Gravir la Dibona est un rêve pour beaucoup. La silhouette unique de cette aiguille de granite hante l’imaginaire des grimpeurs depuis des générations. A tel point que les voies y sont nombreuses et se côtoient. Cette fois, nous avons choisi une belle ligne sur le fil de son arête sud, guidés par Fanny Tomasi-Schmutz et avec l’aide de l’application Whympr.
Il est assez courant de trouver un éperon, un pilier ou évidemment une ligne baptisée au nom d’un alpiniste célèbre. C’est moins souvent le cas d’une montagne toute entière, en l’occurence une aiguille, peut-être l’une des plus belles, du moins l’une des plus caractéristiques des Alpes. C’est dire l’aura de son illustre éponyme : Angelo Dibona, célébrissime alpiniste natif de Cortina d’Ampezzo, dans les Dolomites, qui le premier foula le sommet avec Guido Mayer en 1913. Qui n’a jamais entendu parler de « la » Dibona ?
Une aiguille à travers le temps
Approcher l’aiguille Dibona, c’est pénétrer doucement dans un univers digne d’un roman de Tolkien. Passé le verrou du ruisseau d’Amont, le paysage s’ouvre et au milieu, se dresse l’aiguille tant attendue, parfois auréolée d’un voile mystique. Elancée, cette flèche de granite dresse ses 3131m tel un arc tendu.
« La montagne c’est pointu. »
Pierre Chapoutot
C’est probablement en admirant la Dibona qu’un autre personnage haut en couleur, Pierre Chapoutot, a écrit un jour une sentence aussi simple que limpide : « La montagne c’est pointu. ». « Chap’s » pour les intimes a lui aussi oeuvré en ouvrant la « Voie des Savoyards » avec Bernard Wyns. C’était en 1967 et depuis, un paquet de grands noms sont venues trainer leurs grosses puis leurs chaussons sur toutes les faces de la Dibona : Nominé, Livanos, Batard, Vartanian et bien sûr les locaux (ou presque) de l’étape : Junique, Turc et autres Cambon.
Autant dire que la Dibona attire et ses lignes ont été ouvertes en traversant les époques. Les plus fidèles à l’escalade « traditionnelle » s’engageront dans la voie des Savoyards et apprécieront la légerté de l’équipement, réduit à quelques pitons. Les grimpeurs spitophiles se régaleront d’une Visite obligatoire aux longueurs bien équipées.
En ce début d’été, le refuge du Soreiller ouvre tout juste ses portes. C’est à son niveau que l’on peut enfin jauger la paroi et décrypter l’itinéraire choisi. Aujourd’hui, ce sera la combinaison Berthet-Boell-Stofer. Pour s’y retrouver dans cet enchaînement de longueurs quiu serpentent en face sud, Alice se plonge dans l’application Whympr. Utilisatrice de la première heure de cette application mobile proposant des milliers de descriptifs d’itinéraires dans le monde entier, la jeune chamoniarde déroule le tracé de la voie, jonglant entre l’écran de son smartphone et la paroi juste au dessus d’elle, intimidante.
Pour l’aider, la guide de haute montagne Fanny Schmutz-Tomasi encadre la sortie. Cette journée dans une voie d’ampleur, c’est justement Whympr qui l’offre à Alice, gagnante d’un concours organisé par la société basée à Chamonix. Après avoir localisé le départ de la voie, la cordée s’engage dans les premières longueurs en dalle. Les doigts et les orteils se réchauffent rapidement.
Cette voie composite est l’exemple parfait de la voie « montagne » à ne pas sous-estimer. De par sa longueur bien sûr (350m) qui implique une bonne endurance en escalade, son altitude aussi (même par une belle journée enseleillée, il peut faire froid à plus de 3000m) mais surtout dans la lecture de son itinéraire. Les voies sont nombreuses dans le secteur et les relais, pitons et autres bout de cordelettes ont vite fait de perdre les plus affutés. Oubliez vos prouesses en escalade sportive ! Ici, même si le 5b obligatoire ne vous intimide pas, il faudra faire preuve avant tout de finesse dans la lecture, de fluidité dans la progression, de rapidité dans les manip’ et avoir suffisamment d’aisance en terrain « montagne » pour protéger de manière efficace et économe. Sans ça, l’horaire risque d’être vite explosé. « Dis, t’as emmené la frontale ?! »
La voie est globalement homogène mais il faut citer certaines parties aussi belles à grimper qu’à observer. Un petit frisson attend les grimpeurs dans la traversée de la vire Boell, avec son petit pas de desescalade aussi facile (III) qu’impressionnant. Alors que les bonnes prises foisonnent depuis le début de la voie, cette petite traversée demande soudain un peu de finesse dans les mains et dans les pieds. Gare à ne pas trop se presser ! Quant aux cannelures Stofer, il s’agit du crux de la voie (5b). A nouveau, l’escalade demande un peu de réflexion dans ces rigoles de granite qui semblent soudain bien verticales à côté du reste de la voie. Pourtant, la pente reste raisonnable et il suffira (comme souvent) de bien poser les pieds et de leur faire confiance pour s’élever malgré le peu de prises de main. Arrive enfin le sommet, la pointe de cette aiguille qui, vue d’en bas, paraît minuscule.
Une fois là-haut, l’ambiance est très aérienne et la Dibona n’est plus qu’une mince arête redescendant versant nord. A vous de choisir l’emplacement le plus agréable pour profiter des lieux (et assurer votre second éventuellement). Au loin, la pointe du vallon des Etages se dresse au fond de son vallon sauvage et la Barre des Ecrins domine le massif. Il faudra néanmoins rester concentré : même si deux courts rappels ramènent sur le plancher des vaches, la neige peut rester dure en face nord et la descente devra se faire prudemment. Ne reste qu’à redescendre le long vallon jusqu’aux Etages, avec le sentiment de quitter le décor d’un conte scandinave, dominé par une aiguille tout droit sortie d’un conte fantastique.
Captures de l’application Whympr et de la sortie enregistrée par les participants, sur le mode communautaire.