Voici comment réussir à construire un projet de sortie hivernale, en reliant une cartographie des pentes à 30°, le BERA, la vigilance encadrée et les facteurs humains et autres biais cognitifs. De manière simple, pratique et directement utilisable sur le terrain et pour le débriefing. Ça s’appelle la Carto des Vigilances, c’est validé par l’ANENA et c’est tout nouveau !
Vous êtes l’instigateur, l’initiateur, le guide amateur ou pro d’une sortie en ski de randonnée et vous avez donc choisi une course pour vos compagnons. Forcément, vous l’avez préparée un peu, vous avez une idée concrète de l’itinéraire. Mais cela ne suffit pas. Bienvenue à la Cartographie Systémique des Vigilances !
Avant le départ, je vous propose de rassembler tout votre petit monde, pour préparer tous ensemble cette sortie, en intégrant progressivement les ingrédients nécessaires. Je sais que parfois les timings du départ sont un peu serrés, mais vous n’avez besoin que d’une demi-heure à caler soit la veille, soit en court de trajet ou même au départ. C’est forcément possible, si vous en êtes convaincu, car la préparation comme le débriefing constituent, quoi qu’on en dise, les clefs d’une sortie structurée et réussie.
vous n’avez besoin que d’une demi-heure à caler soit la veille, soit en court de trajet ou même au départ. La préparation comme le débriefing constituent les clefs d’une sortie réussie.
Tout le monde est rassemblé autour de la table. Vous sortez une feuille blanche, un stylo et 3 petits stabilos de couleurs (Vert/Jaune/Rouge), et vous commencez par définir en quelques mots le cadre de la sortie : une sortie de découverte, un itinéraire sportif à gros dénivelée, de la formation nivo, une rando tranquille entre amis, un enjeu de sommet, etc.
Puis, au centre de la feuille, vous faites un croquis très simple de la cartographie de votre sortie. Le parking ou le refuge du départ, le sommet ou le col ; la morphologie globale du terrain. Avec l’aide des uns et des autres, vous positionnez les pentes à 30° de votre itinéraire ou à proximité, en les sur-lignant sur votre croquis. C’est très simple en utilisant IphiGéNie sur un smartphone ou Géoportail sur votre ordi.
Il s’agit maintenant de se préoccuper de la neige.
Il faut donc consulter le BERA et l’étudier en commun. Pour cela, un outil comme EvalBERA de l’ANENA permet de condenser les informations et surtout de mieux les comprendre. Le niveau de risque, la ou les situations avalancheuses typiques, la rose des vents pour les pentes, la présence ou non de strates fragiles persistantes, etc. Avec un peu d’apprentissage, ce n’est pas trop compliqué. Fred Jarry vous a déjà tout expliqué sur cette page.
Les résumés du BERA et de la MTO sont maintenant positionnés dans le coin gauche de la feuille de la Carto des Vigilances.
Passons à une phase plus complexe : il va falloir traduire ces informations nivologiques directement sur votre croquis en qualifiant toutes les pentes que vous allez rencontrer sur l’itinéraire.
Pour cela, il faut vous servir des 4 modes de vigilances (Détendu, Méfiant, Alerté, Hasardeux) de la vigilance encadrée d’Alain Duclos avec l’animation graphique du Cristal. En sachant que dans cette phase de préparation, le mode hasardeux n’est absolument pas envisagé. Attention, il s’agit bien de qualifier une pente donnée, à un instant T en fonction du BERA du jour. Cette analyse est bien sûr validée par chaque participant et mieux encore, ils peuvent eux aussi participer à cette évaluation. L’itinéraire est ainsi découpé en plusieurs zones de couleurs différentes. Vert pour un mode détendu quand il n’y a pas d’avalanche possible dans le secteur. Jaune pour le mode Méfiant, avec une zone identifiée à éviter, à contourner. Rouge pour une pente présentant une situation avalancheuse où il sera question de réduire le risque en adoptant un déplacement structuré.
Pour une sortie de découverte ou d’initiation, il est donc logique que l’ensemble du parcours soit en mode détendu, et donc tout en vert.
Si des points de désaccord apparaissent, il est possible d’utiliser les deux couleurs et d’identifier, avant d’entrer dans la zone, un point de décision clairement positionné, le Stop & Think. Ce point de décision sera également documenté sur une case à gauche de la feuille, avec les observables à évaluer (les 6 critères de la vigilance encadrée sont ici forcément utiles).
il est possible d’identifier, avant d’entrer dans la zone où il y a désaccord sur l’attitude à adopter, un point de décision clairement identifié
Prendre la bonne décision ©Data-avalanche
Retour à la cartographie pure.
Cette fois, pour bien préparer le déplacement sur le terrain. Normalement à ce stade, tout le monde a une vision claire de la sortie. Et, comme chacun dispose d’IphiGénie sur son smartphone (!), il va pouvoir rentrer des waypoints de l’itinéraire : soit des « épingles de navigation » pour mieux s’orienter sur le terrain, soit des « épingles de nivologie » (les points de décision). Un conseil pratique… Vous pouvez par exemple faire une dictée orale de l’itinéraire avec les points nécessaires et vérifier ainsi que tout le monde positionne ces points au bon endroit.
La sortie au Goléon préparée par Daniel, Michel, Catherine et Paulo, avec les zones « mode alerte » identifiés. Pour mieux comprendre ce gribouillon bien réel mais avec un BERA catastrophique, voici l’explication de texte ici
Dans le coin inférieur gauche de la feuille, vous pouvez maintenant aborder les autres vigilances à prendre en compte, comme un problème de visibilité réduite, de technique d’alpinisme etc.
Et aussi les aspects purement matériel d’organisation comme le transport, les horaires, le matériel etc.
La partie hard de notre histoire est maintenant posée et surtout partagée entre tous. Peut-être même co-construite. Passons à cette nébuleuse que sont les facteurs humains, si difficiles à prendre en compte au delà de leur intellectualisation. En ayant construit cette carto des vigilances avec les participants, vous avez déjà largement eu l’occasion de voir émerger des interactions, des questionnements au sein du groupe. C’est un peu ce qu’il s’agira d’expliciter sur la partie droite de la feuille. D’abord en précisant les règles de déplacement et de distance entre les participants, puis dans le cadre d’un lead alterné, le rôle, la posture du leader.
En ayant construit cette carto des vigilances avec les participants, vous avez déjà largement eu l’occasion de voir émerger des interactions, des questionnements au sein du groupe.
En fonction du mode de vigilance déterminé, le leader à le choix de sa posture : du « laisser faire » à beaucoup plus de proximité, jusqu’à un leadership hyper précis. C’est aussi une définition de l’espace d’évolution de chaque membre du groupe. Bien évidement, chaque personne est différente avec une météo du jour, une forme physique ou technique, des attentes, des interrogations, des peurs même, totalement différentes. Permettre à chacun de poser ses réalités et d’être entendu avec bienveillance résout forcement quelques problématiques auxquelles vous avez certainement déjà été confrontées.
Identifier des biais cognitifs qui pourraient éventuellement être présents lors de cette sortie est également un grand pas dans leur prise en compte lors de certaines prises de décision. Ils seront noté dans le coin à droite de la feuille. Cela ne résout pas tout comme par magie, mais au moins c’est posé là et ça existe pour tout le monde.
A la fin du processus, la validation du projet est indispensable, dans un tour de table formel.
Et maintenant place au terrain, avec les consignes et les bonnes pratiques habituelles.
En n’oubliant pas que cette feuille de route pourra être remise en question à tout moment, si certains éléments d’évaluation s’avèrent erronés (3×3 oblige). Et le faire ensemble présente un intérêt non négligeable : le leader peut même se permettre d’avoir un rôle d’observation et d’analyse durant la sortie puisqu’il n’est pas systématiquement au commande, en train de conduire le groupe. Au débriefing, cette Carto des vigilances sera le fil conducteur de l’analyse de la sortie, pour consolider les expériences et construire une future randonnée. C’est le dernier élément après le débriefing, une forme de capitalisation des expériences. Sur ce schéma, il permet de construire une cale, pour ne pas faire du sur-place et reproduire des situations, des comportements inadaptés. C’est le cercle vertueux d’une amélioration continue de la qualité de nos randonnées.
« Le radar du Faire Ensemble « est un moyen très simple d’évaluer votre dernière sortie de ski de randonnée. Chiche… Faites l’essai en répondant aux questions de cette page dédiée.
Nous ne pouvons que vous inviter à mettre en pratique cette cartographie systémique des vigilances, qui au-delà de consolider des prises de décisions plus fiables est aussi source de plus de plaisir partagé, pour le leader, pour le groupe et pour chaque participant.
Belles traces et bonnes randos à toutes et tous.
Pour en savoir plus :
Un article dans le revue de l’ANENA : « Le groupe : l’oublié de la prévention des risques en terrain avalancheux » ; Dominique Ansel et Paulo Grobel ; NA n°167 – Mars 2020.
Et pour approfondir le sujet :
http://www.paulogrobel.com/faire-ensemble-article/
Deux webinaires : http://www.paulogrobel.com/carto-des-vigilances-video/