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Le tour du mont Blanc à VTT

© Pascal Gaudin

Le Tour du Mont Blanc agit comme un aimant pour de nombreux trekkeurs et vététistes venus du monde entier. Les marmottes entendent parler tant de langues qu’elles en perdent leur latin ! Elles découvrent aussi parfois des langues connues avec des accents chantant, tel que ce fût le cas avec un groupe de béarnais tout droit venus du sud-ouest pour en découdre avec le tour du toit de l’Europe à VTT. Voici le récit de leur premier raid alpin… vu par leur moniteur VTT, Pascal Gaudin.

Comme souvent, le tour commence à « Cham », village de montagne reculé devenu station touristique foisonnante. Au fil des siècles, la rude vie agricole en quasi-autarcie a laissé la place à l’accueil des touristes qui, attirés par la montagne, sont apparus dès le XVIIIème siècle. La Mer de glace entamait sa carrière de star tandis que les alpinistes levaient déjà la tête vers le sommet du Mont-Blanc qu’ils atteindront pour la première fois en 1786. Depuis, beaucoup d’eau a coulé dans les torrents et on envisage maintenant de passer des cols d’altitude à … vélo !

Dès nos premiers tours de pédale dans la vallée de l’Arve, le recul des glaciers est au centre des conversations en observant les roches à découvert et polies qui étaient jadis, mais il n’y a malheureusement pas si longtemps, recouvertes par la glace. Pas de quoi mettre à mal la bonne humeur de notre groupe de béarnais qui, à la hauteur de leur réputation, rient et chambrent à tout va.

Mis à part Jef, le doyen du groupe sexagénaire, tous ont environ 35 ans. Ils se lancent dans leur premier raid VTT de montagne en le considérant, à juste titre, comme un véritable challenge. Dès les premiers échanges à propos de ce qui nous attend, je leur explique qu’ici, on ne parle plus en kilomètres mais en dénivelé et qu’on estime son avancée en dénivelé/heure. Nouveaux repères pour un nouveau monde.

VTT tour mont blanc

Un début de trip autour du mont Blanc ©Pascal Gaudin

Premier panorama exceptionnel de notre tour :
le massif du Mont-Blanc, les Aiguilles rouges, la dent de Morcles
et les innombrables sommets qui dominent le lac d’Émosson

L’ambiance est à la déconne, mais je les sens tout de même concentrés, avec un poil d’appréhension… Il faut dire que lorsque qu’on se retrouve encerclé de sommets dans la vallée de Chamonix, on se demande bien comment on va pouvoir sortir de là avec un VTT !

Traversant de nombreuses forêts de sapins et d’épicéas, nous rallions les hameaux de la vallée en prenant bien soin de passer dans leur centre historique qui témoigne de la vie d’antan. Depuis le hameau du Tour, deux remontées mécaniques nous propulsent au col de Balme, à la frontière suisse. Une belle montée sur « single tracks », ces fameux sentiers monotraces dont raffolent les vététistes expérimentés, nous permet d’atteindre le col de la Croix de fer.

Premier panorama exceptionnel de notre tour : le massif du Mont-Blanc, les Aiguilles rouges, la dent de Morcles et les innombrables sommets qui dominent le lac d’Émosson. Quel spectacle ! La descente sur Trient est un petit bijou. Un bonheur équivalent à celui d’un grand champ de poudreuse vierge pour les skieurs… Le sentier serpente dans les alpages parsemés de rhododendrons et de mélèzes avant d’entrer dans une forêt dense de résineux. Les épingles s’enchaînent à merveille mais gare aux racines !

Le portage fait partie du jeu sur ce TMB en VTT © Pascal Gaudin

Descente sur Emosson © Pascal Gaudin

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Ambiance helvète © Pascal Gaudin

il faudra environ une heure avec de nombreux poussages et portages
pour atteindre le col salvateur de POrtalo 

Nous voilà au village encaissé de Trient qui a donné son nom au glacier qui le domine. À la fin du XIXème siècle, la glace était extraite du glacier puis acheminée au col de la Forclaz par des canaux appelés « bisses » et des wagonnets. Des chars tirés par des chevaux descendaient ensuite la glace à Martigny avant qu’elle parte vers des grandes villes suisses et françaises, et notamment Paris.

Pour notre part, c’est vers les alpages de Bovine que nous nous lançons depuis le col de la Forclaz. Trompé par mes souvenirs, j’annonce vingt à trente minutes d’une montée « tonique » aux béarnais. Il faudra en réalité environ une heure avec de nombreux poussages et portages pour atteindre le col salvateur de Portalo (2049m). Je n’ai pas fini de me faire « toniquement » chambrer à ce sujet !

Les vaches Hérens restent impassibles devant cette scène. Cette race bovine suisse est originaire du val d’Hérens, une vallée toute proche. Courtes sur pattes, musclées et de couleur noire, on peut les trouver jusqu’à 3000 mètres d’altitude. Naturellement, les dominantes combattent pour devenir la reine du troupeau. Un naturel bagarreur dont l’humain s’est emparé pour organiser des « combats de reines » très populaires dans les Alpes suisses.

 En traversant des torrents et des couloirs d’éboulis
par de courts portages,
on ressent toute la puissance de la montagne

À propos de bataille, la descente qui nous attend n’est pas en reste. Sans doute la plus technique et exigeante de notre tour : blocs rocheux, marches, racines, épingles, tout y passe ! Le « mountain bike » n’a jamais aussi bien porté son nom et les béarnais réalisent à quelle sauce ils vont être mangés. En traversant des torrents et des couloirs d’éboulis par de courts portages, on ressent toute la puissance de la montagne en imaginant les débâcles occasionnelles qui doivent s’abattre sur ces lieux.

Des single tracks parfois techniques. © Pascal Gaudin

Après cette section bien rock’n roll, place à la musique folklorique helvète ! Nous voilà plongés dans un paysage de carte postale des Alpes suisses : des chalets bien apprêtés, des tas de bois rangés au cordeau, des jardins soigneusement entretenus, le tout au milieu de pâturages et de forêts de résineux qui semblent presque trop parfaits pour être vrais.

Un peu plus loin, des hôtels construits à la fin du XIXème siècle se reflètent dans les eaux du lac de Champex, montrant que ces paysages séduisent depuis bien longtemps. Avec le Grand Combin (4 314m) en toile de fond, nous nous lançons dans une belle descente qui virevolte entre les sapins et les épicéas. Canicule oblige, la terre habituellement souple et « grippante » est devenue sèche et glissante. Il ne fait pas bon être dans les derniers de la file avec le nuage de poussière soulevé. Du jamais vu dans les Alpes du nord !

 le single track montant est aussi âpre
que les faces sont raides et minérales

Nous atteignons le bucolique Val Ferret et son torrent qui serpente au milieu de pâturages parsemés de chalets au bois doré par le soleil. Le dernier round de la journée fait grincer les valeureux béarnais. Au pied du Mont Dolent et de ses satellites, le single track montant est aussi âpre que les faces sont raides et minérales.

Le village de La Fouly est salvateur, synonyme de repos et de repas réconfortant. Le briefing de la journée du lendemain fait froncer les sourcils. Comme souvent dans l’Alpe, le profil est très binaire : une montée, une descente, un pique-nique, une montée, une descente, dodo ! La deuxième journée a commencé à entamer psychiquement les troupes et le dénivelé annoncé fait frémir.

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L’église de Trient, dans le val Ferret suisse, sous la pointe d’Orny © Pascal Gaudin

Grand ciel bleu ce matin. C’est une chance. Réveil tout en douceur le long du torrent, bercés par la mélodie des cloches des vaches. Après un passage frisquet sur une passerelle en bois, la longue ascension du Grand col Ferret peut commencer. La piste en épingle serpente au milieu des aulnes qui poussent dans des zones trop raides pour être pâturées. Nous atteignons La Peule, un chalet d’alpage qui témoigne de l’éloignement et de l’isolement de certaines estives. On imagine ce que pouvait être la vie ici avant que les véhicules à moteur n’apparaissent.

Nous progressons ensuite dans un océan de pâturages par un sentier franchissable « à la pédale », à condition d’avoir le cœur bien accroché et les jambes affûtées.  Cette section de fractionné naturel fait monter haut dans les tours et laissera des traces sur les organismes.

Le panorama qui s’ouvre au col est à la hauteur des efforts accomplis

Une fois de plus, le panorama qui s’ouvre soudainement depuis le col est à la hauteur des efforts accomplis : la somptueuse dentelle rocheuse du Mont Dolent et des aiguilles de Triolet et de Talèfre se découpe sur le ciel.

Leurs glaciers, ou du moins ce qu’il en reste, dominent de grandes dalles brillantes qui dévalent sur plusieurs centaines de mètres de dénivelé. Tandis que les torrents issus de la fonte des glaces brillent de mille feux, des volutes de nuages s’accrochent aux parois et aux arêtes dans un élégant ballet hypnotique.

Mais il faut reprendre ses esprits avant de se lancer dans la descente qui va nous mener au fond de l’étroit Val Ferret italien. Pour la première fois, il va nous falloir composer avec la fréquentation des lieux. L’enjeu est de déranger le moins possible les marcheurs et de trouver le bon créneau pour pouvoir rouler avec fluidité.

La cohabitation entre randonneurs et vététistes est un sujet sensible qu’il ne faut pas prendre à la légère. Dans 99% des cas, la relation est sympathique et détendue, mais elle est parfois tendue avec certains marcheurs qui estiment que les VTT n’ont rien à faire sur les sentiers de montagne. Il est important de prendre le temps de dialoguer lorsque ce genre de cas se présente. Les arguments ne manquent pas pour expliquer que la cohabitation peut très bien se passer si le respect est mutuel. Pour avoir voyagé dans de nombreux pays du monde à travers mon métier de guide VTT, j’ai pu constater que d’une culture à l’autre, les tensions à ce sujet peuvent être nombreuses ou inexistantes.

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Du VTT version grands espaces, dans le val Ferret italien. © Pascal Gaudin

La cohabitation entre randonneurs et vététistes est un sujet sensible qu’il ne faut pas prendre à la légère

La première partie de la descente est exigeante avec des sections rocheuses très techniques. À mi-pente, nous faisons un stop énergétique en nous délectant d’un onctueux « ciocollato caldo » (chocolat chaud) au refuge Elena. La suite est du pur bonheur avec une section « flowy », synonyme de fluidité et de jeu pour les grands enfants que nous sommes.

Le vélo est l’engin idéal pour descendre le Val Ferret et son long faux-plat descendant. Au-dessus de nos têtes, 2500 mètres plus haut, les Grandes Jorasses et la dent du Requin défilent. Nous passons au pied de l’entrée du tunnel du Mont Blanc, apercevons Courmayeur, et remontons le gigantesque cône d’éboulis du glacier de la Brenva. On se sent une fois de plus bien petits.

La montée jusqu’à notre nid d’aigle du col Chécrouit est pour beaucoup un chemin de croix. La pente terminale n’a sans doute jamais entendu autant de noms d’oiseaux venus du sud-ouest ! Avec l’arrivée des belle lumières orangées de la fin de journée, le temps semble se suspendre. Au loin vers le sud, le massif du Grand Paradis. Tout proche, plein nord, les contreforts du Mont Blanc et sa mythique Aiguille noire de Peuterey, austère et glaçante…

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Face au mont Blanc versant italien, l’arête du Brouillard à gauche, l’Innominata au centre, et Peuterey à droite. © Pascal Gaudin

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Montée au col de la Seigne, avec les Pyramides calcaires à droite. © Pascal Gaudin

Le lendemain matin, nous avons le droit à l’un des plus beaux panoramas du massif du Mont Blanc : depuis notre (exigeant !) sentier en balcon montant, nous contemplons les sommets qui défilent de l’autre côté de la vallée. À VTT, il est rare de se sentir si proche du monde glaciaire et minéral de la haute montagne. Les aiguilles de Tré-la-tête et les contreforts sud du Mont-Blanc jouent à cache-cache avec les brumes, nous réservant sans cesse des surprises qui font un peu oublier à la troupe l’exigence de l’effort.

Sous nos pieds, la majestueuse vallée glaciaire du Val Vény apparaît, nous invitant à une belle descente tournicotante au milieu des alpages roussis par le froid et le soleil. Dans un nouveau paysage de carte postale, le glacier de Miage et ses satellites rocheux se reflètent dans les eaux du lac de Combal, nous offrant l’un des rares plats du tour du Mont Blanc.

Le calme avant la tempête puisque l’un des plus longs portages nous attend avec l’ascension finale du col de la Seigne (2516m). Un passage clé historique entre l’Italie et la France qui me rappelle mon oncle : après ses dures journées de labeur en tant que maçon sur le chantier de construction du barrage de Roselend, il faisait de la contrebande de cigarettes entre Les Chapieux et Courmayeur pour arrondir ses fins de mois. Sans doute appréciait-il bien moins la beauté des paysages.

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Retour en France, dans la vallée des Glaciers, avec l’Aiguille du même nom en toile de fond. © Pascal Gaudin

Jouant à saute-mouton avec les reliefs,
nous rallions les lacs de Roselend et de la Gittaz

Un dernier regard émerveillé vers la kyrielle de sommets acérés du versant italien du Monte Bianco, et nous nous lançons dans une descente fluide sous l’œil de la pyramide rocheuse et la langue glaciaire de l’Aiguille des glaciers. Nous voilà dans le Beaufortain, pays du célèbre fromage Beaufort. Les pistes qui servent à la collecte du lait permettent de prendre de l’altitude en douceur et ses innombrables sentiers de randonnée ravissent les vététistes avides de descentes techniques et joueuses. Un petit paradis du VTT alpin.

Jouant à saute-mouton avec les reliefs, nous rallions les lacs de Roselend et de la Gittaz avant d’atteindre notre gîte lové dans une petite vallée idyllique. Un concerto de cloches émane des troupeaux de tarines, ces élégantes vaches dont les yeux séducteurs semblent entourés de khôl.

La longue montée en lacets qui nous attend le lendemain est au centre des discussions béarnaises. Les jambes deviennent raides et la fatigue générale s’installe avec l’enchaînement des journées. Dans la difficulté, le groupe est d’autant plus soudé et solidaire. Chacun sent qu’il est en train de vivre des moments inoubliables, humainement et sportivement.

VTT tour mont blanc

© Pascal Gaudin

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Versant Contamines, sous l’oeil de Bionnassay. © Pascal Gaudin

Le sauvage col des Enclaves est l’une des dernières longues ascensions de notre tour. Il offre une très belle vue sur les Aravis et les Bauges, puis une croupe herbeuse où un sentier discret serpente entre des gouilles et des rhododendrons au rose étincelant. En débouchant au col du Joly, nous prenons une véritable claque en voyant la face ouest du massif du Mont Blanc.

Le spectacle est grandiose. Un mélange de glaciers, dômes enneigés, faces rocheuses, arêtes effilées et cônes d’éboulis dont nous profitons en pique-niquant, puis siestant, au lac de Roselette. La descente sur Les Contamines semble interminable, comme en témoigne l’odeur qui se dégage des freins qui chauffent !

Comme un symbole, le col de Voza, ultime col de notre raid alpin, vend chèrement sa peau avec des pentes qui ne laissent aucun répit. La vallée de Cham est en vue, synonyme de soulagement et d’accomplissement pour cette joyeuse bande de béarnais.