Escalade : grandes voies dures à Presles avec les nouveaux membres du Groupe Excellence Alpinisme National FFCAM

Hugo Peruzzo, longueur clé de "Vivre ou raconter" nouvelle voie ouverte avec Léo Billon et Pierre Girot FFCAM GEAN ©Jocelyn Chavy / FFCAM

Prenez une huitaine de grimpeurs, grimpeuses, alpinistes, sélectionnés pour faire partie du Groupe Excellence Alpinisme National de la FFCAM. Point commun : un niveau (très) élevé. Avec, pour la plupart, une grande expérience. Mais surtout : l’envie commune de progresser encore, de vivre des aventures verticales, avec le privilège d’être entraînés sous la houlette de coachs capés. Direction le Vercors, et Presles, pour une immersion avec la nouvelle promo du GEAN : trois escalades libérées, et une nouvelle voie. Point commun : pitons, coinceurs, grandes envolées du 7b+ au 8b. Si, si.

Le portaledge a un joli trou depuis la veille mais ce n’est pas grave. Les trois compères n’ont pas passé la nuit dessus, comme l’une des autres cordées du GEAN encordées dans ce mur de Presles. Suspendus à l’avant-dernier relais, Léo Billon et Pierre Girot encouragent Hugo Peruzzo qui tente, le premier, de libérer cette longueur déversante.

Un grand surplomb blanc barré d’un petit toit, puis un pilier gris compact qui vient à bout des bras d’Hugo : une longueur plein gaz, sans vrai repos. Et sans spits : Pierre l’a ouverte la veille, en usant de toutes les techniques d’escalade artificielle. Pitons, coinceurs, et même couplage de bird beaks, ces petits pitons importés du Yosemite : une paire d’heures, ou plus, pour en venir à bout.

Jérôme Sullivan dans la très belle troisième longueur du Toit des Lyonnais, en libre cette fois. ©Jocelyn Chavy

Le jeu consiste non seulement à répéter, ou ici, ouvrir une grande voie, mais à la réaliser en libre

Ensuite ? Le jeu consiste non seulement à répéter, ou ici, ouvrir une grande voie, mais à la réaliser en libre. Du premier coup si possible. Après nettoyage et équipement, sur pitons et coinceurs uniquement, après travail, la journée qui suit. À ce rythme la cordée de Léo, Hugo et Pierre ont ouvert une dizaine de longueurs en quatre jours. In situ ne restent que certains relais, sur spits, et encore, pas tous !

Hugo Peruzzo enchaîne une longueur en 7ème degré en libre après son ouverture en artif ©JC

Ce jeu de l’escalade par nature aventureuse est celui promu au GEAN : le Groupe Excellence Alpinisme National est l’équipe de jeunes alpinistes haut niveau de la FFCAM. Mais aussi et surtout une porte vers le haut niveau en France. On ne compte plus les alpinistes parmi les plus pointus qui sont passés par ces équipes : d’ailleurs, parmi les encadrants de ce stage à Presles se retrouvent Léo Billon et Matthieu Detrie, passés tous deux par là. Faire des voies anciennes, ou nouvelles, en escalade artificielle, est un jeu très exigeant. Il nécessite de passer par toutes les techniques disponibles en terrain d’aventure, et un très bon, voire excellent niveau en escalade.

Faire des voies anciennes, ou nouvelles, en escalade artificielle, est un jeu très exigeant

Après un stage au Verdon où ils ont expérimentés les joies du pitonnage dans les dévers de la paroi Rouge, les membres du GEAN se retrouvent dans le Vercors drômois, à Rochefort-Samson pour un décrassage entre les gouttes. Les voies sont courtes mais exigeantes : le 7 à vue n’est pas donné, même pour des grimpeurs de niveau 8a et pour certains, largement au-delà.

Kilian Moni dans une cheminée old school à Rochefort-Samson ©JC

Laëtitia Chomette à Rochefort-Samson ©JC

Presles for ever ?

Presles, c’est l’idée de Léo Billon, le coach, validée par le responsable du groupe, Stéphane Benoist. Des kilomètres de falaises à portée de main – ou de piton. Le lendemain, les cordées se forment à Presles, versant isérois, sur le parking des grottes de Choranche, dont le propriétaire a récemment accepté de voir revenir les grimpeurs – merci à lui.

Le secteur visé, à droite de Télébus, est un concentré de difficultés : des légers dévers en rocher rouge à la qualité (très) variable, des grandes envolées dans du rocher blanc ou gris compact, et barrées au milieu de quelques gros toits, dont le fameux Toit des Lyonnais. Avec sa dizaine de mètres d’avancée, ce monument d’artif’ a de quoi impressionner. Esteban Daligault, Yanis Cherquaoui et leur coach le guide Jérôme Sullivan s’y lancent avec l’idée, pour le moins ambitieuse, de libérer la voie.

Après une journée et demi à fixer les premières longueurs, dont le magnifique dièdre de la troisième longueur – réalisé en libre, le trio est au pied du toit, monstrueux vu d’en bas. Jérôme s’y colle, et bataille pour en venir à bout.

Laëtitia Chomette dans l’A3 de Plombs Surplombs ©JC

Pendant ce temps, les autres cordées n’ont pas perdu leur temps. Hugo et Pierre, sur une idée de Léo, ont démarré un « chantier » plus à gauche : comprenez une ouverture. Après deux longueurs faciles les difficultés montent : il faut grimper en artif puis retenter, une fois un équipement correct en place, et les mouvements repérés, en escalade libre.

Les deux femmes de l’équipe font cordée avec Enzo Oddo, guide et coach. Laëtitia Chomette et Sophie Jacob ont jeté leur dévolu sur une voie d’artif « récente », Plombs Surplombs, ouverte par le maître Arnaud Guillaume. Après deux longueurs assez cool, Laëtitia et Sophie enchaînent de longues heures de pitonnage délicat pour progresser dans les plus gros dévers du secteur. Le trio choisira de dormir sur portaledge et viendra à bout de la voie en quatre jours ! Avec des longueurs qui une fois refaites en libre vont jusqu’au 7c.

 

Le trio Detrie, Moni et Poindefert libère sa voie en une grande journée

À l’opposé et dans un style plus équipé, la cordée composée d’Arthur Poindefert, Kilian Moni et coachée par Mat Detrie : partie pour deux jours d’aventure pour gravir et libérer la voie Scatologue ordurier, elle carbure si bien que toute la voie est avalée en une seule journée ! Chaque longueur est libérée, avec un verdict de 7b+ et un équipement d’époque à compléter. Le lendemain, probablement fatigués de la veille, ce sera l’errance dans une autre voie d’artif avant qu’ils ne doivent plier bagage. « On reviendra, il reste plein de voies à libérer dans le Vercors ! » dit Mat, bien motivé par le restylage de voies anciennes initié par Léo Billon – on y reviendra.

Mat Detrie, Kilian Moni et Arthur Poindefert, le trio qui a libéré le Scatologue, à Presles. ©JC

La cordée Hugo, Léo, Pierre, à l’ouverture à Presles. ©JC

Ce mercredi 21 mai va pourtant être une date clé dans l’histoire de Presles, mais oui, une histoire forte de centaines de voies sur des kilomètres de paroi ! Le Toit des Lyonnais voit pour la première fois un grimpeur tenter en libre ce plafond rébarbatif, presque horizontal, perché plus d’une centaine de mètres du sol.

Esteban Daligault a de la marge et il en faut pour se battre sur des pitons d’époque et des camalots dans cette fissure qui barre le toit. Il en viendra pourtant à bout, annonçant la cotation de 8b ! La preuve qu’Esteban, qui a à son actif la répétition de  BASE en face ouest des Drus en hiver et un niveau atteignant le neuvième degré, a réussi à exploiter ses capacités malgré un gaz ébouriffant (et des pitons d’époque).

Esteban Daligault libère le Toit des Lyonnais ! En caleçon, pour être plus léger. Verdict : 8b. ©Jocelyn Chavy

C’est l’objectif du GEAN : grimper sur des terrains non aseptisés, si possible en libre, gérer le risque. Mais dans cette nouvelle promotion du GEAN le niveau est déjà passablement relevé : des sélections (jusqu’à 8a), du dry tooling, et d’autres exercices avaient permis de sélectionner neuf membres parmi des dizaines de candidats.

Parmi les heureux élus figurent deux femmes : Isis Millerioux (absente pour blessure), Sophie Jacob, Laëtitia Chomette. Qui vient juste d’ouvrir, avec deux de ses compagnons du GEAN, une jolie goulotte en Oisans la veille du stage !

« C’est justement ça qui est chouette » explique Laetitia, « avoir des compagnons motivés et disponibles au pied levé pour des projets en montagne ». Et pas forcément, pendant des stages ou lors de l’expédition qui clôt les deux années de formation. D’ailleurs, Laëtitia, comme Arthur, est déjà aspirant-guide de haute montagne, tandis que d’autres vont passer le probatoire sous peu.

Simon Gietl dans la partie inférieure de la voie Messner/Holzer, le premier jour. Neige plaquée et peu de protection.
©Coll. Gietl/Wohlleben/Hinterberger

En l’occurence, un coup de fil plus tard à Kilian Moni et Pierre Girot, et le trio partait pour ouvrir Sous l’oeil d’Adèle, en face nord de la pointe Louise. Deux jours plus tard, Laëtitia plante des clous dans les longueurs exigeantes de Plombs Surplombs avec Sophie et Enzo. Et sans mentir, on peut affirmer que la cotation A3 d’Arnaud Guillaume a très bien vieilli !

Pour Kilian Moni, la voie réalisée à Presles n’était pas prévue, mais en deux jours sur le papier c’était le challenge, avec quatre ou cinq longueurs (soit un peu moins de la moitié) en A1 ou A2, « le topo était faux, il fallait être inspiré. Par contre pas mal de pitons étaient en place et on n’a pas eu besoin d’en rajouter, seulement des coinceurs ».

le GEAN c’est un groupe qui m’a toujours fait rêver. Kilian Moni

C’est le même processus : « le premier fait un run à vue en essayant de libérer la longueur. Il réussit, ou tombe, puis prépare le terrain, nettoie les prises et place des coinceurs nécessaires, monte au relais, puis redescend avant de remonter tenter l’escalade en libre.» explique Arthur Poindefert. Dans les faits, ce sont des « team free ascent » où seulement au moins un membre de la cordée fait l’escalade en libre et pas forcément tous, mais là « on avait un peu de temps donc on a tous refait cette quatrième longueur clé en libre ».

Kilian Moni ajoute : « le GEAN c’est un groupe qui m’a toujours fait rêver. Pierrick Fine, un ami qui est passé par le groupe m’en a parlé et m’a motivé pour y aller ». Le gros plus « on est tous très soudés, on a rencontrés des personnes qu’on ne connaissait pas forcément mais on se retrouve dans un groupe de mutants avec qui grimper. Le weekend dernier je n’avais jamais grimpé avec Pierrot ou Laëtitia et ça a super bien marché ».

Sophie Jacob dans Plombs Sur Plombs, un dévers énorme. ©Jocelyn Chavy

Le GEAN, en bref

Le GEAN ? Un groupe performant avec des coachs pointus, pour progresser encore plus. « Oui, il s’agit de prendre de l’expérience des coachs pour gagner en autonomie et aller vers des voies de haut niveau ou très engagées » renchérit Arthur Poindefert. Qui résume son projet au GEAN : « aller chercher le dépassement de soi en haute montagne, et toucher du doigt cet aspect limite qu’on titille entre le haut niveau, l’altitude, etc. C’est à la fois se réveiller dans son niveau et se référer à des gens qui ont une expérience de dingue ! » s’enthousiasme Arthur.

Léo Billon, qui est passé par le GEAN il y a dix ans, a mis en application sa démarche en libérant des grandes voies d’artif au Glandasse (Vercors) avec Sébastien Ratel, ex-GMHM (dont fait toujours partie Léo). À l’époque, se souvient Léo, « cela m’a fait clairement progresser et m’a ouvert le champ des possibles en alpinisme, notamment en grimpe en libre et en dry. J’ai alors commencé à m’intéresser à des parois qui me semblaient inaccessibles » explique-t-il.

Le GEAN ? Pour aller chercher le dépassement de soi en haute montagne. Arthur Poindefert

C’est pour partager son expérience que Léo souhaitait amener les recrues du GEAN sur les falaises de Presles : « grimper sur des parois calcaires raides et aux difficultés élevées, mais sans les facteurs que l’on trouve sur les faces alpines permet d’apprendre à gagner en efficacité. Une expérience qui contribuera à amener ces jeunes alpinistes déjà solides vers l’alpinisme de haut niveau. »

Pierre Girot assure Hugo à l’ouverture de la dernière longueur de Vivre ou raconter ? ©JC

Premier essai de Léo dans l’avant-dernière longueur de Vivre ou raconter, 8b sur pitons plantés la veille. ©JC

Léo Billon, lors de l’enchaînement de la longueur-clé de Vivre ou raconter, 8b, à Presles. ©Jocelyn Chavy

Démonstration faite avec la nouvelle voie ouverte par la cordée de Léo, Hugo et Pierre. Chacun va  tour à tour se casser les dents sur cette avant-dernière longueur, protégée de quelques pitons, bird beaks et coinceurs. Il faut sortir, ou finir, avant, peut-être, de mettre un nouvel essai.

Perchés avec Léo dans une baume de calcaire sous le sommet, nous voici voyant Hugo se lancer dans la dernière longueur, le baudrier lesté du marteau, de quelques pitons et d’un bon jeu de coinceurs, assuré par Pierre. De l’alpinisme, du trad ? De l’escalade, en un mot. En une vingtaine de minutes Hugo Peruzzo enlève le morceau sur du beau rocher gris, grâce à de bons emplacements pour friends. Mais un pas lui a résisté à vue, l’obligeant à se reposer sur un point. À peine redescendu au relais, il repart pour enchaîner proprement cette jolie longueur.

Hugo Peruzzo ouvre la dernière longueur. ©JC

Le sourire de Léo après son enchaînement in extremis de l’avant-dernière longueur en 8b de Vivre ou raconter ? ©JC

Les cris d’encouragement d’Hugo et Pierre propulsent Léo à travers les crux

Il ne reste plus à qu’à enchaîner l’avant-dernière longueur. Ce qui veut dire : redescendre plein gaz, et tenter cette seule longueur pas encore gravie en libre. C’est Léo qui s’y colle. Les nuages menacent, il n’y aura pas dix essais. Les cris d’encouragement propulsent Léo à travers les crux, en priant pour qu’une prise clé ne casse pas. Une dizaine de minutes plus tard, il a réussi.

Verdict : 8b, pour une nouvelle voie de Presles qui fait partie des rares à ce niveau (avec la voie du Renouvellement des mites, libérée par Léo auparavant) à proposer des longueurs en 7 et une en 8 sans aucun spit. Vivre ou raconter ? C’est le nom de leur nouvelle voie, et sans doute un choix vite fait pour ces grimpeurs (très) doués.