Il a fait le tour du monde plus vite que personne à bord d’un trimaran redoutable. Les mers du globe n’ont aucun secret pour lui, mais il connaît aussi la montagne. Président du jury du festival Aventure & Découverte, François Gabart a délaissé l’Atlantique et le Finistère pour prendre quelques téléphériques à Val d’Isère. Rencontre avec un marin à la montagne.
Avec sa coupe de jeune premier et son style propre sur lui, François Gabart pourrait laisser penser qu’il est un gendre idéal, option pavillon de banlieue, job de bureau et charentaises (il y est né, en Charentes pas dans des pantoufles). Pourtant, quoiqu’en pense belle-maman, Gabart rime avec je pars. Et pas qu’à moitié.
Peaux de foc
Auréolé de son dernier succès de tour du monde, et de tous les autres (Vendée Globe, Route du Rhum, Transat Jacques Vabre, Transat anglaise…), François Gabart s’est vu confié la présidence du jury du 22e festival Aventure & Découverte de Val d’Isère, aux côtés de Marion Haerty, Edwige Coupez et Stéphane Dugast. Et voilà qu’un marin débarque à la Mecque du ski. Kif-kif les skis et l’esquif ? « J’adore la montagne. Je vis aujourd’hui en Bretagne, très occupé par mes projets en mer, mais la glisse m’anime, au-delà du bateau. » Cap ou pas cap les peaux de phoque ? Le journaliste-goguenard espère montrer au marin d’eau plate de quelle dénivelée il se chauffe. Mais sans esprit de compétition bien sûr, pas de ça chez nous. Rendez-vous est pris pour une virée matinale aux abords du domaine de la station, afin de s’oxygéner avant de se remettre au travail sur le festival. La veille, ça chambre sévère : « Il y va en ciré ton marin, sur les skis ? T’as prévu un gilet de sauvetage ? Prends-lui un forfait, c’est plus sûr ! ». Pas trimaran tout ça. Mais le lendemain, le type a la caisse. S’il ne double pas son compagnon de bord d’un jour, c’est qu’il est poli. Et à la descente, s’il n’est pas déjà à la terrasse du Blizzard, c’est parce qu’on fait quelques séances photos intermédiaires (toujours pratique pour le photographe à bout de souffle). Alors certes, la balade est courte, la descente se fait sur piste et la wilderness est un peu lointaine, mais qu’importe le flacon, pourvu qu’il ait la caisse. « Je connais bien Aurélien Ducroz, qui fait beaucoup de voile aussi. On échange beaucoup sur le milieu, on parle de mer et de montagne. ». Alors si en plus Monsieur prend des cours avec Ducroz… Gabard rimerait presque avec (haut-)savoyard.
François Gabart kiffe les skis et les esquifs. Répétez rapidement… ©Ulysse Lefebvre
Aventure & compétition
Sur sa fiche Wikipédia, la plupart des lignes de son palmarès commencent par « Vainqueur ». Le monde de la voile à cela de particulier qu’il est un monde de compétition, avec ses gagnants, ses recordmen et ses (gros) sponsors. « Pour moi oui, c’est de l’aventure sportive, avec de la compétition. » Gagner, une course ou de l’argent, voilà des notions souvent rejetées ou mal assumées par le milieu de la montagne, et en particulier celui des alpinistes. « On a bien appréhendé cette notion de compétition, c’est dans notre ADN. Et le public aime les classements. En montagne il n’y a pas de réelle compétition, du moins elle est moins codifiée. Ce qui laisse peut-être davantage de place à l’aventure et à la liberté. Je trouve ça inspirant. » Alors certes, les sommes et les enjeux ne sont pas les mêmes, que l’on parle du prix des bateaux ou des retombées médiatiques. Et un alpiniste pourra toujours pratiquer sa passion quand un marin aura du mal à se trouver un voilier sans sponsor, a fortiori un trimaran de 100 pieds (30 mètres) : « Le trimaran MACIF, c’est 99,99% de financement par MACIF. » CQFD. Côté performance, celle qui parlera peut-être le plus aux non-initiés plus habitués aux sommets qu’aux océans, reste sa dernière balade autour du monde. Parti en novembre 2017, le marin, de 35 ans seulement, est de retour à Brest le 17 décembre, après avoir traversé l’Atlantique, franchi le Cap Horn puis navigué dans les mers du sud, là où « il faudrait compter 15 jours pour acheminer le moindre bateau de secours ». L’engagement du marin, comparable à celui de l’alpiniste ? « Je pense qu’on est moins engagés dans une gestion du risque aléatoire. Il y a moins de choses incontrôlables sur un bateau par rapport à la montagne, même s’il y a toujours des icebergs qui se promènent et des avaries possibles. » Après en avoir évités de peu, malgré la détection GPS et radar des plus gros morceaux, Gabart améliore le record de Thomas Coville de plus de 6j, avec un périple de 42j, 16h 40mn et 35s précisément. Autant dire que le gaillard excelle en son domaine et a une vague idée de ce que peut signifier l’aventure : « Pour moi c’est partir vers quelque chose sans savoir comment ça va se passer ». Belle synthèse. Simple et efficace. Gabart rime avec point-barre.
La moyenne de temps de sommeil, sur un tour du monde, est de 3h09 par jour.
L’amour toujours
Le couple mer/montagne a toujours fonctionné et le rapprochement se fait naturellement dès lors que l’on parle d’aventure. Le trophée Mer/Montagne, lancé par le navigateur Eric Loizeau, réunit marins et alpinistes chaque année depuis 25 ans, quelque part dans les Alpes. La mode est aussi au mélange des genres dans les expéditions. Dans Metrophobia, projeté au festival, Antoine Moineville vit une bonne partie de son aventure dans l’approche d’un big wall groenlandais en kayak. La grimpe vient seulement après, presque un prétexte. Lancé sur les mers du monde pour 4 ans, le guide de haute-montagne Erwan Lelann pousse de son côté à l’extrême le nomadisme mi-marin mi-montagnard, en recherchant les plus belles parois, les plus belles pentes ou les plus belles lignes à grimper tout autour du globe, prêtant parfois la barre à Eric Loizeau, en accueillant à bord la crème des skieurs et alpinistes. Et comment ne pas penser aussi à Lionel Daudet qui s’est embarqué plus d’une fois et depuis longtemps déjà avec Isabelle Autissier pour aller se frotter aux montagnes de Géorgie du Sud ou du Groenland ? « On va souvent en montagne à plusieurs, la pratique est plutôt collective, contrairement à la course au large en solitaire. On a beaucoup à apprendre, nous marins, de ces alpinistes qui s’entraident. » Toujours à l’écoute Gabart. Il n’est pas du genre à parler à tort et à travers. Il prend d’ailleurs son rôle dans le jury très à cœur et s’intéresse aux différentes manières de raconter des histoires : « Eloignés de la compétition, les montagnards et en particulier les alpinistes, ont toujours eu besoin de proposer autre chose que de simples résultats. Ils doivent proposer un documentaire, un film d’expédition, que ce soit aux spectateurs ou à leurs sponsors. Leur relation à l’image en est d’autant plus forte ».
Le navigateur sait aussi prendre la caméra, GoPro ou drone, pour témoigner et ramener un peu de son quotidien sur le bateau. Plus facile qu’un grimpeur pendu à une corde ? Qu’un alpiniste frigorifié dans une face nord ? Qu’un skieur en équilibre dans une pente raide ? Pas si sûr. Un bateau demande une attention permanente et le pilotage ne s’arrête jamais : « La moyenne de temps de sommeil, sur un tour du monde, est de 3h09 par jour ». On apprécie donc d’autant plus les quelques instants bruts captés entre deux manœuvres ou deux micro-siestes. Montagnards rompus aux films célébrant l’élévation, l’ascension, quelques films « de mer » permettent aussi de prendre du recul sur les productions made in montagne. Et à regarder naviguer le marin, on est un peu nous aussi à bord, prêts à larguer les amarres, attirés par des horizons lumineux. Peut-être les effets d’une fin d’hiver long et enneigé, d’envies de printemps, de soleil, d’hommes à la mer. Et tant pis si ça nous dépasse. Les mots de Blaise reviennent : « Iles inoubliables et sans nom. Je lance mes chaussures par-dessus bord car je voudrais bien aller jusqu’à vous ». Gabart rime un peu avec Cendrars.