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The alpinist : Don’t look down

La vie fulgurante de Marc-André Leclerc

Il y a des rendez-vous manqués qui vous marquent. En 2015, alors que j’avais la chance de découvrir Squamish, temple de l’escalade nord-américaine après le Yosemite, de nombreux alpinistes et grimpeurs de haut niveau étaient invités par leur sponsor dans la petite bourgade de Colombie-Britannique (Canada). Parmi eux, un certain Marc-André Leclerc. Pourtant, s’il fut possible de discuter ou grimper avec des personnalités telles que Will Gadd, Raphael Slawinski ou Jason Kruk, le jeune Leclerc demeura injoignable pour le journaliste en quête d’interview. 

The Alpinist, de Peter Mortimer. À voir absolument en ce moment sur Canal+ ou sur Apple TV.

En regardant le film The Alpinist, sorti il y a quelques jours, je comprends mieux les raisons de cette discrétion. Marc-André Leclerc était un oiseau rare, insaisissable. En 2016, alors que Sender Films, la crème du film de montagne (Valley Uprising, Dawn Wall, les tournées Reel Rock) le suit pour raconter son histoire, Leclerc disparait des radars, lui qui n’a plus de portable depuis le jour où « un renard l’a emporté dans un sac contenant également du saumon fumé ».

Au gré d’indices collectés sur les réseaux sociaux et de sa trombine apparaissant ici ou là sur les photos postées par d’autres grimpeurs, le réalisateur Peter Mortimer parvient à le retrouver. Mais Leclerc est occupé. Cette année 2016 va le faire entrer dans l’histoire de l’alpinisme. Outre-Atlantique d’abord, lorsqu’il bluffe le monde de l’alpinisme nord-américain en réalisant l’ascension du mont Robson en solo. Un monument de l’alpinisme des Rocheuses canadiennes vient d’être gravi, à vue s’il vous plait, par ce qui semble bien être une nouvelle génération d’alpinistes. 

Marc-André Leclerc pratique le solo
à un niveau jamais vu auparavant

Mais devinez quoi ? Marc-André ne prend pas la peine de prévenir l’équipe de production : « Avec quelqu’un à côté qui me filme, même s’il ne m’aide pas, ce n’est plus le solo dont je rêve » explique t-il après coup au réalisateur désabusé. Brette Harrington, sa compagne, confirme alors : « Marc-André ne perdra pas d’énergie à se mettre en avant ». Peter Mortimer ne peut qu’accepter ce tempérament et va le décrire magnifiquement et sans fioritures dans le film. 

On y découvre Leclerc vivant en couple dans une cage d’escalier ou encore en camping hivernal entre deux solos de cascade de glace. Vous avez dit « dirt bag » ? Le mot est faible. À côté, Alex Honnold avec son van aménagé passerait presque pour un bourgeois.

Le solo, Marc-André Leclerc le pratique à un niveau jamais vu auparavant, sur le rocher mais aussi et surtout en alpinisme ou encore en cascade de glace ou en dry-tooling moderne. Le jeune canadien grimpe sans gants en plein hiver pour pouvoir prendre parfois des prises de main et mixer les techniques. Il pose les piolets sur des glaçons qu’on oserait à peine gravir avec une corde. La séquence du solo du Stanley Wall vous donnera la chair de poule. La Torre Egger (Patagonie) en solo hivernal sera son chef-d’oeuvre.

Comme si seule la mort
pouvait rendre tangible
le solo intégral

Rapidement, la question du pourquoi, des motivations du solo, arrive sur le tapis. Et les boss de la question sont invités à répondre : Alex Honnold bien sûr, mais aussi Reinhold Messner, Will Gadd, Barry Blanchard ou encore l’écrivaine Bernadette MacDonald. Comme souvent l’alpinisme est présenté comme un moyen de la liberté. Le solo intégral comme son absolu. 

Brette Harrington et Marc-André Leclerc le pratiquaient tous les deux. Ils en exprimaient le besoin et en acceptaient les risques.
Pourtant, la Brette en larmes, effondrée par la disparition de son âme-soeur un peu plus loin dans le film, est malgré tout terrassée par cette issue fatale, pourtant parfaitement intégrée dans son quotidien. Mais nul voyeurisme ici. Cette prise de conscience dramatique vient contrebalancer les stéréotypes chevaleresques du solo, souvent déballés dans les productions actuelles. Ici, brutalité est réalité. Comme si seule la mort pouvait rendre tangible le solo intégral.

Pour continuer à avancer, on comprend que mieux vaut ne pas regarder en bas, au risque d’être pris d’un vertige tétanisant. En alpinisme comme dans la vie.