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Une bouteille à la mer… pour Lionel Daudet

De nos jours nous communiquons à outrance, nous publions, nous postons à tout va, mais quid de nos correspondances ? Une bouteille à la mer c’est une série de correspondances mer-montagne à lettre ouverte, pour croiser les regards et partager les visions !

La Rochelle, le 10 avril 2020

Cher Dod,

Mon périmètre d’un kilomètre de rayon, me permet tout juste d’atteindre l’océan (quel privilège !), du côté du chenal d’accès au vieux port, pour mouiller cette première Bouteille à la mer. J’ai bon espoir qu’elle fasse route au sud pour atteindre puis remonter l’estuaire de la Gironde et gagner le Canal des deux mers, direction La Méditerranée d’écluse en écluse. De là, embouquer le Rhône, puis remonter le cours de la Durance jusqu’à atteindre ta bourgade des Hautes Alpes, moyennant un peu d’élan à Serre-Ponçon. Un voyage semé d’embûches, à peu près digne de tes propres réalisations. J’espère seulement que ton propre rayon t’autorisera à aller cueillir la missive sur une berge de la Durance ! Point de nectar dans ce flacon tu l’auras compris, mais une correspondance à laquelle je l’espère tu voudras bien répondre…

 Cher Dod, nous voici encerclés,
mais ne cédons pas à la doctrine du cercle !

Je te sais rêveur Dod, mais cela ne t’aura pas échappé, nous voici à peu près tous reclus* dans un espace-temps très circulaire ces temps-ci. Un cercle d’un kilomètre de rayon, contraint dans le temps quotidien à un tour de cadran pour l’aiguille des minutes. Un rayon d’un kilomètre, un petit tour de cadran. Un rond dans un rond. Silence ! Ça tourne si tu vois ce que je veux dire…

Quelle belle occasion de revisiter notre géographie me diras-tu ! Au sens propre, là tout près dans les recoins alentours et au sens figuré intérieurement, nos vieux repères, nos rêves, nos projets, nos doutes, nos erreurs, nos songes, que sais-je encore ! Mais en même temps vois-tu, je me dis qu’il y a là, matière à tourner sérieusement en rond, non ? Reste le mouvement, il a le mérite de nourrir l’esprit qui dès lors vagabonde. Cher Dod, nous voici encerclés, mais ne cédons pas à la doctrine du cercle !

A ce propos, as-tu fait l’expérience à l’écran ou sur le papier de tracer sur une carte « ton » cercle d’un kilomètre de rayon ? J’ai le sentiment que le cercle appliqué aux lieux qui nous sont familiers se moque de nos repères. C’est pour chacun d’entre nous une nouvelle frontière, « sanitaire » cette fois-ci. Mais comme souvent les frontières, celle-ci m’apparaît arbitraire. Le cercle rogne tout sur son pourtour.

A croire que la géographie du cercle sort de toute logique, elle ne s’imbrique pas dans le réel ! En temps normal nous n’avons pas une lecture circulaire de nos espaces. Pourtant la terre est ronde…

Dod, encore rêveur, jette un dernier coup d’oeil sur le mont Blanc qu’il vient de quitter en parapente avec Vincent Sprungli. Ce fut l’ultime étape de son tour de la France exactement, le 15 novembre 2012, après 465 jours (9000km) sur le fil d’une frontière à ne pas dépasser.. ©Ulysse Lefebvre

Mais dis-moi, quel regard portes-tu toi l’alpiniste, le montagnard, sur cette nouvelle frontière ? Toi qui, il y a quelques années réalisait by fair means Le Tour de la France Exactement en questionnant la notion de frontière. Toi qui plus récemment t’engageait ouvertement pour la cause des exilés contraints de les franchir ces dites frontières, non sans risques. T’es-tu imaginé faire le tour de ton cercle exactement ? Te questionnes-tu sur cette nouvelle frontière qui t’est imposée ?

En prenant un peu de hauteur (comme tu le préconises souvent), je nous vois des millions, relogés dans des cercles, chacun son rayon, superpositions de disques, compilation de morceaux pour une litanie qui pourrait bien durer encore.

En attendant ta réponse que j’espère riche d’enseignements, je vais aller marcher et courir en rond, en veillant à ce que mon esprit ne tourne pas en boucle.

Tu peux glisser ton écrit dans la bouteille ayant servi à l’aller, puis la déposer dans le cours de la Durance. Les bouteilles voyagent vite de nos jours, et puis elle connaît le chemin, nul doute qu’elle arrivera à bon port.

Bien à toi,
Stéphane

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Rien ne prédisposait ce natif de Saumur à devenir alpiniste, et aventurier dans l’âme. Sauf peut-être le grain de folie, et de poésie, que porte toujours le regard de Lionel Daudet. Dans le milieu de l’alpinisme, Lionel, vite surnommé « Dod », s’est encore plus vite fait un nom en gravissant de préférence en solitaire les parois les plus rébarbatives des Alpes (Cervin, Grandes Jorasses…), ou les montagnes les plus exotiques, c’est-à-dire dont le camp de base est difficile à atteindre. Point de course aux « 8000 », mais des voyages à la cime très particuliers, où l’engagement, total, ne peut pardonner la moindre erreur, auquel s’ajoute la saveur parfois très pimentée de l’inconnu.

Le tour de la France exactement

Cela commença par une idée folle. Ce fut un exploit singulier. Une expédition au long cours et décroissante, sans avion ni voiture. Après avoir bouclé un acrobatique tour des Hautes-Alpes en 2007, Lionel Daudet a eu la même idée, mais sur les frontières administratives de la France entière. Il a ainsi traversé intégralement les Alpes et les Pyrénées. En 2012, l’alpiniste aventurier est devenu le seul et unique homme à avoir parcouru le fil exact de la frontière française, et le restera sûrement.