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30 ans de Piolets d’Or : la face nord du Thalay Sagar d’Athol Whimp et Andrew Lindblade

Les plus beaux exploits de l'alpinisme moderne 2/5

Depuis 1992, chaque année, les Piolets d’Or récompensent les alpinistes auteurs d’ascensions remarquables. Dans moins d’une semaine auront lieu les Piolets d’Or 2021 à Briançon, cérémonie qui marque les 30 ans de ces Oscars de l’alpinisme. À cette occasion, les éditions du Mont-Blanc rassemblent dans un livre exceptionnel signé par Claude Gardien et David Chambre tous les Piolets d’Or, mais aussi l’ensemble des plus grandes ascensions de ces 30 dernières années. Deuxième extrait de ce livre, le Piolet d’Or 1999 : la face nord du Thalay Sagar, l’une des plus redoutables de l’Himalaya indien, une ascension emblématique du haut niveau en style alpin.

«Fin février 2012, c’est le plein été austral dans le parc national de Fiordland, au sud de la Nouvelle-Zélande. On apprend qu’un grimpeur a fait une chute mortelle de plus de 800 mètres dans le massif des Darran, non loin du vaste col Homer Saddle, dans une voie de difficulté modérée. «C’était du terrain facile, pas un endroit où des grimpeurs s’encorderaient, mais très exposé, donc les consé- quences d’une glissade étaient fatales », déclara son compagnon. À peine âgé de cinquante ans, ainsi disparaît Athol Whimp, figure majeure de l’alpinisme néo-zélandais et, à ce jour, unique récipiendaire kiwi d’un Piolet d’Or.

La face nord du Thalay Sagar, en Inde, par Athol Wimp et Andrew Lindblade, Piolet d’Or 1999. ©Rob Frost / éditions du Mont-Blanc

Piolet d’Or 1999

Né à Christchurch, principale ville de l’île du Sud, Athol fut dès son plus jeune âge imprégné des leçons de la nature sauvage des montagnes environnantes. Après une carrière militaire réussie dans le Special Air Service néo-zélandais et un passage en tant que conseiller dans une unité de reconnaissance du désert à Oman, il se passionne pour l’escalade, vivant plusieurs années en Australie et fréquentant assidûment les Arapiles et les Grampians, jusqu’à atteindre un fort niveau en libre – 30 sur l’échelle de cotation australienne, soit l’équi- valent de notre 8a+. Alors inconnu du grand public, il réalise en 1994 la deuxième ascension solitaire du Cerro Torre (après celle de l’Italien Marco Pedrini en 1985) et trouve en l’Australien Andrew Lindblade un compagnon parfait pour s’attaquer aux plus grandes parois.

Depuis Edmund Hillary, premier ascensionniste du toit du globe en 1953, le monde entier sait que l’alpinisme existe aussi aux antipodes. En cette fin de millénaire, ce sont donc pour la première fois un Néo-Zélandais et un Australien qui sont récompensés ; les deux amis reçoivent le Piolet d’Or pour une première directe en face nord du Thalay Sagar (6 904 m), effectuée à l’automne 1997.

Sur le Thalay. ©Lindblade-Whimp / éd. du Mont-Blanc.

Le Thalay Sagar

Le Thalay Sagar est une montagne du Garhwal, un massif indien situé dans l’ouest de l’Himalaya. En dépit de son altitude « modérée », le Thalay a toujours attiré l’œil des alpinistes de par son profil élancé, les arêtes entourant sa face nord se déployant comme les ailes d’un avion de chasse. Et son sommet effilé n’a rien à envier à celui de son voisin le Shivling ou celui de l’iconique Cervin. La difficulté présentée par sa raideur a empêché toute tentative sérieuse avant la fin des années 1970, lorsque l’escalade moderne commença à être pratiquée en haute altitude. Fait inhabituel pour un sommet aussi difficile, la première tentative fut couronnée de succès. Il fut gravi pour la première fois le 24 juin 1979, via le couloir et l’arête nord-ouest, par une équipe anglo- américaine composée de Roy Kligfield, John Thackray et Pete Thexton.
Depuis, de nombreuses autres voies furent tracées, dont certaines emblématiques de l’évolution de l’alpinisme de pointe. C’est évidemment la partie centrale de la face nord, avec une bande schisteuse caractéristique sous le sommet, présentant un rocher pourri et dangereux, qui attira les plus audacieux. Dès 1983, le Groupe militaire de haute montagne, fleuron de l’armée française, s’attaque à la face sous la houlette de son commandant, Jean- Claude Marmier. Ils renonceront à moins de 500 mètres (…)

Ambiance face nord

Dès l’après-mousson de 1997, Whimp et Lindblade découvrent le Thalay Sagar et tentent une ouverture sur le côté droit de la face nord. Des tempêtes constantes et un froid intense contrarient leurs efforts et ils ne peuvent dépasser 6 100 mètres d’altitude. Mais la beauté de la montagne et l’intérêt de la face les motivent à y retourner l’année suivante.

Attaquant la face le 13 septembre par les champs de glace qui mènent au couloir central, il leur faudra cinq jours d’ascension continue avec une météo capricieuse et deux jours de descente pour boucler une semaine intense. Grimpant en style capsule jusqu’à 6 500 mètres, ils y installent une dernière fois leur portaledge, le fixant en tout et pour tout sur deux broches à glace, et équipent un peu au-dessus en espérant se frayer une voie vers le sommet à travers la bande de schistes. Le lendemain matin, ils remontent la corde fixe. Whimp part en tête, effectuant les premiers mouvements avec
ses pieds sur le granite solide et ses mains sur le schiste qui se délite. Il se rend compte qu’il va devoir croiser au moins deux couloirs très raides avant d’atteindre la ligne directe jusqu’à l’arête sommitale. Après avoir négocié des passages difficiles dans du terrain instable avec des protections aléatoires, le tirage de la corde l’oblige à installer un relais.

Lindblade se remémore: «Je commençais la lente remontée aux jumars sous un ciel sans nuages, mes tremblements réchauffant doucement mon corps. La température avoisinait les – 20 °C. Même avec les chaufferettes que nous utilisions dans nos gants et nos chaussures, nous étions toujours transis de froid. Athol s’engage dans un passage délicat, dry tooling sur du rocher incertain. Il prend un bloc pourri en inversée, ce qui lui permet d’aller chercher plus haut avec l’autre main, avant de réussir à coincer ses deux piolets. C’est avec soulagement que je l’entends crier “vaché”. Il vient de vaincre les cent mètres du dièdre terminal en une seule longueur ! »

Remontant rapidement au jumar, Lindblade remarque que la gaine de la corde est usée jusqu’à l’âme. Whimp repart, négociant le passage final dans une cheminée. Les deux grimpeurs atteignent enfin les champs de neige sommitaux. La neige tombe, éparse, tourbillonnant autour d’eux: « Le monde disparut derrière nous. L’obscurité nous frappa au sommet. Le soleil ressemblait à un œil rougi et sanglant lorsqu’il se coucha entre les averses de neige. »
(…)

Le livre Piolets d’Or

Préfacé par Victor Saunders, édité par Catherine Destivelle aux éditions du Mont-Blanc, le livre Piolets d’Or est sans doute le seul ouvrage rassemblant l’histoire de l’alpinisme moderne.

Sur les 30 derrnières années, le livre signé de David Chambre et Claude Gardien réunit toutes les ascensions remarquables, tous les exploits de ces trente dernières années, car les auteurs ont choisi d’ajouter aux Piolets d’Or officiels les « piolets d’or oubliés ».

Doté d’une iconographie exceptionnelle, avec les tracés des itinéraires des Piolets d’Or, ce livre unique qui vient de paraître est disponible en librairies et ici. 350 p, 45 €.

Lire l’épisode précédent : 

Le Kangchenjunga des slovènes, Piolet d’Or 1992