopoétique dans la fonte des glaces ». L’objectif de cette artiste franco-autrichienne était d’atteindre sans avion, depuis les glaciers des Alpes, les glaciers du Grand Nord. Au printemps 2024, elle a donc rejoint le Svalbard, archipel norvégien, à bord d’un voilier depuis les Pays-Bas. Photographies argentiques et digitales, peintures, vidéos, textes, installations… Retrouvez du 12 février au 15 mars 2025 ses archives et son exposition à la Maison de la Montagne de Grenoble.
Elle questionne la possession et la domination de l’humain sur la Terre. À travers sa poésie Camille Dedenise mêle anthropologie, lutte environnementale mais aussi expédition et aventure. Avec les glaciers au centre de son art, ceux des Alpes comme ceux du Grand Nord, elle interroge notre rapport au vivant, et crée de « nouvelles narrations quand l’humain n’est plus au centre de sa propre histoire ».
À l’occasion de son exposition « À la dérive dans l’écho de la Terre, une expédition en Arctique » à la Maison de la Montagne de Grenoble, nous sommes allés à sa rencontre. Son projet ? Présenter ses productions artistiques (photographie, peinture, vidéo, texte…) et les archives de son voyage au Svalbard, le tout dans une exposition vivante, collaborative et multi-artistique.
Le vernissage de l’exposition aura lieu ce vendredi 14 février à 19 h. Au programme : une conférence pour que l’artiste présente son projet au public, et une invitation à découvrir les œuvres en sa présence.
Camille Dedenise fera des sessions de lectures au coin des oeuvres le vendredi 21 février à 19 h. Et si vous voulez vous essayer à l’écriture, elle proposera également le samedi 8 mars à 10 h, un atelier gratuit d’écriture éco-poétique. Ces ateliers font partie intégrante de son projet.
Une expédition en voilier inspirée du roman Voyage d’une femme au Spitzberg
Lorsque l’idée de partir au Svalbard est née, la voie de l’eau s’est imposée. L’artiste voulait minimiser son empreinte carbone et était guidée par la volonté de prendre le temps : « j’ai la chance en étant artiste d’avoir la liberté de mon temps. Il y a ce rythme un petit peu particulier qui s’est mis en place, c’était une très belle et longue expérience. Au fur et à mesure qu’on arrivait au nord, les nuits étaient de plus en plus claires, le climat était plus froid, les oiseaux changeaient, la couleur de l’eau, de la mer, du ciel…etc. Le voyage s’est vraiment fait petit à petit et j’ai pu prendre le temps de contempler. »
Elle raconte également que c’est un livre de Léonie D’Aunet : Voyage d’une femme au Spitzberg, qui l’a poussée à choisir la navigation comme mode de transport. « En fait, en lisant, je me suis rendue compte que tout son voyage pour y aller et en revenir, c’était la grande majorité du livre, c’était ça qui comptait. »
Le voyage s’est vraiment fait
petit à petit,
j’ai pu prendre le temps de contempler
Les recherches de bateau pour se rendre au Svalbard ont été fastidieuses. Mais le 5 avril, elle monte à bord de l’Antigua avec des affaires chaudes et tout son matériel artistique. Ce grand 3 mats débute la traversée en partant du port d’Harlingen aux Pays-Bas. Après plus de 18 jours en mer, à naviguer avec l’équipe de skippers, et un arrêt de quelques jours à Tromsø en Norvège, Camille arrive dans les fjords du Svalbard, dans la petite ville de Longyearbyen.
Elle y restera un mois complet, à contempler, rencontrer, produire. Elle naviguera également pendant une semaine dans les eaux de l’Arctique à bord du Tilvera, un plus petit voilier, avec une équipe de chercheurs et d’artistes : Ocean Missions.
Les larmes du Glacier, 2022, Camille Dedenise. Pour l’artiste cette peinture représente une femme bleue, triste et soucieuse de l’avenir de l’environnement dont les larmes se fondent avec la fonte du Glacier des Ecrins.
Des Alpes au Svalbard : le chemin des glaciers
Les glaciers du Svalbard, c’était la suite logique pour Camille. Basée à Grenoble ces dernières années, elle a travaillé sur des projets autour de la fonte des glaciers dans les Alpes.
« Dans mon travail sur l’environnement, j’ai commencé à m’intéresser à la fonte des glaciers dans les Alpes. Notamment à travers différentes productions artistiques, beaucoup d’écriture, des performances. Par exemple dans le refuge de Vallon Brun ou sur le terrain avec un écogarde dans le Vercors. De fil en aiguille, ce travail m’a donné envie d’aller au plus près des glaciers qui fondent au Pôle Nord », nous dit-elle.
Cette continuité entre les Alpes et le Grand nord, elle a voulu la mettre en évidence dans son exposition. Elle y a donc intégré un triptyque de peintures initialement exposé à Paris : Les larmes des glaciers, La dernière goutte, Le souffle.
Ces trois oeuvres exposent des femmes bleues, des créatures tristes et soucieuses de l’avenir de l’environnement. Elles mettent évidence la fonte des glaciers des Alpes, qui mourront dans une dernière goûte ou qui réussiront à survivre dans un souffle de régénération.
Travailler de manière
éthique autant que possible
Production artistique et écopoésie
L’écopoésie ? Ça paraît peut-être abstrait pour certains. En réalité, c’est assez concret. Ce courant rassemble toutes les productions artistiques qui s’intéressent aux représentation de la nature, de l’environnement, du monde vivant non-humain. Pour Camille, ce mouvement intègre aussi une responsabilité écologique personnelle dans la façon de concevoir ses œuvres.
Elle nous explique : « Mon objectif c’est de développer un écosystème artistique, pleins d’oeuvres différentes : textes, photographies, performances, vidéos, peintures… et d’exercer de manière éthique autant que possible. L’écopoésie, c’est travailler de manière poétique, c’est-à-dire de ne pas être uniquement dans une exploration esthétique, mais aussi une exploration du sensible. »
C’est une sorte d’hommage
voire presque d’excuse
de l’humain à l’environnement
Pour elle l’écopoésie est un ensemble mouvant, une nébuleuse artistique : « c’est pour ça que j’appelle ça une archive éco-poétique : ça comprend l’expédition, les productions artistiques et tous les ateliers collectifs autour du projet… C’est vraiment un ensemble qui n’est pas délimité, à l’image de l’environnement. Un arbre n’est pas isolé, il est en lien avec la mousse, les bactéries, la terre… »
Parmi la poésie, la photo ou la vidéo on retrouve également ce que l’artiste appelle des performances, elle nous donne un exemple : « Cette image vient d’une performance. C’est une femme qui rentre dans l’eau nue et enveloppée de ce textile (que j’ai peint et cousu) dans l’eau glacée de l’arctique, face aux glaciers. Cette scène, qui a été filmée et prise en photo, est une sorte d’hommage voire presque d’excuse de l’humain à l’environnement. C’est quelque chose de très calme et contemplatif. » On vous laisse aller jeter un oeil à cette photographie sur les lieux de l’exposition.
Drapeaux et oiseaux
Certaines de ces oeuvres mettent en scène, in situ dans l’environnement des glaciers, des drapeaux blancs. En symbole de l’appropriation de la terre par l’homme, ils arborent des fulmars, les oiseaux des tempêtes de l’Arctique.
« Mes drapeaux inversent le concept de possession en dénonçant la domination humaine ; mes drapeaux ne symbolisent pas d’accomplissement, ne montrent pas de héros humains. Ils sont le contre-pied de la possession. Ils proclament « la Terre n’appartient pas aux humains » », explique-t-elle.
Ils proclament
« la Terre n’appartient pas aux humains »
Pour le futur, Camille Dedenise va continuer à œuvrer pour les glaciers et l’environnement. Sa prochaine expédition ? Le Groenland. L’idée serait de traverser sans avion et d’être au contact des premières nations sur la côte ouest. « Ça sera sûrement dans le cadre d’une thèse, mais dans tous les cas, ce sera en lien avec mes projets artistiques. » Rien n’est compartimenté pour l’artiste, tout est lié. Et cet ensemble est le fruit d’un savant mélange entre art et sciences sociales.