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Le Tour de France à la montagne, vu du Tour de France à la mer

Si Christian Prudhomme était un homme politique, son allocution du 16 septembre 2020* au pied des Alpes, serait dores et déjà inscrite dans le marbre comme le Discours de Grenoble. Cest en bon bourlingueur des médias que le patron du Tour de France a lancé ce coup de poing médiatique envers les maires écolos accusés d’empêcher le Tour de tourner rond. Eric Piolle a trinqué pour le reste de sa tribu. Piolle et consorts qui sont pourtant par ailleurs adeptes eux aussi de la Petite Reine. Mais alors, qui sont désormais les rois de la petite reine ? Les cyclistes traditionnels des campagnes, des vallons et des montagnes ou bien les citadins usagers du vélo au quotidien ? Ligne de fracture ou fusion progressive de deux mouvances qui lair de rien se nourrissent réciproquement ? Le débat est ouvert, je dirais même plus : le débat est tout vert.

« Ne cassez pas ce qui rassemble ». Le discours brutal de Prudhomme ciblant les maires verts.

La meilleure défense cest lattaque paraît-il, cela vaut dans le peloton du tour comme dans ses alentours médiatiques. Prudhomme devait se défendre, il a attaqué. Tout à son honneur ? Pas certain. Le Tour (qui nen a plus que le nom – pour la forme il faudra repasser, géographie et marketing ne faisant pas toujours bon ménage), est une machine médiatique et sportive incroyablement rodée. Son aura populaire et sa résonance internationale sont incontestables. Oui cest lun des plus grands événements sportifs et populaires au monde. Et cest bien là tout lenjeu positif, sur le plan sociétal et environnemental.

Non, il nexiste pas dactivité de cette ampleur sans empreinte environnementale, événementielle qui plus est. Celles et ceux qui prédisent pouvoir organiser un grand événement sans impact environnemental, sont des menteurs. Néanmoins il y a une demi-mesure. Les grands événements ont toujours été attendus au tournant en matière de solidarité, de messages positifs, de sensibilisation aux grandes causes. Le public qui vient volontairement y assister est souvent disponible et à l’écoute. Oui le Tour est une institution, mais comme toute institution il se doit d’être en adéquation avec les grandes problématiques de son époque. En ce sens il dispose dune « force » médiatique et populaire, quasi affective, considérable. Nest-ce pas là lopportunité de distiller des messages fondamentaux sur le plan environnemental ? Car un événement comme le tour détient bien des leviers à actionner : réduire son empreinte environnementale certes et ce faisant, impliquer tout son écosystème dans la démarche, sensibiliser le public, interpeller les médias, impliquer les partenaires, etc.

Le Tour conte la carte postale France, à travers la montagne ou le littoral, ce qui rend d’autant plus insoutenable le grand déballage de la caravane et de ses salissures 

Le Tour, en filigrane de la course cycliste, nous conte la carte postale France, un grand voyage estival tout en dépaysement. Ville, campagne, montagne, littoral, nature, paysage, patrimoine, art de vivre. Lexercice est pour le moins maîtrisé. En cela il se distingue totalement de grands RDV sportifs cantonné à un stade, une salle ou une ville. Ce qui rend dautant plus insoutenable le grand déballage de la caravane et les « salissures » qui en résultent.

Ny aurait-il pas un intérêt fondamental à contribuer au bonheur des spectateurs, autrement quen les abreuvant de goodies publicitaires éphémères ? Certains grands événements sportifs nont-ils pas progressivement franchi le pas ? (Marathons, ultra-trails, etc.) sans parler de festivals de musique… Même si rien nest parfait, chez certains lintention est là et les actions, concrètes.

Quelle est la réaction du pratiquant de sport de plein air (le cyclisme en est un) ou de pleine nature, lorsquil voit voler bidons et tubes de gel usagés dans les fossés et sur les bas-côtés (en dépit des trop rares zones de collectes prévues par lorganisation), en direct à la télévision ? Je ne parle pas du regard des plus jeunes auxquels on s’échine à inculquer les « bons gestes ». Au-delà des dispositifs plus ou moins efficaces, prévus en suivant pour ramasser et nettoyer, cest le geste qui ne passe pas. Et que dire de lempreinte carbone inhérente aux moyens de transport et de déplacement mobilisés pour l’occasion, mais passons.

Le patron du Tour nhésite pas à faire valoir les mesures prises sur le plan de la responsabilité environnementale. La réglementation des zones spectateurs à lAigoual ou linterdiction de distribuer des goodies à La Rochelle (entre autres villes et sites) par exemple, tiennent du bon sens. Mais procéder sous la contrainte nest pas suffisant. Non, cela doit se faire en conscience. Le bon sens doit primer sur lintérêt. Le Tour dispose de ressources et de moyens logistiques, financiers, humains considérables. Pourquoi ne pas les mobiliser aussi sur le volet environnemental ? Ny-a-t-il pas là matière à relever un beau défi ?

N’est-il pas grand temps de doper la responsabilité sociétale et environnementale du Tour de France ?

Car par-delà les charges des élus (écologistes ou non), qui font valoir leurs convictions politiques, il y a aussi et surtout des milliers de citoyens pourtant adeptes de vélo et jeunes fans du Tour dix ans, vingt ans, trente ans en arrière, qui ont désormais du mal à digérer la madeleine de Proust quest le Tour de France. Certains ingrédients ont vécu et la recette mérite d’évoluer.

N’est-il pas grand temps de doper la responsabilité sociétale et environnementale du Tour de France ?

La roue tourne et le « Discours de Grenoble » de Christian Prudhomme, plus que dune attaque ciblée et gagnante, fait leffet dun vilain tour.

* Allocution de Christian Prudhomme, directeur du Tour de France au départ de la 17ème étape du Tour, à Grenoble en présence du maire écologiste de la ville, Eric Piolle.