
Partir de chez soi le lundi matin. Être au sommet de l’Everest dans la nuit de jeudi, et rentrer chez soi le dimanche… C’est le rêve d’un client à l’Everest au printemps prochain. Faire l’Everest en une semaine n’est pas une blague, mais la très sérieuse annonce d’un guide autrichien, Lukas Furtenbach, qui commercialise des expéditions à l’Everest. Ce printemps, pour la somme rondelette de 150 000 euros, un petit groupe de ses clients VIP utilisera du xénon, un gaz rare permettant de stimuler la fabrication de globules rouges, avant de se rendre sur la montagne. Oui, le même gaz rare qui est utilisé pour fabriquer les ampoules ultra-lumineuses de phares de voiture. Le même gaz rare, surtout, utilisé en anesthésie.
Monter au sommet de l’Everest en trois jours, d’une traite. Le tarif ? 150000 euros.
Furtenbach et sa société revendiquent la paternité de la commercialisation des expéditions avec préparation hypoxique, c’est-à-dire avec une période de plusieurs semaines où les clients, à domicile, mixent sommeil sous tente hypoxique ou activité physique (vélo d’appartement) sous hypoxie.
L’idée est toujours la même : réaliser l’acclimatation à domicile en simulant le manque d’oxygène, et arriver au camp de base de l’Everest en étant pré-acclimaté. L’objectif est de réduire le temps nécessaire sur place : trois semaines au lieu de six à huit semaines pour une expédition classique.
Mais l’annonce par Furtenbach, dans un long article du Financial Times, du xénon comme nouveau moyen d’acclimatation est d’une autre nature. Avec l’objectif annoncé de faire l’ascension de Everest en trois jours, d’une traite, en arrivant au camp de base la veille.

L’Everest versant népalais ©JC
Le xénon est utilisé en anesthésie depuis la fin des années 2000 en France, pour des interventions particulières car c’est un gaz rare et cher, une ressource peu disponible sur la planète. Mais un médecin a proposé à Furtenbach d’expérimenter le xénon en haute altitude car il permet d’accroître la production naturelle d’erythropoïétine, une hormone qui augmente le nombre de globules rouges dans le sang – et le transport d’oxygène dans les muscles.
C’est l’acclimatation version fast and furious, à 5000 dollars la séance pré-Everest pour chaque client. Version molécule de synthèse, l’EPO est la clé de voûte du dopage qui a ruiné le cyclisme depuis trente ans, avec un certain Lance Armstrong, adepte d’injections d’EPO. Et déchu de ses 7 titres du tour de France depuis.
Les riches n’ont pas le temps, ni d’aller au camp de base à pied, ni de s’acclimater
Furtenbach a essayé le xénon sur lui-même, atteignant l’Aconcagua (6910 m) sept jours après son départ d’Innsbruck. Furtenbach s’offusque qu’on puisse parler de dopage. Après tout, les bouteilles d’oxygène ne sont-elles pas un dopant ? Sans parler de toute la pharmacopée avalée par les prétendants avant et pendant le sommet : diamox, viagra (et ses effets vaso-dilatateurs), codéine, dexaméthasone, et même cocaïne parait-il.
Si les bouteilles d’oxygène sont utilisées pour compenser le manque d’oxygène, et même si elles sont utilisées dès le camp 2 (6400 mètres) pour certains, il n’en va pas de même avec le xénon : plus rare et plus cher que la coke, mais aussi peu présent dans l’air que l’on respire. Ce n’est pas de l’EPO de synthèse, mais le principe revient au même.
L’argument principal de Furtenbach ? La sécurité. Moins de risques d’oedèmes, et d’accidents en faisant des rotations d’acclimatation. Moins de chiasse au camp de base, moins de toux en altitude. Mais la santé de ses clients en or n’est pas la véritable raison derrière le xénon.
Les super riches n’ont pas le temps : ni d’aller au camp de base de l’Everest à pied, ni de s’acclimater. Katmandou ? Ne m’en parlez pas, c’est pollué. Furtenbach l’a compris : lui qui trouve des clients pour ses expéditions VIP à l’Everest à partir de 75 000 euros, a dû mal à en convaincre de nouveaux, en raison du temps que cela prend.
Si on pouvait déposer en hélico des clients au sommet de l’Everest pour un selfie, nul doute que quelqu’un le proposerait. En Antarctique, théoriquement protégé, une agence pour touristes ultra fortunés propose déjà un pique-nique de …trois heures sur place (avec champagne) pour un voyage AR de dix heures d’avion au départ de l’Afrique du Sud.
Alors faire l’Everest en une semaine, quelle aubaine. D’ailleurs, pour paraphraser Coluche*, l’Everest serait moins dur à faire sans les crampons que sans le dopage.
* « Le Tour de France, il serait moins dur à faire sans le vélo que sans le dopage.»