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Dans les entrailles de l’Ouzbékistan

Bourse Expé 2021

Gouffre de Boy-Bulok, Ouzbékistan ©Arnauld Malard

En Ouzbékistan se cache probablement, sous terre, la 3ème cavité la plus profonde au monde. Mais les évènements en cours vont, aussi probablement, compliquer la collaboration des équipes spéléo franco-russes qui en cherchent encore les passages clés. Six membres de l’association Continent 8, lauréats des Bourses Expé 2021, se sont rendus sur place l’été dernier. Ils nous racontent ces cavités d’Asie centrale, les plus profondes du continent.

L’exploration spéléologique du massif du Chulbair, dans le sud de l’Ouzbékistan, commence dans les années 1980. Elle est essentiellement menée par les spéléos russes (SGS Ekaterinburg, Oural). Leurs travaux se concentrent sur le gouffre de Boy-Bulok, dont l’entrée se situe vers 2 650 mètres d’altitude.

Au début des années 1990, Boy-Bulok atteint -1 415 mètres et devient le gouffre le plus profond d’Asie. Mais après plusieurs années de troubles liés à la guerre en Afghanistan, les expéditions sont suspendues pour ne reprendre qu’en 2007.

L’entrée, en falaise, du gouffre de Vishnevskii ©Martin Kern

Un système d’une dénivellation de 2000 mètres

En 2015, le gouffre Vishnevskii est découvert en falaise, à 3 522 mètres d’altitude, en amont direct de Boy-Bulok. Deux ans plus tard, les spéléologues y atteignent la profondeur de – 700 mètres. Lors de l’expédition franco-russe de 2018, tous les passages sont topographiés et de nombreuses branches sont remontées. En 2019, les Russes continuent les explorations à Vishnevskii : ils contournent le passage terminal et poursuivent la descente jusqu’à -1 158 mètres. L’arrêt de l’exploration est alors très proche de la « New Branche », une des branches de Boy-Bulok qui atteint la profondeur de 600 mètres : la jonction est alors sérieusement envisagée. Elle porterait la dénivellation du système à plus de 2000 mètres, soit la 3ème cavité la plus profonde au monde !

Malgré un contexte sanitaire et géopolitique compliqué en ce début d’année 2021, notre motivation est au plus haut. De leur côté, les Russes ne peuvent rien garantir avant le mois de juin, en raison de problématiques financières et de mobilité. Dans l’intervalle, nous soumettons le projet aux Bourses Expé, et par chance, nous sommes lauréats. Notre motivation n’en est que plus renforcée !

 

18 ânes, 17 personnes et 16 jours de vivres

Du village de Dehibolo au camp de base ©Théophile Caihol

Une zone sous tensions

L’entrée du gouffre de Boy-Bulok, alt. 2600 m ©Martin Kern

C’est seulement le 13 juin 2021 que les Russes confirment la tenue de l’expédition. Ils seront 9, nous 6 et 2 Slovènes se joindront aussi à l’équipe. Le départ a lieu le 31 juillet, nous rejoignons l’équipe russe à Moscou avant de nous envoler en direction de Tachkent. Nous terminons les préparatifs sur place avant de poursuivre notre périple vers le sud afin de rejoindre le village de Dehibolo, dernier lieu habité avant le camp de base.

11 heures de train et 4 heures de camion 6X6 sont entrecoupées de phases de chargement et déchargement de plus de 500 kg de sacs. De Dehibolo, nous repartons pour 8 heures de marche, accompagnés de 18 ânes pour porter le matériel et la nourriture nécessaire pour 17 personnes pendant 16 jours. Nous arrivons finalement au camp de base le 3 août en fin de journée.

Dans la « New Branche » de Boy-Bulok

Deux équipes rentrent sous terre le 6 août. L’une à l’amont pour poursuivre la topographie, l’autre à l’aval pour essayer de trouver le passage vers Vishnevskii. Une fois les étroitures de l’entrée passées, la progression dans la rivière est assez aisée. Les ressauts et petites cascades s’enchaînent, nous sommes en train de faire de la très belle spéléo. Après 9 heures de progression nous atteignons l’emplacement du bivouac entre deux successions de puits, chargés de 7 kit-bags pour 4 personnes.

La deuxième journée permettra de repérer le réseau en aval du bivouac, et plusieurs objectifs se dessinent alors. Un réseau remontant s’arrête au pied d’un puit de 50 mètres qui reste à escalader, et plusieurs départs sont à visiter. Le troisième jour sous terre, en grimpant ce P50, nous entendons du bruit en haut. Serait-ce l’équipe russe qui arrive par Vishnevskii ? Après 5 minutes de hurlements et d’excitations, nous nous rendons compte que c’est en fait la deuxième partie de l’équipe qui nous a quitté 30 minutes plus tôt et qui se trouve dans le puit de 100 mètres sous le bivouac… Fausse jonction, fausse joie, mais le doute est levé.

Dans la « New Branche » de Boy-Bulok, le beau volume de la salle terminale, à – 550 m ©Martin Kern

Un passage impénétrable

Le quatrième jour, qui sera le dernier avant de remonter, nous nous orientons vers un départ de galerie au milieu du P100. Ce sera l’objectif le plus intéressant que nous avons découvert, la galerie part dans la direction des galeries du fond de Vishnevskii ! Malheureusement, les nombreux massifs de concrétions finissent par nous arrêter, sur un passage impénétrable…

Nous avons passé 5 jours sous terre, et sommes heureux de retrouver le soleil au camp de base. L’équipe topo est sortie deux jours plus tôt. Ils ont remonté de nombreux passages dans la branche amont de Boy-Bulok qui affiche maintenant 20 mètres de dénivelé en plus. Le report des données de topographie indique que la galerie du P100 (au fond) est à la même altitude, avec la même direction qu’une branche du fond de Vishnevskii : l’espoir d’une jonction est toujours là.

Les concrétions des galeries de Boy-Bulok ©Arnauld Malard

bivouac à – 1 000 mètres

Jusqu’au bivouac -1000 à Vishnevskii

Pendant ce temps, l’équipe des Russes a bien avancé dans le fond de Vishnevskii. Trois d’entre-eux sont sous terre depuis déjà 7 jours et commencent à manquer de vivres et de batteries : nous partons à trois pour les ravitailler. Il y a très peu de puits dans ce gouffre, et les 5 premières heures de progression sont difficiles.

La suite est un canyon souterrain de 40 mètres de haut pour 1 mètre de large en moyenne. On se déplace souvent en opposition pour éviter le fond qui est moins confortable, et quelques passages sont un peu aériens… Après plus d’une dizaine d’heures de progression, nous atteignons le bivouac à – 700 mètres où nous passons la nuit.

Pour rejoindre le bivouac – 1 000, les galeries sont plus étroites. Tous les petits ressauts qui nécessiteraient une corde ont été déséquipés pour emmener plus de matériel au fond. Autant dire qu’il est préférable d’être à l’aise en escalade, ou avoir du sang russe. L’équipe du fond nous attend au bivouac : à court de vivres, ils sont heureux de nous voir arriver. Nous devons alors nous organiser pour la suite : il n’y a que 4 petites places dans la tente et nous sommes 5. Nous serons donc deux à remonter jusqu’au bivouac – 700, après une petite visite du fond.

Calcites ouzbeks ©Arnauld Malard

Le bivouac – 700 de Vishnevskii ©Théophile Caihol

La distance manquante est d’environ 100 mètres…

Le lendemain, nous ressortons avec des poubelles et un peu de matériel. Nous quittons le bivouac à midi et arrivons en surface à 21 heures. La lune nous éclaire. La vue dégagée sur le Tadjikistan et l’Afghanistan nous rappelle où nous sommes, l’instant est magique…

Retour sur terre

Une équipe de 4 Français est retournée à Boy-Bulok poursuivre le travail dans la galerie susceptible de jonctionner et de leur côté, les Russes ressortent de Vishnevskii après 11 jours passés sous terre pour deux d’entre eux. La jonction n’est pas réalisée, mais un passage prometteur semble avoir été trouvé : les deux galeries potentiellement “jonctionnables” ont été identifiées dans les deux cavités, et la distance manquante est d’environ 100 m…

Nous avons appris par un coup de téléphone que la situation en Afghanistan est tendue : Kaboul est tombée entre les mains des talibans. Étrange sensation de se sentir proche de tout ça, et en même temps coupés de la réalité après les 16 jours que nous venons de vivre.

A notre retour, les festins s’enchaînent à chaque étape du voyage jusqu’à Tachkent, ce qui nous pose quelques problèmes de digestion… À l’aéroport la tension est palpable, nous embarquerons in extremis et à Moscou, c’est le sprint pour attraper notre correspondance pour Genève. Nous rentrons comme prévu, mais les sacs en moins…

Merci à nos amis russes qui nous ont beaucoup aidé dans les démarches administratives. 

 

Retrouvez le rapport d’expédition complet ici 

Participants : Arnauld Malard, Laurence d’Hautefeuille, Pauline Georges, Alexandre Honiat, Martin Kern et Théophile Cailhol.