Radar à champions, veilleur de VO2, détecteur de métaux rares. Impulseur de vocation : les ricains appellent ça un scout. Laurent Ardito est 10 fois plus, mais repérer, ça oui. Il sait. D’un Thévenard à une Sissi Cussot, jusqu’à la construction du Team ASICS, il est l’homme qui a aidé à truster quelques podiums UTWT. Alors quel serait son fil rouge : accompagner ?
E-du-quer. Faire passer d’un petit à un plus grand bain. Et puis rassurer. « T’inquiète, ça ira. Pense à la suite, mais termine d’abord ton 80K du jour ».Les nuits blanches, il connait ; les imprévus, il est rodé. Les caillantes, les larmes à consoler, mais l’explosion de joie toujours sobre. Mr Ardito sait ne point trop la ramener…et sa présence s’en renforce. Des fois, on rêverait presque de décrocher un « ok », voire – chiche – un abrazo. Du vélo au kayak, du Rhône Alpes archi-arpenté au globe-trotting exhaustif, on bosse et on performe. Et de l’éducation Nationale aux podiums UTMB, Laurent Ardito pratique le voyage intersidéral. Alors tout ça, ma petite Dame, c’était trop pour un épisode ‘1-shot’.
Difficile de te classer. Repérage d’athlètes, développement produit, team-building/management…Laurent’2020, que fait-il ?
Laurent Ardito : Mon activité « visible » ? je reste manager d’athlètes, mais je m’occupe désormais de toute l’Europe. Par contre, si le team était « multimarques », je ne travaille plus désormais que pour une seule : ASICS. Nous étions à la fois très pro et très familial. La structure toute récente devient plus souple. On prenait tout en charge : recrutement, training, santé, nutrition, assistance,… bref un accompagnement complet ! Mais c’était devenu trop complexe dans un sport pro, où les contrats démultipliés complexifient tout. Désormais, le TEAM ASICS TRAIL regroupe des athlètes plus indépendants. Moi ? je les détecte, les contractualise et les accompagne…de plus loin. Basta…Mais ? l’essentiel de mon job n’est pas là : je suis plutôt consultant trail au sens large, pour ASICS. Le développement des produits, me prend beaucoup de temps, en équipe internationale. Je travaille aussi sur des évènements de marque comme le TRAIL ELITE FACTORY, une tournée et un programme de recrutement des futurs talents du Trail. C’est un travail intéressant, varié. Il faut observer, interpréter, imaginer, entreprendre… c’est passionnant.
Avec 600 heures par an (et la pêche), malgré mon grand âge, j’assume cette bigorexie.
Ta trajectoire est longue. Depuis l’éducateur sportif, le raideur haut niveau, jusqu’aux nuits blanches d’assistance ultra…
LA : Pour résumer, je « suis » outdoor et pas grand-chose d’autre ! Tout me passionne dans cet univers ; mais avant tout il me faut ma dose journalière vitale : ski, kayak, vélo, trail, montagne, etc. Avec 600 heures par an, malgré mon « grand âge », (et la pêche à la truite !), j’assume cette bigorexie ! Initialement, oui, enseignant et entraineur : BE en Cyclisme/VTT/Kayak, spécialiste de Trail et de Ski Nordique. J’ai d’abord accompagné des athlètes. J’ai aussi organisé pas mal d’évènement outdoor (Raids de la Vallée de l’Ain, ASICS Winter trail, ASICS Beat The Sun, Ultra01XT …).
Assistance et beau linge, d’une Cussot à un Thévenard, nuit de course. ©Albin Durand
J’ai toujours fait le premier pas, et à mon sens c’est fondateur dans la relation.
Le grand virage ?
LA : La rencontre avec ASICS dans les années 2000. J’étais coureur de raid aventure, avec mon épouse Cathy, ASICS sponsorisait un peu notre team. Retraite sportive en 2008, alors que le trail explosait, et ASICS nous demande de penser au développement de l’outdoor. Imagine : on est en 2008 au Marathon de Chamonix : un vrai show Salomon ! C’était les meilleurs, personne ne les challengeaient. Olivier Mignon, mon boss ASICS, était très irrité ! Il me dit :
– « C’est quoi les plus grosses courses du circuit ? »,
– « UTMB et Templiers ».
– « Ok , il nous faut combien de temps pour les gagner ? ».
– « Euh…5 ans » .
– « Ok, alors on y va … »
Tout est parti d’ici : constitution d’un team, recrutement d’athlètes, construction d’un encadrement, développement produits, events… et on a mis 4 ans pour gagner les deux !
Comment se déroule justement ce repérage d’athlète ?
LA : D’abord, je n’ai jamais embauché un athlète qui m’a contacté, malgré les demandes. J’ai toujours fait le premier pas, et à mon sens c’est fondateur dans la relation. Je suis sensible au talent et à l’envie, c’est ce que l’on cherche. ASICS dépasse l’univers Trail, car leader mondial du running. De ce fait, des profils polyvalents – route, montagne, cross, etc – nous intéressent. Ensuite, pour viser la performance en trail, je me base sur deux piliers : la culture outdoor et le niveau athlétique. Les deux sont nécessaires, mais pas suffisants. Pour faire un top athlète, il faut courir vite, avoir une VMA ou VMA ascensionnelle naturelle et très haute, mais aussi ne pas avoir peur la nuit en montagne, sous gros temps. C’est une image, mais si on est très loin de ce tableau, on sait que le chemin sera compliqué.
je les détecte, les contractualise et les accompagne…de plus loin.
Je m’attache aussi au moteur interne de l’athlète : qu’est qui le pousse à agir ? L’argent, la gloire, le mérite social ? Ou la passion de l’activité ? Le mix est l’idéal, mais la base reste une vraie passion outdoor. Regarde toutes ces trajectoires courtes dans le trail, car ils ne sont pas vraiment passionnés par le fait de « courir la montagne ». Enfin, la première étape dans la carrière d’un futur « élite » n’est pas son premier succès, mais son premier « ratage » ressenti (défaite, blessure…). Si tout s’arrête là, parce qu’il n’a pas les ressources internes, tu pourras tout tenter, il ne passera jamais le cap de l’exception, du très bon. C’est le cas le plus courant. S’il lutte et revient plus fort, alors là, il y a quelque chose ! Le haut niveau, c’est surtout gérer des problèmes.
Cathy et Laurent – canal historique, avec Sissi Cussot-droïde. ©coll. Laurent Ardito
Tom LORBLANCHET reMporte son 3e Templiers
A l’arrivée, on s’est juste regardés.
Respect et reconnaissance mutuelle.
Comment réussir à sélectionner des moments plus forts que d’autres, dans ton chemin
LA : Dur ! Les grandes victoires UTWT ont compté évidemment. Mais une collaboration m’a vraiment marquée : le bout de chemin avec Tom Lorblanchet. Il était en fin de parcours avec Salomon et voulait relancer sa fin de carrière. Il est arrivé blessé, s’est fait opérer, puis belle entorse à sa reprise…C’était en 2013, et là-dessus, Xavier gagne son premier UTMB. Encore un peu de pression indirecte sur Thomas. Bref, il ne restait que Les Templiers pour sauver sa saison. Nous sommes partis en stage de reco’ tous les deux en septembre, il a bossé très dur. Sur place, on enchaine les perfs : on gagne l’Endurance Trail, le Marathon des Causses, ne restait que la Grande Course. Il prend la course en main en patron se retrouve à mi-course, en tête avec Xavier. Je me dis « comment ce mec va gérer une telle charge mentale ?! » On échange un peu en course, je lui parle du bonheur de le voir en tête et qu’il faut qu’il profite de l’instant. On connait la suite, Tom remporte son 3° Templiers et Xavier termine 2°. A l’arrivée, on s’est juste regardé, c’était fort. Respect et reconnaissance mutuelle. Nous sommes amis pour la vie. Je suis aussi très attaché aux succès partagés avec Manu Gault ou Sissi Cussot. A chaque fois, ils nous ont offerts des Eco Trail ou des Saintélyon comme des cadeaux, à nous, à la structure. Belles relations, belles personnes.
Des histoires fortes, et l’humain au centre. Banalité médiatique on pense souvent à Xavier. Mais un athlète t’a-t-il marqué en particulier ?
LA : Un truc rigolo, c’est plutôt une défaite. On a fait un bon bout de route avec Manu Meyssat, le courant passait vraiment bien entre nous et on c’était fixé un beau challenge : gagner la Saintélyon. Cette course est symbolique pour Manu, elle passe dans sa cour. Après avoir tout gagné et regagné sur le court, les 70 km de la Sainté étaient un sacré morceau pour ses petites cuisses…Pendant des années, on n’a fait que de nous planter : abandons sur abandons, alors qu’il dominait les débats. Et en 2016 , l’année ou il quitte le team pour Hoka, il gagne enfin. Sitôt passé la ligne, il est venu me trouver et s’est presque « excusé ». On s’est bien marrés ! Lui aussi, un sacré bon mec.