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Aux vents contraires : la casse, la glace, la terre !

Carnet d'Ocean Peak Groenland #3

Nous revoilà à bord de Trifon, faisant route vers le Groenland et un big wall faisant rêver les grimpeurs. Les vents s’opposent toujours à la fine équipe d’Ocean Peak, lui en faisant voir de toutes les couleurs, et ce n’est qu’un début…Troisième épisode d’un carnet de bord, en toute subjectivité, la terre en vue.

 

Reprenons.
Terminées les circonvolution littéraires. Finie la rêverie. Faut s’bouger là.
Quatre jours qu’on navigue. Une éternité dans l’espace temps du grimpeur, mal amariné mais une pichenette dans le temps étendu du marin. Et il est temps de se réveiller.

Même si la météo n’est pas tempête, naviguer « au près », face aux vagues et à la houle, nuit et jour (le principe du bateau quoi), ça use. Il faut imaginer une montagne russe avec de belles ondulations, très hautes, puis très basses. Blam, blam. Si ce n’était que ça.

Car très souvent cette musique est éraillée par des vagues latérales qui font vriller l’ensemble, bateau et cerveaux. On mange de moins en moins, on dort de plus en plus. Mais c’est fini tout ça, il faut se tenir prêt. On reprend les quarts, pour tout le monde. Et l’on ne va plus tarder à entrer dans la zone de prudence vis à vis des icebergs. Demain probablement. Il faudra garder l’oeil ouvert, d’autant que les nuits sont beaucoup plus sombres à cette latitude.

Un bateau la nuit. ©Ulysse Lefebvre

Pas de cockpit, juste le cul sur les marches et la tête qui dépasse. ©Ulysse Lefebvre

Jumelles du matin. Terre et icebergs plus si loins. ©Ulysse Lefebvre

D’un coup tout s’accélère et le temps se rétracte. Début d’après midi, nous tenons debout tant bien que mal avec Alberto près de la table à cartes, lieu stratégique de la navigation. Un « blam » pas comme les milliers d’autres dresse le museau de l’italien vers le pont, en un éclair. C’est vrai que ça a claqué plus fort que d’habitude, mais une fois de plus ou une fois de moins hein… Pourtant « Albi » ne perd pas une seconde, tambourine à la porte de la couchette de ses confrères marins et monte en courant sur le pont.

A la proue, la trinquette virevolte en drapeau. Cette voile de taille moyenne, située juste devant la grande voile, et dont on se sert esentiellement depuis le départ grâce à sa surface adéquate, est la plus efficace pour tirer des bords carrés face au vent. La voir ainsi libérée n’indique rien de bon. Les novices se seraient jetés à l’avant du bateau pour aller voir. Mais Alberto a le sang-froid du reptile marin. Il retrourne d’abord prendre un casque pour ne pas se faire assomer par les mouvements imprévisibles de l’enrouleur de la trinquette portée par le vent de sud-ouest. Une massue lancée aux quatre vents. Le constat est là : l’attache de l’enrouleur, directement soudée au pont, a cassé net. Un truc qui n’arrive jamais. Comme souvent en expé.

Tout le monde sur le pont. ©Ulysse Lefebvre

 ©Ulysse Lefebvre

Organisation d’urgence. ©Ulysse Lefebvre

Réunion de crise entre marins. Décisions à prendre vite pour ne pas laisser la voile se faire esquinter par l’enrouleur fou. Le bloquer puis monter au mât pour enrouler la voile à la mano. Ah oui, la mer n’est pas sur pause pendant ce temps-là. « Pouce ! » ne marche pas. Alors on prend des précautions en tant que marins. On tente d’être utiles en tant qu’alpins. Et l’on immobilise la trinquette. Amberto monte au mât pour détâcher la voile et l’enrouleur, transformés en drapeau. Le danger affalé, on récupère le tout sur le pont, bien ficelés, en attendant de trouver une solution. Ce moment de crise, secoué par les éléments rappelle ces relais plein vent, spindrifts plein la tête et froid plein les os. Il faut se couper de l’extérieur et trouver la concentration en soi. Devenir hermétique, antonyme de panique. La différence par rapport à la montagne réside peut-être dans ces quelques degrés de calme retrouvé ensuite en cabine, pour faire le point. Il faudra maintenant naviguer avec une voile plus petite, moins maniable. Mais ça devrait pouvoir fonctionner. On l’on trouvera bien de quoi réparer une fois au Groenland, dans un village. Que faire sinon ? Jeter l’éponge et demander du secours à ce navire russe croisé de loin la veille ? Allons bon. On continue. Face aux vents. 

La pièce qui ne casse jamais, normalement. ©Ulysse Lefebvre

Débriefing, évaluation des plans A, B, C et éventuellement D. Le E étant la possibilité de demander du secours à un navire russe croisant au (très) loin. ©Ulysse Lefebvre

Le Saft Wall
à l’extrême Sud du Groenland
est une paroi de 900m

Le calme après notre tempête. Cette nuit, la mer est d’huile. Mais Marta nous a tous prévenus : la terre est proche et il faut impérativement se tenir prêts, en binômes, sur le pont pour observer et éviter les éventuels growlers (petit morceaux de glace flottante) ou contourner les icebergs. Alors on passe la nuit à froncer les yeux pour y voir mieux. La torpeur des quarts interminables laisse place à l’excitation de la nouveauté. Le débarquement bientôt.

Un peu de hauteur. ©Ulysse Lefebvre

Un bout de caillou. L’extrême sud du Groenland. le cap Farewell. ©Ulysse Lefebvre

Des glaciers blancs comme le ciel, vastes comme des continents. ©Ulysse Lefebvre

Au matin, une ligne de nuages sur l’horizon se transforme en une ligne de crête. Et ce gros nuage blanc, c’est un immense glacier qui s’écoule dans l’océan. Les icebergs sont bien là, certains gros comme le poing, d’autres comme un terrain de foot. Comme des gamins devant des nuages, chacun y voit un animal, une forme familière. Le soleil illumine ce moment intense.

Le cap Farewell est en vue, l’extrêmité sud du Groenland est là, à portée de voiles. Voir la terre après des jours en mer… Avoir un point de repère fixe, immobile. Qui plus est une terre surchargée de fantasmes et d’histoires, de clichés aussi. L’entrée du fjord Prins Christian Sund nous fait glisser lentement vers cet entre-deux. Ce n’est plus tout à fait la mer car on affale les voiles et on rallume le moteur, pour manoeuvrer plus facilement le bateau entre les glaces. Mais ce n’est pas tout à fait la terre non plus car ce sont encore les flots qui nous portent.

L’entrée dans le fjord Prince Christian Sund. ©Ulysse Lefebvre

Chasseurs de growlers. ©Ulysse Lefebvre

Portraits. ©Ulysse Lefebvre

Après quelques heures de navigation dans cette veine de mer bleue qui irrigue la terre verte, une paroi plus haute que les autres se détache doucement. Nous l’approchons par derrière, entrée des artistes, de sorte qu’elle se découvre peu à peu. Il est donc là. Le Saft Wall. Muraille de granite orangé, bordée à sa base par un immense glacier, avec pour estuaire une plage aux allures bucoliques. C’est sûr, c’est là que nous allons établir notre camp de base pendant que les marins continueront jusqu’au village, quelques heures plus loin. Nous resterons seuls avec le big wall. Seuls ? Vraiment ? Non, car les vents contraires sont encore là. Et sur cette plage accueillante, nous reviendrons dans quelques minutes, la peur aux trousses.

A suivre…

Un profil, apparu depuis l’entrée des artistes : le Saft Wall. ©Ulysse Lefebvre

Entre mer et terre, la joie. ©Ulysse Lefebvre

La plage, où nous allons revenir en courant quelques minutes plus tard. ©Ulysse Lefebvre

OCEAN PEAK

C’est à l’origine une association réunissant des marins et des montagnards. Constitué du trio Marta Guemes, Benoit Lacroix et Christophe Dumarest, cette initiative mi-éducative, mi-aventureuse, et complètement folle, est tournée vers les jeunes en difficulté.

L’association Ocean Peak souhaite proposer un moyen innovant de prise en charge de jeunes entre 13 et 18 ans en rupture scolaire, sociale et/ou familiale.

L’objectif est donc de proposer des séjours de rupture de deux semaines en mer et en montagne. A bord d’un voilier, l’équipage constitué de jeunes, de marins, d’éducateurs et de guides de haute montagne part à la découverte des grands espaces naturels que sont la mer et la montagne. Ils peuvent ainsi se confronter à la réalité des éléments, à la rigueur et, à l’entraide que ceux-ci imposent.

En parallèle, Ocean Peak Expedition est le versant aventureux de l’association qui puise une inspiration dans des voyages d’aventure, pour ses membres mais aussi les jeunes qui monteront à bord par la suite. Après les îles Lofoten, le Groenland est la seconde expédition d’Ocean Peak.