Le K2 est le dernier 8 000 à ne pas avoir été gravi en hiver. Les Polonais ont ouvert la voie à l’himalayisme hivernal avec l’Everest en 1980. Cet hiver, ils tenteront d’en écrire la dernière page. Une expédition d’ores et déjà historique, menée par la légende polonaise Krzysztof Wielicki.
L’himalayisme est une spécialité polonaise. De par leur histoire d’abord, qui les poussa longtemps à chercher la liberté hors des frontières d’une URSS répressive, dans les montagnes du Karakoram en particulier. De par leurs terrains de jeu ensuite, avec des ascensions épiques dans les conditions difficiles des Tatras qui leur durcit le cuir. Bernadette Mc Donald raconte avec brio cette histoire incroyable dans son livre Libres comme l’air (Nevicata, 2013). Et leur soif de liberté paye. Dans les années 1980, les Polonais sont les premiers et les seuls à fouler des sommets de 8 000m au cœur de l’hiver : Everest (1980), Manaslu (1984), Dhaulagiri (1985), Cho Oyu (1985), Kangchenjunga (1986), Annapurna 1 (1988), Lhotse (1088), Gasherbrum 1 (2012) et enfin Broad Peak (2013).
Parmi les noms des audacieux, certains reviennent plus souvent que d’autres. Jerzy Kukuczka bien sûr,
le 2e alpiniste à avoir gravi les 14 x 8000. Mais aussi Krzysztof Wielicki, à l’Everest, au Kangchenjunga et au Lhotse (en solo). Véritable fil conducteur dans l’histoire de l’himalayisme hivernal, c’est lui qui dirigera l’expédition Polonaise de cette année au K2, comprenant Janusz Golab, Artur Malek, Dariusz Zaluski et un certain Adam Bielecki, que nous avons rencontré au festival de Ladek, en Pologne, en septembre dernier. Au K2, le dernier haut fait polonais date de 1986, lorsque Voytek Wróż, Przemek Piasecki et le Tchèque Peter Bozik achèvent la Magic Line du pilier sud, voie très difficile inachevée par Reinhold Messner et Michael Dacher sept ans plus tôt.
« Nous avons débuté l’histoire de l’himalayisme hivernal avec l’Everest. Ce serait fantastique de la conclure avec le K2 »
C’est en ces termes qu’Adam Bielecki annonce la couleur. Il a été le premier à gravir le G1 en hiver en 2012, puis le Broad Peak en 2013. Cette fois, il compte bien cocher le dernier monstre indompté de l’himalayisme hivernal. Bielecki est l’un des plus prometteurs de cette équipe au niveau relevé. Il connaît d’ailleurs le K2 pour l’avoir gravi à l’été 2012 mais reste prudent : « Une ascension en Himalaya en hiver est évidemment marquée par les températures très basses. Mais il y a aussi moins de précipitations. Il faut surtout savoir jouer avec les vents extrêmes (NDLR : le fameux jetstream) qui peut être à la fois un ennemi redoutable et un allié lorsqu’il balaye la neige, facilitant la progression » explique Bielecki. Un jeu que l’équipe prévoit de mener durant trois mois.Adam Bielecki. ©Ulysse Lefebvre
Nous avons débuté l’histoire de l’himalayisme hivernal avec l’Everest. Ce serait fantastique de la conclure avec le K2
Des tunnels de neige pour accéder aux tentes
Le K2 a connu trois tentatives seulement en hiver. La première, épique, voit les 23 membres de l’expédition cloués au camp de base pendant 80 jours. La neige de cet hiver 1987-1988 est tellement abondante qu’ils doivent creuser des tunnels pour accéder à leurs tentes. Les cordes s’évanouissent sous l’épaisseur. Le point le plus haut est atteint à 7 300m. La 2e tentative est signée Krzysztof Wielicki, encore lui, à l’hiver 2002-2003. Les Polonais montent jusqu’à 7 650m mais se heurtent une fois de plus aux vents déchaînés. Ils renoncent après une tentative vers le sommet depuis le camp 4. La dernière expédition date de 2011-2012. Elle est menée par Viktor Kozlov qui fixe les cordes jusqu’à 7 200m mais la mort de Vitaly Gorelik mettra un terme à l’expédition.L’expédition polonaise de cette année sera très probablement l’aventure de la saison en Himalaya. Quelle qu’en soit l’issue, il y a fort à parier que l’histoire sera riche de péripéties. En Pologne, cette expédition est financée par le gouvernement, un système qui en dit long sur les espoirs mis dans cette lourde entreprise, à l’échelle du pays tout entier. Le temps des drapeaux n’est pas tout à fait révolu…